CHAPITRE 44
On Panodyssey, you can read up to 10 publications per month without being logged in. Enjoy9 articles to discover this month.
To gain unlimited access, log in or create an account by clicking below. It's free!
Log in
CHAPITRE 44
Préparatifs des célébrations – le piège se tend – discorde entre frères.
Les festivités s’imposaient, il en allait de la gloire du pays et bien sûr de restaurer le moral des troupes ! Transformer la noyade du champ de bataille en une semi-victoire, puisqu’après tout, nous avions bel et bien remporté de nombreux territoires. Les festivités seraient également un moyen d’oublier ces épreuves, et de glorifier ces batailles.
Tous les soldats étaient donc conviés, ainsi que les officiers bien évidemment, ceux pouvant venir tout du moins. Une telle quantité d’invités effrayait Colbert qui imaginait les dépenses et Bontemps qui craignait pour la sécurité de ma personne et de la famille royale. Personnellement je me souciais plutôt du déroulé de la soirée qui se devait d’être une réussite.
Mon frère était en charge du spectacle : Molière et Lully allaient nous offrir une comédie en musique et Philippe veillerait à chaque détail. Afin de satisfaire les palais, j’avais laissé à Bontemps le soin d’appeler autant de cuisiniers qu’il serait nécessaire et de voir avec le chef afin que nos papilles soient enchantées : soufflets, macarons, veloutés, pièces montées. Mais les autres sens ne seraient en restes ! Je m’étais entretenu avec Le Nôtre afin de m’assurer que les jardins soient illuminés de mille feux. Les artificiers Ruggieri allaient les sublimer avec leurs créations. Enfin, les bassins seraient mis en valeur par des embarcations vénitiennes que nous allions remplir de fleurs aux senteurs parfumées.
Les préparatifs étaient imposants, mais je voulais que la fête soit non seulement inoubliable, que les fées ne puissent résister à l’envie de s’y inviter. Le plan pour les capturer promettait d’être compliqué. Ne pouvant mettre grand monde dans la confidence, tous mes espoirs reposaient sur la capacité de Colbert à dénicher des chasseurs adroits. Heureusement la guerre nous avait rendu bon nombre de soldats, parmi eux, se trouvait sans nul doute des hommes parfaitement capables de s’acquitter de cette tâche, du moins, je l’espérais.
En attendant, je retrouvais mon frère pour les préparatifs. Après tant de batailles, la paix était enfin acquise entre nous. Les difficultés que nous avions eues pour communiquer depuis la mort de notre mère semblaient effacées par les coups de canon hollandais. Rien de tel que combattre l’ennemi ensemble.
Quand j’avais appris pour ces quatre villes qu’il avait prises si promptement, j’en avais été fier, convaincu qu’il avait du talent. En vérité, j’ai presque frémi à l’idée qu’il conquiert trop vite la Hollande que je voulais voir souffrir encore un peu.
À son habitude, Philippe ne perçut que ma jalousie et mon inquiétude, persuadé que je voulais lui retirer ces victoires, m’en attribuer le mérite peut-être. Cette bonne vieille jalousie revenait dès qu’on la chassait.
— C’est la gloire de la France qui compte, lui avais-je dit.
— La France c’est toi.
Je n’avais pu m’empêcher de sourire en l’écoutant.
— Tu sais que c’est toi aussi.
Mais un froncement de sourcil était apparu sur son visage boudeur.
— Je t’en prie Philippe, je ne veux pas être en guerre contre toi. Nous sommes frères, ne pouvons-nous nous soutenir ?
L’air ronchon, il avait secoué la tête en poussant un lourd soupir signifiant que j’avais toujours raison.
— Nous sommes frères, mais je serai toujours le second, toujours dans ton ombre, et même sur le champ de bataille, mes victoires seront toujours tiennes.
Ma main serra alors son épaule dans un geste se voulant fraternel.
