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CHAPITRE 9

CHAPITRE 9

Published Apr 1, 2022 Updated Apr 1, 2022 Culture
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CHAPITRE 9

Jeux d’eau dans les jardins – Confirmation des soupçons – Vigilance redoublée.

Mon regard se perdait dans les circonvolutions de l’eau. Les fontaines de Versailles n’étaient alors ce qu’elles deviendront par la suite. Il faudra des années de chantiers pour certains inaboutis d’ailleurs, faute de temps et d’argent, pour que la féérie des eaux dont je désirais parsemer les jardins de mon palais jaillisse. L’on ne pouvait en profiter que le temps d’une promenade, car s’ils devaient fonctionner en permanence, il n’y aurait plus de rivières coulant dans la région. La Seine étant trop éloignée pour les alimenter. J’ai même eu le projet fou d’un aqueduc qui n’a jamais pu se faire. En ces temps-là, lorsque je me baladais dans les jardins qu’avait dessinés Le Nôtre, une petite armée ouvrière ouvrait les tuyaux pour faire jaillir l’eau devant mes pas.

Je m’étais arrêté devant la majestueuse fontaine, merveille des bassins qui rendait le palais encore plus admirable. Ce n’était point le calme et la volupté apportés par la danse des gouttes sibyllines que je cherchais, mais plutôt le souvenir d’enfance qui m’était revenu en rêve, de cet instant fatal où j’avais basculé. Perrette avait confirmé que ce rêve était bien réel. Bontemps disait que mes cauchemars étaient le second conseil que je tenais, et qu’il était après tout coutume pour le roi de France de tenir conseil en son lit. La réflexion m’amusait d’autant plus qu’elle avait quelques vérités en cet instant effrayantes.

Avais-je travesti le souvenir, doté d’une atmosphère fantastique, ou bien avais-je réellement distingué un rire cristallin se dissimulant dans le clapotis des gouttes projetées ? Y avait-il eu une belle ondine portant encore les rondeurs de l’enfance jouant dans les eaux et m’invitant à la rejoindre ? Le petit garçon que j’avais été qui prenait des bosquets pour des forts et des fourmis pour des armées ennemies pouvait-il avoir imaginé cette créature divine et enchanteresse dont la beauté m’avait autant subjugué que son chant ? Car il me semblait qu’elle avait chanté. Mais peut-être que cela aussi je l’avais imaginé.

Toutefois, la persistance de ce rêve ajoutait des détails au souvenir dont Perrette avait confirmé l’existence. La peau de la créature me paraissait irisée d’un bleu cristallin, et lorsqu’elle se mouvait, je distinguais un fin ciselage d’écailles si délicates qu’elles étaient à peine visibles et produisaient un irrésistible jeu de lumière permettant à la créature de disparaître dans les éclaboussures dont elle prenait la teinte. J’en fis la déduction qu’il se pourrait bien qu’elle se rende invisible pour peu que la lumière tombât sur elle comme il le fallait.

Moi-même n’avais-je pas maintes fois orchestré mes apparitions pour paraître tel le soleil ? Mon frère lui-même participait à la mascarade en déplaçant le mobilier à chaque fois qu’il passait dans mes appartements où qu’ils fussent ?

Car aussi vrai qu’un roi peut tenir conseil dans son lit, il était partout chez lui selon la tradition nomade des monarques européens, à l’exception peut-être du roi anglais qui se terrait dans sa tour de Londres. Mais mon père et mes aïeux se sont toujours déplacés de château en château rendant ainsi visite au peuple autant qu’aux nobles qui devait leur réserver bon accueil. Pour ma part, j’avais réduit ces voyages. Les grands exigeaient d’immenses déplacements au travers de la France que je réservais aux mariages, alliances ou à la guerre tant ils étaient coûteux. Les petits étaient un simple changement de demeure royale.

Je revenais l’hiver au Louvre à Paris, bien que la capitale me fît horreur depuis la Fronde, bien trop de mauvais souvenirs s’y trouvaient et le Louvre était difficile à chauffer. Les Tuileries étaient plus confortables, mais des souvenirs plus douloureux encore m’y attendaient. Je préférais mes séjours estivaux à Saint-Germain, qui est mon éternel refuge, à Vincennes, si agréable qu’elle servit même de prison royale à mes oncles frondeurs. Bien sûr, il y avait à Saint-Cloud la demeure si élégante de mon frère qu’il convenait de visiter si je voulais le voir sourire sans que j’eusse à poser un long regard inquiet sur sa personne. Mais de tous ces palais, je leur préférais Versailles dont les travaux avançaient d’autant plus vite lorsque je m’y trouvais, mais la poussière et le bruit du chantier perpétuel gênaient ma Cour et affectaient mes ministres si bien que nous n’y séjournions que trop rarement à mon goût.

Chacun de ces châteaux avait une si longue histoire que la présence de fantômes paraissait concevable, mais des créatures chimériques ? Toutes ne disposaient pas de jeux d’eau. Le Louvre en était totalement dénué, il ne possédait d’ailleurs de jardins à ma plus grande tristesse. C’est peut-être en cela que je trouvais Paris étouffant, avec toutes ces maisons les unes sur les autres, ces rues si réduites qu’on voyait difficilement le soleil y pénétrer. Il faudra un jour ouvrir ces rues quitte à en détruire ces antiques bâtisses, et faire ce que j’avais fait à Versailles, quelques lieux lumineux et empreints d’une beauté qui éblouirait le monde.

