CHAPITRE 12
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CHAPITRE 12
Oubli des fantasmagories – Préparation de la guerre – Perte d’un amour
Des mois s’écoulèrent sans que ces créatures fantastiques qui avaient peuplé mes songes ne me tourmentent. Les propos de la voyante et l’absence de résultat probant de La Reynie avaient fait leur effet, bien plus que les regards sombres de Bontemps et l’air inquiet de mon frère.
Et puis, les préparatifs de la campagne contre les Pays-Bas m’accaparaient bien assez. Guillaume d’Orange emplit peu à peu mes pensées jusqu’à mes rêves, chassant de facto les créatures qui s’y étaient nichées. Pendant ces mois-là, je ne songeais plus à rien d’autre qu’à la guerre que je préparais avec Lionne au grand dam de Colbert qui y voyait une nouvelle folie de dépense. Il aurait préféré la paix et des traités commerciaux.
Partir seul au combat aurait été des plus imprudents, aussi devais-je m’assurer le concours des régions voisines. Il me fallait un puissant allié puisque Guillaume d’Orange, lui, avait l’appui du Saint Empire Romain. Je m’étais donc tourné vers l’Angleterre. Charles II avait trouvé refuge en France pendant les troubles qui avaient coûté la tête à son père, Charles Ier. Lui, sa mère, Henriette de France, et sa sœur, Henriette d’Angleterre, avaient subi eux aussi la Fronde qui semblait faire écho à la guerre civile menée par Cromwell. Nous avions survécu ensemble, ce qui avait noué de puissants liens. Mais Charles II aspirait à la paix. Pour le convaincre de mener la bataille à mes côtés, je demandais à Henriette de m’aider.
Nous n’avions plus la complicité d’autrefois, lorsque tous deux étions encore trop jeunes pour comprendre qu’être malheureux en mariage était quelque chose de tout à fait normal et que tous les époux traversaient ce genre d'épreuves. Bien que nous étions amis, nous passions bien trop de temps ensemble pour ne pas provoquer l’ire de nos conjoints respectifs comme celle de ma mère. Le fait est que nous nous sommes aimés. Bien sûr, cet amour de jeunesse était une erreur qu’avec le temps j’ai corrigée. Mais je crois qu’Henriette le regrette parfois.
Un roi ne s’excuse jamais, aussi n’ai-je jamais demandé pardon à mon frère pour ce que je lui avais fait ni à mère pour les tracas que je lui ai causés, encore moins à la Reine. J’espère par mes attentions leur avoir montré mon attachement, et ma volonté de réparer ces erreurs du passé. À mon frère, je le plaçais près de moi par des fonctions où il démontra une grande habileté, à ma mère je n’eus le temps de me faire pardonner, quant à mon épouse, je crains d’avoir tenté de réparer le tort gauchement, en lui offrant des petits chiens qu’elle adorait.
De nos amours il ne restait plus qu’une tendre amitié et une complicité qui se manifestait encore lorsque nous échangions. Henriette avait toute ma confiance. Elle était la plus à même d’obtenir de son frère l’alliance que je convoitais et d’offrir ainsi à mon frère le champ de bataille qu’il me demandait sans cesse. Quand Mazarin m’avait enseigné l’art de la politique, le vieux militaire qu’on avait placé en gouverneur de mon frère lui avait enseigné celui de la guerre. Je le savais bon stratège, mais j’ai toujours redouté de le perdre.
Durant les affrontements de la Fronde, nous avions couru sur les champs de bataille, moi plus souvent que lui, mais pour gagner Paris, nous chevauchions ensemble sous les coups de canon de notre cousine et de nos oncles. Je le savais sans peur face aux canonnades. Philippe n’a jamais eu peur de rien. Il fallait être courageux pour affronter le ridicule comme il le faisait, paradant fardé comme une femme, couvert de plumes et de pierriers, parfois même plus élégant que ne le serait jamais la Reine.
Je ne voulais qu’il meure sur le champ de bataille d’un excès de courage. Mais Henriette ne l’entendait de cette oreille. Elle accepta de convaincre Charles II à la condition que Philippe mènerait bataille, démontrant par cette habile négociation qu’elle était parfaite pour le rôle de diplomate que je lui destinais. Bien sûr, mon frère ne sut jamais à quel point elle l’aimait et le comprenait, il ne voyait plus en elle que les innombrables disputes les secouant. Je crois qu’il l’a compris enfin, mais trop tard.
C’est de cette manière que s’emmêlèrent les fils du destin sans que j’en eusse compris le sens. Henriette partit pour l’Angleterre et revint souffrante. Nous pensions qu’il s’agissait là d’une nouvelle grossesse ou de l’épuisement d’un long voyage. Hélas, un mal la rongeait depuis un moment. Ce mal avait été si invisible que lorsque la mort la prit dans ses bras, nous avons tous cru à un empoisonnement. Il est naturel, je suppose, de chercher une cause à une pareille situation. D’autant que mon ennemi avait toutes les raisons de vouloir sa mort.
Au-delà du mal de longue date qu’elle supportait en secret, il y avait autre chose que j’ignorais, c’est que sa mort provoquerait tant de troubles, que nos cœurs asséchés ne pourraient l’oublier, et qu’ils n’étaient les seuls à la pleurer. Henriette était si belle, si brillante, qu’on aurait pu voir en elle une créature mystique, peut-être aurais-je dû le voir, moi plus que quiconque, qui l’avait tant aimé, tant apprécié sa compagnie, tant goûtée à sa beauté et à ses lèvres. Mais comme tout le monde, j’avais été envoûté.