CHAPITRE 2
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CHAPITRE 2
L’inquiétude d’un Valet – La subsistance de superstitions – Un mauvais pressentiment.
— Vous vous êtes mis en danger, sire, me reprocha Bontemps en me pourchassant dans les passages secrets de Versailles.
J’avais bâti un Palais somptueux que toutes les Cours admiraient déjà, truffé de portes dérobées et de portraits aux yeux coulissant afin d’observer une scène et d’écouter les conversations sans être vus. Naturellement, ce n’était point moi qui jouais ainsi les curieux, mais une foule d’espions, certains à ma solde, d’autres à celle de mes ennemis. Versailles en était bien sûr rempli, comme n’importe quel palais royal, comme n’importe quelle place de pouvoir.
Ces passages secrets m’étaient surtout utiles afin de traverser le château sans être vu. Il était impossible pour ma part de gagner les pièces où se tenaient les courtisans sans être interrompus par ceux-ci et leurs demandes, souvent liées à leur dette, d’une position désirée ou encore au sujet d’un mariage. L’on pourrait croire que ces marchandages m’épuisaient, mais au fond, cela faisait partie des règles du jeu, et je ne pouvais me défiler, sauf en de rares instants où je voulais gagner un temps précieux. Or, à cet instant précis, je regrettais d’avoir pris le passage secret, les courtisans auraient empêché Bontemps de m’accabler avec ses reproches.
— Je vous assure que je n’étais point en danger, vous étiez juste à côté avec une bonne dizaine de mousquetaires, je ne risquais absolument rien.
Je me tournais vers Bontemps qui m’observa de ses grands yeux noirs. La colère n’y brillait déjà plus. Mon valet de chambre était presque comme mon ombre, toujours songeant à me protéger, souvent de moi-même. Je lui étais reconnaissant de veiller ainsi sur moi, même si parfois cette protection devenait pesante.
— Je voudrais savoir qui était cet homme, si c’en était un d’ailleurs et comment il est mort.
Un froncement de sourcil fut la réponse que m’apporta Bontemps. Bien sûr que j’avais des affaires plus urgentes que cette dépouille sur laquelle j’étais tombé.
Ce n’était pas d’avoir croisé un défunt cependant qui me troublait, j’avais déjà été confronté à la mort, peut-être plus que la plupart des gens. Pas seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans l’intimité d’une chambre. Celle de mon père, que son estomac a tué effroyablement lentement et qui agonisa durant mon enfance ou celle de ma mère, que le cancer détruisit tout autant que sa beauté et sa poitrine. J’avais vu la mort de près plus souvent que je ne l’aurais voulu, ce n’était pas un corps de plus qui me tourmentait. Ce qui me dérangeait était ce sentiment qui m’avait gagné dans les bois.
Je m’étais toiletté et changé pour les festivités de ce soir, où Molière donnerait une pièce dans les jardins, pourtant j’avais encore l’impression d’être dans le sous-bois. Je tentai d’éloigner mes pensées de cet odieux endroit et de me concentrer sur l’éclairage aux torches qui était en train d’être préparé.
Je regrettais de ne plus pouvoir monter sur scène comme autrefois, lorsque je dansais sur la musique de Lully et ravissais toute la Cour de mes pas sveltes et gracieux. Je ne pouvais plus désormais goûter ces plaisirs qu’en tant que simple spectateur, mais j’aiguillais encore ce qui était dit dans la pièce comme dans les poèmes d’ailleurs. Tout n’était qu’une question de politique, et l’art était le meilleur moyen d’en faire. Les mots pouvaient être des armes tout aussi redoutables que l’épée, plus féroces encore. Pourtant malgré toutes ces réjouissances orchestrées par mon frère, je ne pouvais chasser de mes pensées la dépouille que j’avais trouvée.
Ce n’était qu’un pauvre homme assassiné par une bande de voleurs. Pour autant quelque chose dans sa tenue, dans sa silhouette, dans la manière dont le corps était disposé, me gênait. Je n’aurais su dire quoi exactement et c’était sans nul doute pour cela que j’y songeais encore au lieu d’être à la fête. Bontemps s’en inquiétait lui aussi. Toujours à mes côtés, y compris la nuit, veillant sur moi-même dans le sommeil, il me connaissait mieux que personne et sentait lorsque quelque chose m’ennuyait. Il s’approcha d’un pas.
— Qu’est-ce qui vous tracasse, sire ?
Nous savions l’un comme l’autre qu’un simple cadavre ne m’émouvait pas de la sorte. Et pourtant, j’aurais été incapable de dire ce qui me gênait si ce n’est la superstition peut-être. J’étais un fervent chrétien, moins que ma mère bien que je le suis devenu dans mes vieux jours, mais je restais un roi choisit par Dieu, et c’était par sa volonté que je régnais. Je n’avais nul goût pour ces croyances telles que l’astrologie pensant que Dieu était mon seul maître, et qu’Il s’exprimait à travers moi. Cela me dérangeait d’autant plus de ressentir cette étrange sensation, de l’avoir ressenti à cet endroit, réputé pour être le siège de sorcières. Je secouais la tête, les boucles brunes de ma perruque suivirent le mouvement.
— Je ne sais exactement, c’est pour cela qu’il faut qu’une enquête soit menée.
Bontemps hocha la tête, ne souhaitant creuser plus le sujet, il me répondit de sa voix grave que je chérissais tant :
— J’en avertirais monsieur de La Reynie.
Ma main se posa sur son épaule, mes yeux s’attardèrent sur les siens. Il me devançait de quelques années seulement, et pourtant il avait une sagesse qui souvent m’étonnait.
— Merci Bontemps.
Ce dernier m’accorda un sourire en retour, j'y voyais un soupçon de morale et de mécontentement voilé. Je sentais que mon escapade m’allait être reproché encore longtemps.