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 CHAPITRE 56 

 CHAPITRE 56 

Published Apr 21, 2022 Updated Apr 21, 2022 Culture
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 CHAPITRE 56 

L’attente de la bataille – Souper en famille – Liselotte toujours serviable.

 

J’avais observé Philippe prendre des dispositions, Louvois l’ayant rejoint en fin d’après-midi, juste après notre entretien au sujet de la Hollande. De la fenêtre de mes appartements, j’ai suivi leur échange sur la terrasse face aux jardins.

L’herbe jaunissait sous le soleil s’attardant, les feuilles des arbres se teintaient de pourpre, il y avait comme de la nostalgie dans l’air. J’ai toujours pensé que l’hiver était l’ennemi le plus redoutable. Comme la sécheresse, le gel pouvait provoquer la famine et des maux funestes. Hélas, le temps me donnerait raison à ce sujet, lorsque le Grand Hiver s’abattra sur la France.

Écouter la mise en place de notre stratégie repoussa un moment l’angoisse et l’agacement produit par l’attente, mais dès lors qu’ils s’éloignèrent afin de l’appliquer, je fus plongé dans cet état de fébrilité qui me mettait sur des charbons ardents.

Un bon Roi doit faire montre de patience, vous ne pouvez constater les conséquences et donc la réussite de vos décisions que bien des années après. Il m’est arrivé de prendre de mauvaises décisions et de ne m’en rendre compte que bien plus tard. En vieillissant, on comprend la nécessité de l’attente et on s’impatiente moins, mais j’étais encore jeune à l’époque.

— Majesté, le souper, me prévient Bontemps.

Je soupirais en me tournant vers lui.

— Faisons bonne mine, j’annoncerais ce soir le départ de la Cour pour le château de mon frère. Tout est-il prêt ?

— Ce le sera.

Philippe était très concentré sur les préparatifs de la bataille des marais comme il l’appelait et je doutais qu’il eût pensé à avertir son épouse. Aussi demandé-je à Bontemps de le faire.

— Mieux, faites-la venir, j’aimerais l’entretenir à ce sujet.

Bontemps m’observa inquiet.

— Majesté, vous ne pouvez lui révéler…

— Je veux seulement lui faire part du fait que ni moi ni Philippe ne serons présents, elle n’a besoin de connaître l’affaire nous occupant, les Hollandais conviendront parfaitement comme excuse.

Durant le souper, Philippe fut absent, tout à ses préparatifs pour combattre le Seigneur des Marais, j’admirais sa dévotion à la tâche. J’avais donc Liselotte toute à moi. Ne sachant ce que nous préparions, elle était d’humeur joyeuse. Nullement affectée par l’absence de son époux, qui ne devait être ni la première ni la dernière, elle se décida à manger sa part, non sans faire de l’esprit à ce sujet. Sa personnalité était rafraîchissante et plaisante, tout le monde l’aimait à la Cour.

— Sire, vous mangez à peine, devrais-je également manger votre part ? Cela risque de faire beaucoup, j’ai déjà un bon tour de taille !

Non seulement elle était pleine de piquant, mais elle pratiquait aussi l’autodérision.

— Que se passe-t-il ? Vous pouvez tout me dire, Sire. Après cette chasse mémorable que nous avons faite, vous savez ce qu’on dit ? Lorsqu’on sauve la vie d’une personne, nous lui sommes liés à tout jamais.

— Je ne vous ai point sauvé la vie, ma chère sœur, tout au plus d’un boitement disgracieux, répliquai-je en souriant.

Lors d’une chasse, un énorme sanglier avait surgi face à son cheval et provoqué sa chute. N’ayant pu empêcher ladite chute, je l’avais simplement aidée à se relever et à rentrer. Mes médecins et ceux de mon frère, tout aussi talentueux que les miens, l’avaient examiné. Je doutais qu’elle eût gardé quelques séquelles, mais la chute avait été impressionnante. Et sur le moment, Philippe avait eu grande peur.

Il faut dire que son épouse nous avait donné quelques craintes, quand les médecins avaient soupçonné un empoisonnement suite à des nausées et lui avaient fait lavement et saignées avant qu’un jeune médecin sortant tout juste de l’université évoque la possibilité qu’elle soit enceinte, ce qui fort heureusement était le cas.

