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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE - 22 juin

JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE - 22 juin

Publié le 22 juin 2020 Mis à jour le 22 juin 2020 Culture
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JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE - 22 juin

S’il est enthousiasmant qu’aux échecs le nombre des combinaisons soit jusqu’à présent infini ou s’il est appréciable que nous ayons à compter un milliard de milliards de synapses dans notre cerveau, ce qui est bien mais ne sera jamais assez, remar­quons comme l’haleine et les postillons, ainsi que les préjugés et la mode, répandent l’infection dans une progression exponen­tielle irrésistible en sorte qu’il est carrément terrifiant que le nombre des connexions assurant l’expansion de l’épidémie soit au contraire limité : 7 milliards d’êtres humains est fort peu. Nous en aurons bientôt fini.

Il restait à espérer qu’une autre sorte de combinaison – la grande roue de la Fortune de l’Évolution – ait conçu à tout ha­sard des spécimens biologiquement immunisés, et peu importe qu’ils aient par ailleurs trop de dents dans la bouche et de grandes oreilles, il suffira qu’ils soient au moins deux, de sexes opposés et pas trop loin l’un de l’autre, auquel cas on appellera Paradis ce lieu, qui pourra être un canal où pataugeront benoî­tement des canards, où un serpent et un dieu assisteront à la rencontre bucolique, où ils dégusteront un fruit de saison en causant des mœurs ou du temps qu’il fait, et quelque temps plus tard il y a des chances pour que toute une famille de consan­guins à grandes dents et longues oreilles très bavards commence par se croiser, se diviser, pulluler et puruler sur toute la surface de la terre et soit qualifiée d’épidémie universelle par les ani­maux de la jungle observant avec chagrin cette multiplication de lapins aux dents longues.

Une telle vision d’horreur m’éloigne de mon sujet, d’autant que je ne suis plus tellement en situation de jouer un rôle dans cette affaire, bien que j’aie sous les yeux un canal, bleu comme du lait, des canards paisibles, et au ciel un envol folâtre d’étourneaux étourdis qui me réjouit le cœur et justifierait ma présence au paradis si j’avais le don de suivre dans les nuages ces oisillons oiseux plutôt que d’être doté du triste sort d’une reptation lugubre au ras du sol.

Mais ne rêvons pas, nous étions en enfer depuis que la mai­rie avait refusé de donner suite à ma cent-quarante-troisième Propo­sition pour réformer la cité. Dès les premières inquiétudes au sujet d’une épidémie possible, j’avais établi un plan très simple qui consistait à écarter du centre-ville tous les pauvres et autres gens dangereux et de les déplacer en périphérie, en sorte que la population active en soit aérée et donc moins exposée à l’infection ainsi que le feu ne prend pas entre des maisons au large les unes des autres.

L’impéritie de notre conseil municipal ne permettant pas de lutter à armes égales avec l’Ennemi, la modeste Proposition je­tée à la corbeille, l’Ennemi emportait la place, le conseil, notre ville et tous ses braves gens.

 

à suivre dans :

http://impeccablemichelcastanier.over-blog.com

[Auteur de l’image non identifié]

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