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Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL

Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL

Publié le 6 mars 2020 Mis à jour le 28 sept. 2020 Culture
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Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL

Jean & Jean, souliers de satin : Le TGPL



Le Très Grand Poète Local est né avec une tête de Très Grand Poète Lo­cal.

La sage-femme a hurlé.

C’est ce qui s’ap­pelle un sort : la fée des Choses vagues était penchée sur cette naissance.

Il n’aura plus d’autre solution que d’exercer sa poé­sie poétique.

Celui qui sera un chantre inégalable – la cigale des garrigues – pose aussitôt ses petits petons droits sur l’incubateur, les autres sur la tête du gynécologue.

Il éternue en guise de cri primal.

Une vo­lée d’écume échevelle d’embruns son front hy­pertrophié.

Ce brushing lui restera.

Sa vie durant, Raphaël traduira ce désordre qu’il est – ce dé­sastre affectif, émotionnel et rationnel – dans une forme apolli­nienne.

Du moins, c’est ce qu’il nous dit.

Sa Nuit de Pascal lui vient à l’adolescence, par une soirée fuli­gineuse.

Le jeune homme mélancolique se tient à une fe­nêtre de la villa qu’ont louée pour l’été ses parents sur le bord de mer, face à une impasse.

Cette expérience-limite con­siste en ce que le monde lui apparaît dans son être.

Il applique sa main sur sa poitrine.

Sa chère âme s’ouvre à l’univers.

Le sublime est que tout est dans tout.

Et particulièrement dans le poète.

Hormis les pre­miers boutons d’acné qui n’ont rien à faire là et qui gâ­chent l’extase océanique.

Sans doute s’est-il aussi vu dans le reflet de la vitre.

Il ne se remettra jamais de son épectase.

Dès lors, il parle aux fleurs, à la brise, aux sai­sons.

Il leur parle de lui-même et parfois des femmes, dont il a entendu par­ler par ses copains ...

*

À l’évidence, le doux troubadour est victime d’une hypertro­phie du Moi.

Il a un grand Moi, ou du moins un gros Moi.

Cette ma­la­die n’est pas grave.

Elle n’atteint pas les organes essentiels – la lucidité n’étant pas un organe.

En revanche, ses proches vivent mal la situation, non qu’ils aient peur pour leur grand homme, mais ces gens crai­gnent pour leur propre moi qui, certes, n’est qu’un reflet mi­neur du gros Moi mais réclame tout de même un peu d’attention.

Son ouvrage majeur – Blanc – est accueilli par un silence im­pressionné qui en dit long sur la nature radicale de sa poésie poétique.

Raphaël y parle de l’âme du blanc, qui est une respira­tion ir­radiante, je répète : l’âme du blanc est une respiration irra­diante.

Il y parle du visage spirituel de l’Origine, qui s’incarne dans le blanc de poulet, je répète : le visage spirituel de l’Origine s’incarne dans le blanc de poulet.

Bientôt, notre fin rhapsode, déçu par la réaction de l’Origine, change de registre.

Il se rend aux champs, comme un préfet, et y pratique la gymnastique – activité hautement métaphysique, pa­raît-il.

C’est alors qu’il découvre la Nature.

Il ne s’en remet pas.

Quelque chose d’autre que lui existerait ?

Les humeurs autom­nales l’ins­pirent bientôt.

L’automne, comme le gris, est une cou­leur facile, il est vrai. L’automne, dé­jà ! dit-il (il a vingt-six ans). L’hiver, déjà ! dira-t-il (il a trente ans).

Et ja­mais de prin­temps ni d’été. L’été est difficile à décrire : il ne s’y passe rien.

Raphaël meurt vierge à l’âge du Christ dans une maison de retraite pour Poètes officiels.

Une Maison de vie.

Sa lu­mière mettra long­temps à nous par­venir.

Sacré Raphaël !

Mais assez sur ce sujet. Le patron a sa soupe aux herbes des champs à préparer.

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