Géant de papier
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King Tubby, ou l’invention du dub.
Lorsqu'il commence à travailler dans le milieu de la musique, King Tubby est un simple ingénieur du son, mais ses connaissances en électronique et son goût de la trouvaille avant-gardiste vont l'emmener à vite gravir les échelons et devenir un musicien à part entière. Il va même inventer l'un des courants les plus influents de la musique jamaïcaine sur le monde entier : le dub.
Au départ, le dub est une chanson que l'on dépouille de son texte pour en avoir une version instrumentale. Version retravaillée en studio. On y ajoute des effets sonores dont les plus courants sont l'écho et la réverb'. Certains sons sont amplifiés, d'autres au contraire atténués, les voix sont samplées et replaquées, ou non, sur la nouvelle version. Ainsi, le dub consiste en une véritable réécriture des morceaux déjà existants. Une réécriture organique, en cela qu'elle travaille dans la matière même, taille dans la chair d'une chanson, en profondeur. Ça n'a l'air de rien aujourd'hui, quand n'importe quel couillon peut bidouiller n'importe quoi avec un synthé, une console 24 pistes ou un simple ordinateur, mais là nous sommes dans les années 60, et rien de tout cela n'existe encore, surtout dans un pays ravagé par la pauvreté due à des siècles d'esclavage.
C'est avec une petite console quatre pistes que King Tubby commence à travailler. Il y a tout à inventer. Et c'est là que le savoir-faire entre en jeu : avec ses connaissances techniques (il a réparé des frigos, des machines à laver, puis des radios et des téléviseurs avant de se lancer dans la musique), King Tubby va trafiquer ses consoles de l'intérieur, allant jusqu'à modifier les circuits imprimés ou intégrer de nouveaux composants, pour se donner les moyens pratiques de produire le son qu'il veut entendre. C'est en cela que, plus qu'un ingénieur du son, il est un véritable musicien. C'est d'ailleurs le premier de son genre à être crédité en tant que tel.
Il invente à la fois le fond et la forme, une nouvelle façon de faire et de penser la musique ainsi que les instruments nécessaires à la produire. Et le public a instantanément accroché. C'était complètement inouï et en même temps ça prenait racine dans ce que tout le monde connaissait par cœur : des gros hits revisités, transfigurés, et portés encore plus loin.
À la fin des années 60, King Tubby monte son propre sound-system et c'est tout naturellement que U-Roy vient le rejoindre. Pendant cinq ou six ans, ces deux-là vont être à la pointe de la musique jamaïcaine. Ce sont deux précurseurs. L'un est musicien, l'autre chanteur, inventeur lui aussi d'un nouveau style : le deejaying à message. Avant lui, les DJ présentaient simplement les morceaux dans les sound-systems pour chauffer l'ambiance. U-Roy est le premier à dire quelque chose, à introduire du sens dans cet exercice jusque-là vide de substance. Ainsi, King Tubby produit la bande sonore et défriche le terrain à un U-Roy qui n'a plus qu'à poser ses impros sur les morceaux. Et comme toujours en Jamaïque, ce qui se produit lors des sound-systems finit par arriver en studio. Il faut toutefois attendre 1973 pour voir sortir les premiers disques de pur dub, King Tubby Meets Jacob Miller In A Tenement Yard.
Le mouvement est lancé. Dans les années qui suivent, les plus grands producteurs font appel à King Tubby : Lee Perry, Bunny Lee, Augustus Pablo. Tout ce qu'il touche se transforme en hit. Dans les années 70, un morceau qui ne possède pas sa version dub signée King Tubby n'a aucune chance de bien se vendre.
Le point d'orgue du dub est la collaboration entre King Tubby et Augustus Pablo, claviériste et producteur. En 1976, sort l'album King Tubby Meets The Rockers Uptown, Rockers étant le nom du label d'Augustus Pablo. Cet opus finit de poser les bases de ce que doit être un album dub.
King Tubby dans son studio, devant sa console, un couronne en papier sur la tête. Comme quoi on peut être le roi sans se prendre au sérieux.
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