Malgré les interdits
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Malgré les interdits
J’admire la candeur de l’enfance. Cette capacité surprenante à jouer dans des endroits terrifiants et à n’y voir que mystères et trésors. Comme cette petite fille qui fait de la balançoire sur les ruines de notre passé. Maintes fois, je lui ai interdit de venir ici. Aussi près de la surface. Surtout lorsqu’il fait jour. Mais impossible de l’en empêcher. J’aurais pu démonter son aire de jeux, mais je me refuse de prendre le risque qu’elle ne s’aventure plus loin encore.
- Clara, ma chérie…
Sa mère, affolée, s’approche de la petite et la serre dans ses bras. Les larmes aux yeux, elle examine son enfant qui ne saisit pas la gravité de la situation.
- Clara, je t’ai déjà dit des centaines de fois de ne jamais t’éloigner… combien les couloirs de cette station sont dangereux…
- Mais, maman… j’ai fait très attention. Personne ne m’a vu. Personne ne m’a entendu…
- Justement ! Viens, ne restons pas là…
La femme ramasse le nounours qui avait été négligemment laissé par terre et tire sa fille vers les profondeurs de notre abri. En passant devant moi, la gamine me fit un sourire accompagné d’un clin d’œil plein de malice. Elle avait déjà l’intention de revenir.
Est-ce du courage ? De l’inconscience ? Je ne le saurai probablement jamais. Mais, au fond, je la comprends. Moi aussi, je ressens ce besoin incontrôlable de m’évader. De fuir ce quotidien sombre et dépriment. Sentir les rayons du soleil caresser ma peau alors que je me promène, pieds nus, dans l’herbe fraîche. Comme avant…
Pourtant, plus rien n’est comme avant. Plus rien de sera jamais comme avant. Les mers et les océans sont asséchés. Les terres sont brûlées. Le ciel est incandescent. Nous n’avons plus notre place à la surface de cette planète abîmée, fatiguée. Nous avons été obligés de nous replier sous terre, comme de vulgaires petites fourmis, creusant des dédales sans fin, espérant y trouver de l’eau et un peu de fraîcheur.
Alors, je sais parfaitement ce qui pousse cette enfant à revenir ici, malgré tous les interdits. Comme elle, je me suis exilé loin des profondeurs. Loin des autres. Derrière cette fenêtre teintée de poussière, j’observe avec envie l’extérieur à la recherche d’un signe. D’un espoir. Et chaque soir, avant de m’allonger sur mon vieux matelas crasseux, je remonte ce réveil pour ne jamais perdre le fil du temps.
Texte de L.S. Martins (25 minutes chrono, sans relecture).
D'après Image par -MayaQ- de Pixabay : Number Homme Femme - Photo gratuite sur Pixabay