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 CHAPITRE 45 

 CHAPITRE 45 

Published Apr 14, 2022 Updated Apr 14, 2022 Culture
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 CHAPITRE 45 

Soldats au grand bal royal – Le piège se referme – La chasse commence.

 

Molière et Lully s’étaient surpassés une nouvelle fois. Liselotte avait éclaté d’un rire franc qui avait déclenché une vague de fou rire dans le public et Marie-Thérèse avait ri jusqu’aux larmes. Les artistes se disputaient les applaudissements alors qu’ils saluaient leur public. Le succès était complet, l’idée d’associer leurs deux arts était tout simplement du génie. Malheureusement, je présentais que cela ne tiendrait pas sur le long terme. Molière m’avait fait part de la mauvaise humeur de Lully, de ses critiques au sujet de la comédie se mêlant à sa musique. Ce pauvre Lully était nerveux ces derniers temps, se sentant acculé.

Pourtant, il venait d’être nommé à l’Académie de musique. C’était le meilleur moyen de faire taire ses ennemis qui ne cessaient de critiquer sur ses manières italiennes, le caractère baroque de sa musique ou encore sur son vice italien qui, je l’avais déjà prévenu, lui causerait bien des torts à la Cour. Mon cher frère pouvait s’y adonner autant qu’il lui plaisait, même le Chevalier de la Lorraine. Ils étaient nobles, riches et proches du pouvoir. Il serait difficile de leur nuire et de les atteindre sans risquer la prison ou la mort. Mais Lully n’avait d’autre protecteur que moi. J’étais certes puissant et redoutable, mais ses ennemis étaient nombreux et retors.

Lully n’avait pas seulement révolutionné la musique, conquis mon cœur et ma cour, il avait fait passer de mode tous les compositeurs classiques de l’ancienne garde que mon père avait élevée au rang d’académiciens. Ils formaient une cohorte d’ennemis qui chercheraient par n’importe quel moyen à lui nuire et malheureusement, Lully refusait d’être prudent.

Molière avait tenté de l’en avertir. Mal lui en avait pris, depuis Lully se montrait difficile, caractériel et distant. J’avais suggéré à Molière d’attendre que notre ami s’apaise, même moi ne savais plus comment lui parler. J’avais espéré que lui donner l’académie suffirait à le combler. Hélas, cela n’avait qu’accentuer son mauvais caractère et sa guerre fatale avec ses ennemis qui finirait par l’isoler et lui faire perdre le peu d’amis qu’il lui restait.

Après le spectacle, la nuit tombant, les jardins s’illuminèrent comme convenu. La féerie des grandes eaux et des feux d’artifice éblouit mes invités. À mon grand regret, peu de soldats étaient présents. La plupart étant ouvriers sur le chantier de Versailles, ils avaient eu une dérogation spéciale pour ce soir afin qu’ils puissent profiter des célébrations. Mais beaucoup étaient trop fatigués pour s’attarder. Les rares présents étaient ceux chargés de la sécurité des routes qui veillaient sur l’arrivée des invités.

Quant à ceux étant rentrés chez eux après la campagne hollandaise, ils n’avaient pu faire le déplacement même si je leur avais promis un logis pour la nuit et du foin pour leur monture. Néanmoins, le peu ayant pu venir semblait aux anges. Ils applaudirent à s’en rompre les poignets devant la comédie dansante et la plupart restèrent admirer les feux, quelques-uns purent même goûter quelques pâtisseries avant de repartir, mais très peu profitèrent du logis offert.

Chaque soldat que j’ai croisé, je l’ai remercié d’avoir livré bataille pour la France et leur roi, certains se montrèrent reconnaissants du travail offert sur le chantier, d’autres sur les routes de France ou dans la police, mais l’un d’eux me troubla.

— Je rends grâce à Votre Majesté, mais je serais hypocrite de ne point vous dire que notre solde n’a pas été versée correctement et que le chantier a pris mon fils, aussi, je vous sais gré de votre attention présente, sire, mais j’aurais préféré qu’elle préserve la vie mon fils.

Je n’ignorais point que le chantier dévorait les hommes comme les finances du royaume.

