CHAPITRE 42
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CHAPITRE 42
Le prêtre et les fées –Précaution contre elles – Menace aquatique
Le prêtre normand avait été installé à Versailles, attendant sagement mon retour de Hollande. Après que Bossuet me l’eût présenté, je lui demandais si ses paroissiens ne souffraient pas trop de son absence. L’homme qui me paraissait relativement jeune m’observait avec cette admiration qu’ont les gens venant pour la première fois à la Cour, rencontrant pour la première fois leur Roi.
Je lui souriais, essayant de le rassurer un peu. C’était après tout un homme d’Église assez jeune, il devait tout juste avoir terminé son séminaire. Pourtant l’Evêque disait qu’il était très au fait des superstitions locales.
— Majesté, je ne me suis jamais absenté auparavant, mais j’ai trouvé un curé qui pouvait me remplacer, j’espère toutefois pouvoir m’en retourner sitôt que je vous aurais servi au mieux.
Ses manières, sa façon de parler avait tout du provincial jamais sorti de sa campagne, mais je dois dire que c’était rafraîchissant.
— Je ne souhaite pas vous retenir trop longtemps loin de vos ouailles, rassurez-vous. Monseigneur vous a-t-il dit pour quelle raison j’ai besoin de vous ?
Le jeune prêtre opina du chef vivement.
— Majesté, il m’a dit que vous avez besoin de mes lumières sur le petit peuple. Est-ce bien de cela dont il s’agit ?
À mon tour, je hochais la tête, avec nettement plus d’assurances et d’affirmation. Le prêtre baissa les yeux, atteint d’une soudaine timidité, j’en devinais une question délicate.
— Sire, si je puis me permettre, pourquoi avez-vous besoin de ces informations ? En quelle matière avez-vous eu affaire au petit peuple ? Pardonnez ma question, mais pour vous aider au mieux, il me faut connaître votre problème.
Je ne voyais que de la sagesse là-dedans et ne lui en tenais rigueur, bien au contraire. Je lui confiais toute l’histoire, en commençant par le Sanctuaire découvert durant la chasse, passant par les créatures que j’avais cru voir enfant jusqu’à celles que j’avais distinguées pendant la fête. Je lui indiquais également le nombre de morts que je pensais liés à ces créatures. Quand j’eus fini, je plantais mes grands yeux bleus dans les siens et lui demandais s’il pensait que c’était là le petit peuple.
— Majesté, cela leur ressemble beaucoup, c’est en tout cas leurs méthodes si je puis me permettre de l’exprimer ainsi.
Le prêtre m’expliqua qu’il avait souvent été confronté à la croyance en ces créatures auprès de ses ouailles qui autrefois avaient été ses amis d’enfance, ses voisins. Il n’avait en somme jamais vraiment quitté sa campagne que pour faire son séminaire, mais il avait choisi de revenir, d’autant que le prêtre de son village s’était éteint en laissant la place vacante. C’était le genre d’endroit où la terre était fertile, où il était facile d’avoir des fermes et des champs, mais où la vie était compliquée. L’hiver, il faisait froid et il y avait quelques marécages qui apportaient leurs lots de maladies. De sorte que, les gens partaient de là s’ils le pouvaient et y revenaient rarement.
— Par chez moi, l’on laisse du pain, des fruits et du lait pour le petit peuple en offrande aux portes et aux cheminées, on ne bâtit rien sur certaines collines qu’on dit être le domaine des fées et lorsqu’un enfant est malade, on accroche un fer à cheval au-dessus de son berceau. Quand j’ai fait mon séminaire, j’ai cru que ce n’était que des superstitions, mais à mon retour, j’ai constaté des événements curieux. Le lait de ma vache tournait sans raison, le pain dans la corbeille disparaissait… Alors j’ai fait comme tout le monde, j’ai mis un fer à cheval dans le foin de mon étable, un balai devant ma porte, des offrandes à ma fenêtre et tout est redevenu normal.
Ses explications ne me semblaient pas être les élucubrations d’un homme fou ou à la trop grande imagination. D’ailleurs, quand je glissais un regard en direction de Bossuet, je vis qu’il témoignait du respect pour son ancien élève.
— Et puis, les confessions qu’on me fait confirment tout cela, continua-t-il. J’ai eu du mal à y croire au début, bien sûr. J’ai même voulu vérifier si tout cela était vrai, alors je suis allé à la fameuse colline aux fées et j’ai attendu toute la nuit. Lorsque j’ai entendu la musique et vu des lumières, j’ai su que c’était vrai. Je ne me suis pas risqué plus loin, je ne voulais vérifier ce qu’on disait quant aux enlèvements des pauvres hères qui croisent leur chemin. La croix me protège, mais il ne faut pas tenter le diable comme on dit par chez moi.