Les jeux d’eau avaient poussé si loin mes pensées. Je détournai le regard pour le porter vers Bontemps qui accourait. Il était flanqué d’un mousquetaire ce qui n’était point inhabituel, mais en constatant que c’était D’Artagnan en personne je fronçais les sourcils. Le protecteur de feu ma mère n’était pas seulement responsable de ma sécurité, il lui arrivait de procéder à des arrestations de personnages de haut rang comme Fouquet ou mes oncles lorsqu’ils trahirent ma mère. L’affaire devait donc être grave.

— Messieurs, fis-je en les accueillant.

Les plumes du chapeau de mon capitaine des mousquetaires balayèrent le sol, ou du moins l’effleurèrent.

— Sire, les médecins ont étudié la dépouille à votre demande, m’expliqua Bontemps. L’homme a été égorgé et suspendu par les pieds tel un cochon qu’on vide de son sang.

L’image paraissait d’autant plus terrible qu’ainsi le corps était la représentation du pendu d’un paquet de cartes de tarot souvent utilisé pour la divination dont la marquise m’avait une fois initié. Ce fut un désastre puisque cette carte tant redoutée apparut.

— Ce n’est guère l’action de quelques bandits…

— Non, sire, me coupa Bontemps ce qui n’était pas du tout dans ses habitudes, l’égorgement encore aurait pu l’être, mais suspendre un homme et attendre qu’il se vide de son sang, cela ressemble plus à une pratique de sorcellerie.

Mon regard se posa sur D’Artagnan. Sa présence demeurait une énigme que Bontemps ne semblait daigner élucider.

— Il nous faut pousser l’enquête plus loin, ne nous lançons pas dans une chasse aux sorcières sur ce qui reste pour le moment un meurtre sordide, répondis-je en quittant des yeux le capitaine pour observer mon Valet.

— La Reynie a commencé à étudier la question. Selon ses dires, les rumeurs autour de la pratique de magie noire sont légion dans la région. Même à Paris, de nombreux alchimistes préféreraient concocter des poisons plutôt que transformer le plomb en or.

À mes yeux, ceux prétendant faire de la magie vendaient surtout des mensonges. Leurs potions d’amour n’étaient rien d’autre que de la drogue. Et je connaissais le goût hélas trop prononcé de la noblesse pour les poisons que ces charlatans fournissaient. Les femmes se débarrassaient ainsi d’époux tardant trop à mourir, les neveux de vieilles tantes dont l’héritage devenait une nécessité. Les dettes dues au jeu n’arrangeaient rien. Lutter contre leur présence était difficile et rendait le travail de la police d’autant plus délicat. Mais cela était sans doute préférable au temps d’Henri III où les coups de dagues et de poignards étaient légion à la Cour.

— Bontemps, me direz-vous pourquoi le capitaine vous accompagne ?

Ce dernier hocha la tête avec un air de gravité qui m’inquiéta.

— Nos soupçons portent sur une société d’individus vendant leur âme au Diable. Le fait d’avoir mis à jour leur méfait pourrait vous valoir d’être en danger, Majesté.

Cette conclusion me sembla très raccourcie, ceux ayant suspendu ce corps au Sanctuaire devaient bien se moquer qu’il soit trouvé autrement ils ne l’auraient laissé ainsi offert aux bois et à ceux s’y promenant. Peut-être n’imaginaient-ils pas qu’une enquête serait menée. Toutefois, de là à croire qu’ils pourraient oser s’en prendre à leur Roi me paraissait peu probable. Bontemps était cependant inquiet et sur un soupçon d’empoisonnement, il pouvait réunir une armée de goûteurs.

— Très bien, si vous estimez qu’il y a menace, que la garde soit doublée.

D’Artagnan s’avança, intervenant sans avoir été consulté, ce que peu de personnes s’y seraient risqué. Mais à l’homme ayant veillé à ma protection au plus fort des troubles de la Fronde et ayant si souvent aidé ma mère, je ne refusais rien et n’avais jamais pris ombrage de ses manières de gascon. Après tout, j’avais quelques ancêtres l’ayant été.

— Votre Majesté, nous pensons qu’il faudrait redoubler de vigilance lors de vos sorties, en particulier durant les chasses où vous…

Je le coupais, voyant parfaitement là où tous les deux voulaient en venir. D’Artagnan n’était là que pour me faire céder, je reconnaissais bien là l’esprit de mon Valet, qui connaissant mon cœur savait que je ne pourrais dire non à mon capitaine.

— Je ne m’éloignerai plus durant les chasses, messieurs je vous en fais la promesse. Et puisque vous l’estimez important, la garde sera doublée lors mes sorties dans les bois. Chasse ou pas.

Je vis à leurs expressions qu’ils étaient contentés, ce qui m’arracha un sourire, car enfin ils m’avaient apporté une information importante. Mes soupçons n’étaient point une folie, quelque chose se tramait et ce que j’avais vu au sanctuaire n’en était que le signe avant- coureur.

Retrouvez les aventures de Louis XIV dans les chapitres suivants !

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