— Je suis profondément désolé pour votre perte. Aucun de mes mots ne vous consolera ni vous ni votre épouse, mais je vous prie d’accepter une modeste rente pour vos services. Vous n’aurez plus à travailler sur ce chantier qui vous a pris votre fils.

Le pauvre soldat, au bord des larmes, me remercia. D’autres avaient vécu des pertes aussi tragiques, ce ne fut ni le premier ni le dernier à m’en faire part, et j’essayais d’apaiser comme je pouvais leur douleur. J’espérais que si peu d’entre eux restèrent jusqu’au bal ce n’était pas par rancœur.

C’était le cœur du piège que nous avions conçu avec Colbert. Celui-ci impliquait évidemment D’Artagnan et quelques mousquetaires soigneusement sélectionnés. Bontemps avait insisté : le vieux capitaine ne devait me quitter ; il ne fallait en aucun cas que ces créatures puissent m’atteindre si tel était leur but. Mon valet était toujours aussi réticent, mais pour rien au monde il ne m’aurait laissé seul affronter les fées. Et puis, la présence de D’Artagnan me rassurait moi aussi, il avait veillé sur mon enfance et j’avais pleinement confiance en lui. Quand je le perdrai, au retour en Hollande, mon cœur s’en brisera.

Mais pour le moment, nous étions concentrés sur le piège dont la réussite dépendait des conseils prodigués par la sorcière et le prêtre normand. La nourriture, les ornements, la danse et la musique seraient réunis en un seul lieu, où des croix en fer avaient été cachées. Nous avions prévu de les révéler à mon signal. L’abbé nous avait recommandé d’avoir chacun un bout de fer. De l’aubépine consumée par des flammes pourrait aussi nous protéger, mais le fer serait plus aisé à avoir sur soi. Nous devions agir au milieu d’une foule de courtisans, il fallait que nous demeurions discrets jusqu’au dénouement.

En attendant que les fées se montrent, je goûtai aux délices chocolatés proposés par mon épouse, observai les danseurs en essayant de discerner d’éventuelles étranges silhouettes, mais jusqu’à présent les seules bizarreries étaient de voir les soldats chichement vêtus croiser les courtisans qui rivalisaient de tenues ouvragées à leur habitude.

Mes yeux se posèrent sur la marquise. Athénaïs était d’une beauté éblouissante, elle éclipsait la Reine et cette pauvre Louise qui semblait être devenue l’ombre d’elle-même. J’avais le plus grand mal à lui témoigner encore de l’affection, ce n’était point que je ne l’aimais plus, mais plutôt que la marquise m’avait volé mon cœur et qu’il n’y avait plus de place pour l’amour de jeunesse qu’avait été Louise. Elle m’aimait encore, tendrement, mais je savais qu’elle aussi avait trouvé quelqu’un d’autre pour me remplacer dans son cœur : Dieu. Nous ne pouvions, ni l’un ni l’autre, rivaliser.

M’approchant d’Athénaïs, je pris son bras, suivant le plan que nous avions conçu avec Colbert et le curé d’Anselme, nous devions danser en attendant que les fées viennent à nous. Jusqu’à présent, elles s’étaient manifestées essentiellement à moi, il suffisait donc d’attendre. J’espérais néanmoins qu’elles seraient aussi perceptibles pour mes compagnons que pour moi-même et plus encore, que je n’aurais besoin d’être la proie d’une fièvre pour les voir. Car selon les dires du prêtre les fées paraissaient dans des instants de torpeur, lorsque notre esprit était assoupi. Je bus quelques gorgées de vin dans l’espoir que cela suffise.

Ma délicate et trépidante marquise ne sachant rien du plan dont je l’avais tenue à l’écart était la parfaite distraction. Ses lèvres charnues me chuchotaient d’excitantes promesses, ses doigts délicats remontaient le long de mon échine, son corset pressé contre mon torse m’offrait une vue divine et son parfum entêtant m’envoûtait. Nous étions si rapidement ivres l’un de l’autre. L’amour que nous éprouvions avait éclipsé tout le reste, c’était une passion si ardente qu’elle nous dévorait, littéralement, ne laissant plus grand-chose d’autre, nous laissant exsangues. Il m’est arrivé d’être effrayé par les sentiments si puissants que j’avais pour Athénaïs, et je soupçonne qu’il en fut de même pour elle. Sinon aurait-elle fait ce qu’elle a fait ?

