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 CHAPITRE 20 

 CHAPITRE 20 

Published Apr 5, 2022 Updated Apr 5, 2022 Culture
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 CHAPITRE 20 

Réconciliation – Inquiétude fraternelle – L'ombre de Rome.

À la collation matinale, mon frère fut présent. Ma surprise fut complète, de le voir me rejoindre dans l’antichambre, j’avais été tellement accaparé par les révélations de La Reynie et de mon confesseur, par ce qu’il s’était passé cette nuit, qu’au lever je n’avais remarqué la disposition changée des meubles, signe du passage de Philippe. Je remerciais silencieusement ma favorite.

— Je suis bien aise de votre présence, monsieur mon frère.

Marquais-je un peu trop la distance qui s’était établie entre nous après la mort d’Henriette ? Peut-être. Des soupçons s’étaient posés sur lui et le chevalier de Lorraine. Il me reprochait l’exil de son amant, les fausses accusations et bien sûr, la mort de son épouse. La peine et la douleur qu’il ressentait devaient trouver un bouc-émissaire, que malheureusement j’étais.

Philippe avait cette tendance à me reprocher tout ce qui allait de travers. Je crains que ce caractère jaloux eut été augmenté par la séparation que nous avions subie après une enfance où nous partagions tout : le deuil de notre père comme une vie nomade et misérable où notre éducation ne semblait pas être la priorité du cardinal notre parrain, ni de notre mère qui avait tant à faire déjà pour nous sauvegarder de la vindicte de nos oncles. Cette séparation brutale à la fin de la Fronde accompagnée d’un traitement totalement différent a creusé un large fossé entre nous.

Pendant que j’étais élevé pour être Roi, Philippe était encouragé dans son inclination naturelle à se vêtir en fille, à être capricieux et superficiel. Lui préférait les intérieurs, moi l’extérieur, il chérissait les garçons quand je cédais aux charmes féminins, mais nous avions en commun notre amour pour les arts et pour la grandeur de la France. Mais malgré toutes nos différences, il m’était loyal et mon plus fervent défenseur.

— Vous devriez remercier votre amie, mon royal frère.

Sa réponse fut froide tout comme le regard qu’il me jeta. Cependant, je le connaissais suffisamment pour savoir qu’il ne le resterait bien longtemps. Sa colère envers moi ne durait jamais ni les aigreurs qu’il pouvait nourrir, alimentées par ses amants jaloux, avides de pouvoir et de renommée. J’étais le rancunier, tandis qu’il était le passionné.

— J’ai besoin de toi, mon frère. Ne me rejette pas, je t’en prie. La mort d’Henriette devrait nous rapprocher, pas nous éloigner. Nous l’avons perdue tous les deux, lui dis-je en lui tendant une brioche en signe de paix.

Philippe quitta mon regard pour le poser sur la brioche, je sentis le tiraillement en lui. La voix de son amant résonnait-elle à son oreille ? Le chevalier de Lorraine avait soufflé le froid et le chaud dans la vie de mon frère et détestait Henriette, je ne doutais pas qu’il devait me voir également en ennemi. Nous étions les barrières sur le chemin de son ambition. Un instant, un nuage projeta une ombre sur le visage de mon frère, mais le soleil finit par la chasser, et un sourire teinté de tristesse, mais ayant le mérite d’exister vint ourler ses lèvres, et sa main se referma sur la brioche.

Celle-ci fut déchirée en deux et les miettes tombèrent sur la dentelle française et non italienne. Colbert avait aidé nos artisans à concurrencer l’Italie. D’abord avec les miroirs puis la dentelle, et il continuerait ainsi jusqu’à ce que nous fassions de l’ombre à Venise et Rome réunies. Le café coula dans nos tasses, dont la porcelaine venait de Limoges.