— Tes victoires sont pour la France, non pour moi. Je suis peut-être le Roi, mais je suis aussi ton frère. Et je te suis reconnaissant, tu as été brave, même redoutable. Je suis persuadé que Guillaume d’Orange a frémi plus d’une fois.
Le sourire qu’il eut fut trop succinct.
Liselotte, la pimpante Princesse Palatine, m’avait conseillé d’attendre qu’elle lui rende le sourire. Nous savions, elle comme moi, qu’en réalité ce serait ses mignons qui s’en chargeraient. Liselotte était une femme pleine de caractère et de volonté, mais ses charmes et qualités demeuraient invisibles à mon frère. Elle était trop virile pour lui, ironiquement. J’avais plaisir à partir en chasse avec elle et Philippe était trop heureux de nous y laisser ensemble. À mon grand désespoir, il semblait complètement hermétique à sa nouvelle épouse. J’avais une totale confiance en la Princesse, avec le temps, elle réussirait à composer avec son caractère et à l’affiner avec le temps.
Ma propre épouse avait accepté de jouer un rôle dans les festivités, je voulais que les invités puissent goûter au chocolat. Étant donné que c’était elle qui l’avait amené en France dans ses bagages, je pensais qu’elle était tout indiquée pour aider les cuisiniers à composer un buffet où l’on pourrait en boire, mais aussi en croquer. Je n’étais pas particulièrement friand de cet aliment qui ne remplissait l’estomac que de manière éphémère, mais mon épouse en raffolait et elle était loin d’être la seule. J’avais également demandé à ce qu’on utilise les fruits de l’Orangerie. L’idée de mêler les deux fut proposée par la Reine qui avait déjà goûté à ce mélange en Espagne, la fleur d’oranger et le chocolat firent en effet un excellent mariage d’après les courtisans et même Bontemps qui céda à la gourmandise.
Comme il était difficile d’offrir quelque chose à mon épouse sans en faire de même à ma maîtresse, je fis d’Athénaïs la Reine du bal en lui commandant une robe à la magnificence dorée, et je composais ma propre tenue sur la même thématique. Lorsque je lui révélais que c’était pour attirer les fées aux festivités, elle m'observa avec un sourire plein d’audace. Athénaïs avait toujours aimé les défis et celui-ci s’avérait être à la hauteur de ses ambitions. La Cour la surnommait déjà la Reine de Versailles et de ses fêtes, en être l’éblouissante représentation lui plaisait. Mais une telle tenue n’attirait pas seulement l’œil des fées. Je n’avais songé à la colère que ressentirait la Reine. S’il y a bien des choses que je regrette en voici une, je n’ai jamais su ménager les fiertés des femmes que j’aimais.
J’avais vexé Mère. Philippe me l’a avoué bien après sa mort, quand j’avais refusé de l’écouter au sujet de Marie de Mancini, menaçant de rompre tout lien avec l’Espagne, car je voulais épouser la nièce de Mazarin au lieu de l’infante. Et je crois avoir blessé tout autant Marie en l’abandonnant à la raison de l’État. Si j’avais renoncé à son amour plus tôt, la douleur aurait été moins grande. J’avais vexé ma mère en bien d’autres manières, en l’écartant du Conseil, en ignorant ses remarques sur les mœurs dissolues de la Cour et mes maîtresses. J’ose espérer qu’elle ne m’a gardé rancœur et je prie de tout mon cœur qu’elle m’ait pardonné à la fin.
Mais à cet instant, je ne songeais qu’aux fées : j’avais une chance de les battre à leur propre jeu en les attirant au bal qui aurait lieu à la tombée de la nuit après la représentation de la comédie-ballet. J’étais fier du piège que nous avions dressé. J’étais si heureux de voir tout le monde se prêter au jeu que je ne pouvais voir le désastre se profiler, le danger qui menaçait, et plus encore, les cœurs que j’allais piétiner pour y parvenir.