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L'Homme qui venait d'ailleurs (The Man who fell to Earth, Nicolas Roeg, 1976)

L'Homme qui venait d'ailleurs (The Man who fell to Earth, Nicolas Roeg, 1976)

Publié le 6 mai 2021 Mis à jour le 6 mai 2021 Culture
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L'Homme qui venait d'ailleurs (The Man who fell to Earth, Nicolas Roeg, 1976)

"L'homme qui venait d'ailleurs" est un film qui a autant vampirisé David Bowie que celui-ci a été vampirisé par lui. Autrement dit cette rencontre entre un artiste total (ou tendant à l'être) et un cinéaste de SF a enrichi l'un et l'autre. Il est en effet impossible de séparer le film de la mythologie spatiale et extra-terrestre véhiculée par cet artiste qui a surgi sur la scène internationale sous la forme d'un cosmonaute en perdition (ou en plein trip hallucinogène selon les interprétations) puis sous celle d'un authentique alien. Thomas Jerome Newton renvoie donc à Tom, à Ziggy mais pas seulement. Son aventure terrestre corrompue par l'influence d'une substance psychotrope "politiquement correcte" (l'alcool qu'il découvre sur terre, lui qui ne buvait que de l'eau au départ et qui devient son carburant) renvoie au Thin White Duke, son personnage de dandy camé à consonances néo-nazie du milieu des années 70 qui correspondait à une réelle descente aux enfers de l'artiste dans l'addiction à la cocaïne. De fait, son apparence reflète cette période. David Bowie est d'une pâleur et d'une maigreur à faire peur même s'il apparaît aussi que cette apparence exerce un réel pouvoir de fascination de par la fragilité qu'elle confère au personnage ainsi que la féminité de ses traits: David Bowie n'a jamais paru aussi androgyne qu'à cette période (il l'est nettement moins dans les années 80 et a fortiori en vieillissant et on mesure alors à quoi il a échappé de justesse: une appartenance au "club des 27", ces artistes morts d'overdose à 27 ans).

Mais l'inverse est également vrai: David Bowie s'est nourri visuellement du film pour les pochettes de deux de ses albums: "Station to Station" enregistré aux USA alors qu'il était au fond du trou et "Low" qui marque le début de sa période berlinoise et de sa régénération. Car le film possède une identité forte avec une très belle photographie qui magnifie les paysages mais aussi les corps, beaucoup de "flashs" psychédéliques qu'on peut trouver datés mais qui ont aussi quelque chose de visionnaire et une narration elliptique qui demande au spectateur un effort pour relier les scènes et combler les trous. Ainsi l'origine extra-terrestre de Newton n'est pas affirmée d'emblée mais suggérée de toutes sortes de manières. Par exemple, il est dérouté ou incommodé par des objets ou des expériences du quotidien alors qu'on est témoin de ses visions élargies qui démontrent qu'il peut voir plusieurs programmes de télévision en même temps ou encore voyager dans le passé ou aller à la rencontre de sa famille extra-terrestre. De même, on constate vers la fin du film que le temps ne semble pas avoir de prise sur lui alors que les gens qu'il côtoie vieillissent et s'obscurcissent. Newton aussi semble céder à ce dernier penchant tant la vision de la réalité qui est devenue la sienne lui fait mal. Bien que l'on comprenne qu'il est le représentant d'une civilisation bien plus avancée que celle dans laquelle il échoue et que cette avance technologique lui permette de devenir très riche ce n'est pas du tout cela qui est montré. Au contraire, ce qui est montré c'est la solitude et l'étrangeté foncière du personnage perdu dans les grands espaces ("an Englishman in New-York" bien qu'on soit plutôt du côté du Nouveau-Mexique) puis privé de liberté et soumis à des expériences de laboratoire dans une société américaine foncièrement hostile typique de la paranoïa anti-communiste des années 70 (assimilés aux étrangers et aux aliens) avec des services de renseignement dont les méthodes n'ont rien à envier à celles de leurs homologues soviétiques et un abrutissement des masses sous les excès du consumérisme et de la publicité. Newton qui ressemble à un adolescent nimbé d'innocence ne peut que finir corrompu par une société aussi toxique, l'ironie étant qu'il est venu sur terre chercher de l'eau pour sa planète aride qui se meurt. Il se pourrait bien que celle-ci soit une métaphore de ce qui nous attend.

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