— Mes pensées sont accaparées par la guerre, ma chère sœur, rien de plus.

D’un solide coup de fourchette, elle engloutit le pain qu’elle avait fait tremper dans la soupe et me regarda.

— Vous avez de bons généraux sur place, et Amsterdam est plus isolée que jamais, vous l’emporterez, Sire, ils n’ont fait que repousser l’inéluctable, tout le monde le sait. Au dégel, la campagne pourrait-elle se passer de Philippe ? Je sais quel redoutable soldat il fait et combien il vous est utile, mais je suis grosse et j’ai besoin de lui à mes côtés.

Mon frère n’avait jamais été un père très présent, mais j’espérais encore qu’il change.

— Ce serait mon souhait le plus cher, ma sœur, mais j’ai crainte qu’il nous soit impossible de le convaincre de rester, c’est qu’il est très entêté ! soupirai-je.

Il était vrai que Philippe ne songeait qu’à la guerre, mais peut-être que livrer bataille à cette créature lui suffirait. J’en doutais, hélas. Il avait pris goût à la victoire en Hollande et il ne voudra renoncer à continuer cette guerre en dépit des difficultés qui s’annonçaient. Les espions de Louvois disaient que l’Empereur joindrait ses forces aux Hollandais. Il avait sans doute réalisé qu’une fois la Hollande conquise plus grand-chose ne nous séparait à moins que quelqu’un lui ait rappelé qu’il convenait de protéger ses électeurs et alliés.

— En parlant de bataille, j’ai dû vous emprunter votre époux, j’ai besoin de lui pour étudier la stratégie pour la reprise des combats. J’ai bien peur qu’il vous faille vous passer de nous quelques jours, or, la Cour va se déplacer… chez vous. C’était une idée de Philippe, si cela vous paraît trop de travail, nous irons à Saint-Germain.

Je ne voulais l’accaparer avec tant de préparatifs d’autant qu’elle n’avait vraiment eu le temps de prendre ses marques à Saint-Cloud.

— Sire, je crois que mon époux m’a surestimée, je ne suis guère douée pour ce genre de choses.

— Je ne souhaite pas vous mettre dans l’embarras, Saint-Germain sera très bien.

— Je vous en prie, Saint-Germain vous éloignerait de Versailles. Je sais que vous ne voulez relâcher votre attention des travaux, surtout ceux d’assainissement des marais. Ne vous inquiétez pas, Le chevalier de Lorraine se chargera des divertissements en les appartements. Quant à moi, j’organiserais des chasses et m’occuperais de la nourriture qui sont plus mon domaine. Tout sera prêt pour accueillir la Cour, votre Majesté.

Je souris devant tant de bonne volonté et lui fit un baisemain qui l’étonna un bref instant, elle oubliait parfois les manières des Français, toujours galants envers les dames, surtout leur Roi.

— Je vous remercie Madame.

La présence du Chevalier aux côtés de mon frère me déplaisait toujours autant, mais depuis l’arrivée de Liselotte à la Cour, il semblait s’être assagi. Il ne paraissait plus être aussi débauché qu’avant ou alors il le masquait mieux et provoquait moins de scandales. C’était tout simplement incroyable que Liselotte s’en soit fait un allié et qu’ils soient devenus amis. Je crois qu’en bien des façons, j’enviais l’épouse de mon frère qui avait un esprit bien différent de ceux qu’on trouve à la Cour : piquante et franche, elle n’avait nul semblable. Philippe ne l’a sans doute jamais désirée, mais ils ont fini par s’accorder.

Madame faisait des miracles, et ce soir, elle parvint à me redonner le sourire, à chasser un instant l’ombre de l’inquiétude. La marquise rebondit sur les paroles de Liselotte et ce fut le début d’une véritable joute dont les victimes étaient bien évidemment les courtisans. Je souris en les écoutant, me disant qu’elles avaient autant de talents que mon bon Molière qui s’était établi à Paris. Il préparait une nouvelle pièce au sujet des médecins, je pensais l’avoir aidé de quelques observations et remarques. Son absence au Lever m’attristait, mais il fondait sa famille et se devait d’être près d’elle. J’étais fier d’être le parrain de leur enfant.

Après le souper, je restai auprès de la marquise.

Retrouvez le roi et la marquise dans le chapitre suivant !

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