Un léger sourire accompagna ses dires comme s’il n’était pas en train de nous conter comment il avait risqué sa vie pour confirmer les peurs de ses paroissiens. Il avait l’air plutôt confiant, un sourire aimable ne quittait ses lèvres.
— Après cela, j’ai commencé à rassembler des histoires sur le sujet. Beaucoup de gens du pays étaient prêts à en parler librement. Aussi, Sire, quand je vous dis que j’étudie la question, ce n’est pas une figure de style.
Son récit était tout à fait passionnant et l’homme me donna une bonne impression, cependant, j’avais besoin de plus d’informations. Il allait me falloir le guider avec des questions précises.
— J’en suis ravi et je pense que vous pouvez m’aider. Pourriez-vous m’en dire plus sur les fées auxquelles j’ai été confronté, s’il s’agissait bien de cela ?
Le prêtre soutint mon regard, ce que peu de monde aurait osé faire avec une telle sincérité.
— Sire, je peux faire mieux encore, montrez-moi le sanctuaire et racontez-moi en détail ce dont vous vous souvenez et j’essaierais de vous répondre du mieux que je le pourrais.
C’est ainsi qu’il fut décidé de se rendre au bois avec le prêtre normand. Bossuet étant trop occupé pour nous accompagner, je ne lui demandais point, quand à mon confesseur, j’avais pu constater combien tout cela le terrorisait au plus haut point. D’après mon épouse, il s’était contenté de converser avec La Reynie, mais n’avait voulu participer à l’effort de guerre en mon absence. Heureusement, Bossuet avait plus de courage et il me fut précieux en cette bataille.
Bien sûr, Bontemps serait de la partie et je ne doutais point qu’il inviterait quelques mousquetaires à nous suivre.
— Sire, avez-vous mentionné au prêtre d’Anselme que vous avez été mené au sanctuaire lors d’une crise de noctambulisme ? demanda Bontemps.
Sa question était d’une pertinence redoutable.
— Vous avez été guidé par vos songes, majesté ?
— C’est effectivement arrivé. Cela a-t-il une importance ?
Le prêtre hocha la tête.
— Les fées s’emparent des rêves des hommes, ils peuvent les manipuler à leur convenance. Les bonnes gens de mon village savent protéger leur foyer ainsi que leur sommeil. Il existe bien des manières de se prémunir des fées : porter du fer sur vous, une croix en ce métal est l’idéal, un fer à cheval est très puissant également. Cependant, méfiez-vous, car si les fées ont décidé de s’en prendre à vous, rien de tout cela ne fonctionnera si elles vous en veulent vraiment. Aussi, je dois vous demander, Sire avez- vous fait quoi que ce soit qui puisse les avoir rendues furieuses ? Avez-vous abattu un arbre sacré ? Terrassé une colline ?
Cette question était plus inquiétante que tout ce qu’il avait pu raconter jusqu’à présent, car pour bâtir Versailles j’avais coupé bien des arbres, et pas uniquement à Versailles d’ailleurs, les travaux avaient déjà dévoré bien des collines jusqu’à Louveciennes afin de faire venir l’eau de la Seine en mes bassins et fontaines.
— Ce palais que vous pouvez distinguer n’existait pas quand je suis arrivé, il n’y avait que la partie centrale. J’ai agrandi l’ancien pavillon de chasse de mon père, j’ai fait assécher les marais qui l’entouraient afin de construire ces jardins.
Le prêtre eut l’air plus inquiet encore en m’écoutant.
— Des marécages, Sire, vous avez peut-être fait un outrage au peuple de l’eau, celui des ondines et des nymphes. Ils sont parmi les plus dangereux : on ne peut les acheter et ils sont maîtres dans la manipulation, la dissimulation et les charmes.
Je perçus des signes de nervosité chez lui alors que nous atteignions le sanctuaire.
— Vous les avez vus danser à vos bals et jouer dans vos bassins ?
— Je n’ai pas vu de créatures dans les bassins, seulement en rêve. En revanche, un courtisan s’y est noyé. Après cette tragédie, nous avons béni le bassin mais…
Je m’interrompis en le voyant hausser les sourcils de surprise.
— C’était là une idée originale, qui a pu les mettre en déroute, cependant, je doute que ce soit suffisant.
Le problème étant posé, ce qu’il nous fallait à présent, c’était une solution.
— Que devons-nous faire ?
Le prêtre resta pensif.
— Majesté, je n’en ai pas la moindre idée, je ne suis qu’un abbé de campagne qui tente de comprendre comment le petit peuple se manifeste par chez lui et si l’on peut cohabiter ensemble sans trop en souffrir.
Au moins était-il humble, ce qui me poussait à avoir foi en lui. Cet homme connaissait son sujet, aussi décidais-je de pousser plus loin l’investigation.
— Que savez-vous de la Reine des fées ?