Les dorures reflétaient les rayons du soleil tombant sur notre table. Ses rayons embrasaient à présent la chevelure sombre de mon frère. Il n’avait pas seulement hérité le caractère de notre mère, mais également de ses traits. Il semblerait que pour ma part, j’eusse hérité de mon père, son physique du moins, car pour le caractère, je tenais plus de mon parrain et de ma mère visiblement. Ce qui était une bonne chose, j’aimais mon père, mais il avait laissé ses ministres diriger la France à sa place. Et dans l’intimité, il n’avait su dominer les élans mélancoliques de son cœur. Je craignais que mon frère n’ait hérité de lui sur le sujet, qu’il soit plus enclin aux affres qu’au bonheur.

— Je sais que tu as besoin de moi, Bontemps m’a raconté ce qu’il s’est passé cette nuit, ainsi qu’hier. Tu ne devrais pas mener cette enquête seul. Tu ne comptes tout de même pas faire venir des sorcières à la cour et les interroger toi-même ?

Bontemps était trop bavard à ce que j’entendais. Il savait bien que mon frère pouvait me dire des choses que ni lui ni Colbert n’oseraient. Mon ministre s’était-il lui aussi épanché auprès de mon frère ? Était-ce une cabale ?

— Tu as des hommes pour faire ce genre de choses. N’est-ce pas du ressort de l’Église ? Je suis persuadé que Rome a des exorcistes ou des chevaliers de l’ordre à t’envoyer.

Demander de l’aide de l’Église ne m’avait même pas traversé l’esprit. Mais comment aurais-je pu y songer alors que son représentant à mes côtés m’avait caché ce que les apostats faisaient sous mon nez ? Sans parler de ma défiance envers le Vatican qui soutenait les Habsbourg plutôt que moi, craignant mon extension en Europe, mes alliances avec le Sultan de l’Empire Ottoman et les princes d’Afrique.

— Rome n’aime guère ma politique, objectai-je.

Philippe étalant la confiture d’orange sur la brioche me fixa de ses grands yeux noisette.

— Il ne s’agit point de politique et je sais que tu sauras les faire plier. Tu as un talent spécial pour ces choses-là.

La critique était tacite, mais facile à percevoir. Je ne répondis pas immédiatement, portant une gorgée de café à mes lèvres. Cette boisson amère apportée par l’émissaire du Sultan avait vite ravi les cœurs et fait fureur, mais son parfum sombre et profond n’égalait son pouvoir à vous tenir éveillé.

— Louis, je t’en prie, écoute ton frère et ton valet. Tu dois faire appel à l’Église, ne demande rien à Rome si cela t’en coûte trop, mais tu ne peux pas te lancer seul dans une chasse aux sorcières.

Justement, c’était cela que je souhaitais éviter, mais comment Philippe pourrait-il comprendre cela ? Faire appel à des exorcistes me paraissait une réponse disproportionnée. Plus encore, je devais m’inquiéter de ne pas ébruiter cette affaire, heureusement que nous étions seuls pour le déjeuner. J’imagine que je devais cela à Bontemps qui, prévenant, avait su trouver les bonnes excuses pour nous accorder cet instant entre frères. Il avait le talent pour ces choses-là. Mais mon frère avait raison cependant, je pourrais obtenir de l’aide de Rome.

Pouvais-je m’occuper de cette affaire, seul avec La Reynie ? Je savais ce dernier très capable, et Colbert me seconderait comme il l’avait toujours fait, mais étions-nous qualifiés pour faire face à la menace ? S’il ne s’était s’agit que d’alchimistes et de messes noires, si je n’avais eu de doute quant à une véritable magie à l’œuvre, j’aurais pu m’en satisfaire, mais ces créatures, si elles existaient, demeuraient invisibles hormis pour les enfants… à cette pensée je souris. Les enfants étaient peut-être un début de solution. Cette pensée ne m’apparut affreuse au moment où je la conçus.

— Promets-moi de faire attention, d’accord ? insista Philippe. Je relevais les yeux, et croisant son regard, je lui répondis presque avec sincérité.

— Je serais prudent.

Le serais-je vraiment ? En vérité, je ne réalisais l’ampleur de l’affaire, même après avoir entendu les révélations de l’Abbé. Plus encore, je ne me rendais compte à quel point le danger était proche de moi.

Retrouvez les deux frères Bourbon dans les chapitres suivant !

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