JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 20 mai
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE : 20 mai
21 mai
Depuis peu, des cris de corbeaux étaient venus se mêler aux ricanements des mouettes dans les hauteurs du canal. Les canards les observaient d’un œil circonspect, assez peu enclins à la conversation. Cela se comprenait, ils n’étaient pas des poissons. Qu’on ne s’y trompe pas !
De fait, la nature fut de retour dès les premiers jours du confinement : une poussée de violettes contre le mur du 6 rue Emile-Jamais fut signalée et quelqu’un du 5 acheta aussitôt du désherbant.
Les esprits s’échauffèrent, car un jardinier prétendit avoir vu un puma rôder dans les Jardins de la fontaine. Cela ne se pouvait – tout au plus un de nos débauchés familiers des buissons du mont Cavalier, porté aux extrêmes, avait pu connaître la métamorphose du clair de lune, mais, ses notions en lycanthropie étant assez incertaines, il avait fait n’importe quoi. Il y a des réveils qu’on n’envie pas.
Ce fut l’occasion d’un de ces récits de chasse que se racontent les hommes à la veillée. Bien qu’ils aient afflué dans les hauteurs forestières du parc public, il ne fut plus question du puma, les chasseurs, après s’être longtemps perdus, ramenant dans leurs gibecières, pour les plus affûtés, trois pigeons de ville et un kangourou qui s’appelait André pour un petit garçon qui l’aimait. Que ce bipède adepte du noble art ait été confondu avec un puma laissa morts de rire ceux qui n’avaient rien ramené du tout.
La chasse ayant inspiré des espoirs, il fut question de monter une Société secrète – car beaucoup de personnes distrayaient l’ennui de leur quotidien avec de la mythologie pour culture de masse : théories du complot, Or des templiers, Énigme de la grande pyramide et autres fumisteries.
La fameuse Société secrète se proposait un safari dans le Gévaudan, pourquoi pas – mais l’existence de la Bête du Gévaudan finit par être fortement mise en doute dans une multitude de messages anonymes aussi savants que fielleux à l’adresse masquée de la Société dans le dark web, il ne fallait pas exagérer, le Juif errant, d’accord, mais pas n’importe quoi.
Comme s’il y avait eu des monstres, les insensés !
Cette mésaventure donna tout de même des idées de voyages aux doux rêveurs. Ils voyaient plus grand. Et plus loin. Ils avaient consulté des agences de voyages et pris leurs dispositions : pour les noces d’argent ce serait une croisière dans les fjords norvégiens du Septentrion, pour les « stade terminal » une ballade d’une semaine dans un bateau à aube sur le Mississippi, pour l’Association des instituteurs de la communale Jules Ferry, une excursion culturelle de trois jours sur le Danube.
Comme s’il y avait eu encore des croisières, les insensés !
Il y rêvèrent, rêvèrent, rêvèrent.
C’était voyager tout confort à bas bruits – ressource des modestes.
à suivre dans :
http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com
[Auteur de l’image non identifié]