Merde !
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Merde !
Voilà des heures que je cours dans cette forêt. Des heures que j’essaie d’échapper à mes tortionnaires. Mon souffle est de plus en plus court. Mes poumons me font atrocement souffrir. La transpiration coule jusque dans mes yeux, m’aveuglant un peu plus chaque seconde. La peau de mon visage me brûle à force d’être agressée par les branches sèches et acérées que je ne peux éviter. Mes jambes sont comme du bois, lourdes et endolories. Je ne sais pas combien de temps, je pourrais tenir le rythme avant que mon cœur ne sorte de ma poitrine.
Je n’ai que de vagues souvenirs de ce qu’il s’est passé hier soir. Quelques flashes de débauche, comme tous les soirs depuis quelques mois. Depuis mon frère jumeau à décider de se mettre une balle en pleine tête. La légende qui dit que des jumeaux sont connectés n’est pas une connerie. C’est bien vrai. Une putain de connexion qui fait que j’ai ressenti sa douleur au moment où ce bout de métal est venu exploser sa cervelle sur le mur de sa cuisine. Une douleur effroyable, lancinante. Voilà pourquoi je joue aux piliers de bar : pour oublier. Mais même l’alcool ne me soulage pas.
Je me souviens m’être assis au fond du bar avec une bouteille de whisky. Je préfère picoler seul, loin du brouhaha, loin des regards. J’aime qu’on me foute la paix. Après quelques verres, je commence enfin à me détendre. Les mâchoires se desserrent. Les poings aussi. Un groupe de métal joue sur scène. Ils sont mauvais, mais au moins je n’entends pas les abrutis posés au comptoir qui essaient désespérément de draguer Marie, la serveuse. Faut bien le reconnaître, c’est un joli brin de fille et moi aussi, j’aurais bien aimé la mettre dans mon lit, mais c’est peine perdue. Elle n’est pas du même bord, si vous voyez ce que je veux dire.
Je me revois tituber en direction des chiottes avec un besoin urgent de me soulager et après ça, c'est le trou noir. Je ne le fais jamais, d’habitude. Jamais je ne laisse ma bouteille sans surveillance, de peur qu’on me la vole. Certainement pas qu’on me drogue. Qui aurait les couilles de droguer en ancien militaire surentraîné et en colère ? Aujourd’hui, j’ai ma réponse : une bande de tarés adeptes de la chasse à l’homme.
Je n’ai pas vu leur visage, mais j’ai parfaitement enregistré leur voix - déformation professionnelle, sans doute : un accent chantant, un timbre caverneux. Quand ils ne me gueulaient pas dessus, ils se parlaient dans une autre langue. Un truc guttural et dégueulasse. Si je les retrouve, ils sont morts ! Mais pour l’instant, je dois me sortir de cette merde.
Le jour commence à décliner. Il faut dire qu’en cette période les journées sont courtes. La nuit risque d’être fraîche, je dois me trouver un abri si je ne veux pas crever de froid. Mes vêtements sont trempés et mes chaussettes en charpies sont imbibées de boue. Je n’ai aucune chance de leur échapper, surtout avec leurs clébards. Je dois reprendre mes esprits. Réfléchir en chasseur et non en proie.
Perdu dans ma tête, je n’avais même pas remarqué la vieille baraque qui se dessine devant moi. Un vieux squat pour junkies et délinquants. Parfait pour me planquer. Mais avant, je dois vérifier les alentours. Je fais le tour, compte les issues même celles qui semblent condamnées. C’est un véritable courant d’air cette bicoque. Pas moins de 36 ouvertures. Du délire.
J’entends les chiens. Ils sont à quelques centaines de mètres. Je n’ai plus le temps de réfléchir. Je dois agir vite. J'aperçois une entrée dans le sous-sol et m’y faufile. Il fait sombre et une odeur pestilentielle me monte au nez, me donnant une envie de gerber carabinée. Sous mes pas, le sol craque. Putain, mais où je suis tombé encore ? Je sors mon briquet – heureusement pour moi, ils ne m’avaient pas fait les poches avant de me lâcher en pleine forêt – pour éclairer autour de moi.
- Et merde...
Texte de L. S. Martins (30 minutes chrono, sans relecture).
D'après Image par Kai de Pixabay : Perdu Endroit Maisons - Photo gratuite sur Pixabay