— Tu m’as manqué, Louis, glissa-t-elle à mon oreille en m’enlaçant.

Je ris doucement à cette remarque.

— Nous ne nous sommes quittés que quelques heures auparavant.

— Je ne parle pas d’aujourd’hui, je parle de la guerre, de cette Hollande qui me ravit mon amant, et accapare encore ses pensées. Tu n’es pas totalement avec moi, Louis. Ton corps l’est, mais pas ton esprit, et je commence à me demander si je ne devrais pas te jeter un sort moi aussi.

Je me débattais contre les fées et leur emprise depuis de trop longs mois pour en rire. Je m’écartais avec froideur.

— Ne plaisante jamais à ce sujet, m’entends-tu ?

Athénaïs parut décontenancée. Il était rare que je réagisse ainsi.

Détournant les yeux, mon regard fut attiré par une silhouette tournoyant derrière nous. Une ombre se glissait parmi les danseurs. Aussitôt un pressentiment me gagna : les fées étaient là. La créature que je croyais avoir vue du coin de l’œil fuyait mon attention. Sentait-elle le piège ? La cherchant du regard, je tournais sur moi-même pour la surprendre devant le stand des douceurs chocolatées. Alors que je bondissais vers elle, je manquais d’être renversé par un danseur. En essayant de me redresser, je vis que la créature avait disparu.

Regardant à nouveau autour de moi, je fus saisi d’une sensation de vertige. La tête me tournait, mais je pouvais distinguer la créature, elle volait de la nourriture. Le prêtre n’avait-il pas dit qu’un morceau de pain la révélerait à tous ? Mais elle n’avala rien se contentant d’accumuler dans ses petites mains les mets. Je la pourchassais laissant la marquise surprise et un peu furieuse également.

Le capitaine me suivit et rassembla ses hommes. La chasse avait commencé. Le grisant sentiment de la traque me gagna. Il m’aurait été impossible de la suivre si j’avais été un simple courtisan, mais j’étais le roi et l’on s’écartait en me voyant arriver. Les mousquetaires à ma suite aidaient également à tracer une allée parmi les convives nous permettant de rattraper la créature.

J’ignorais si le capitaine ou les soldats pouvaient la voir, aussi j’attendais qu’elle fût éloignée des invités avant de fondre sur elle. Ma main se referma sur son poignet et un frisson remonta jusqu’à mon échine. Au-delà de la frayeur, je ressentis surtout la joie grisante d’avoir enfin mis la main sur l’une de ces créatures.

Elle me regardait de ses grands yeux aux couleurs bariolées. Je saisis un morceau de pain pour lui présenter à ses lèvres. La chétive créature parut quelque peu effrayée, mais finit par avaler le morceau devant mon insistance.

Je tournais alors la tête vers le capitaine.

— D’Artagnan, voyez-vous ce jeune homme ?

Le capitaine s’avança et hocha la tête.

— Je le vois parfaitement, Sire, dois-je le mettre aux fers ?

À ce mot, la créature frémit.

— Capitaine, je veux m’entretenir avec lui, amenez-le en mes appartements. Assurez-vous qu’il ne s’échappe. Pour cela, je vous ordonne d’user de ces croix de fer qu’on vous a données. Portez-les et s’il tente de s’enfuir ou de résister, appliquez la croix contre sa peau.

La chasse était terminée.

Je sentais encore le frisson du contact de nos peaux. Ces grands yeux posés sur moi n’avaient nulle haine et nulle colère, simplement de la peur. Je n’avais encore vu un regard rempli d’autant de terreur si ce n’est sur le champ de bataille, dans les yeux des pauvres gaillards que nous croisions sur les routes balayées par la Fronde. Ce regard devait me hanter longtemps.

Mais à cet instant, je devais trouver Colbert, lui annoncer la réussite de notre plan puis rejoindre mes appartements. Avant cela, je souhaitais manger quelque chose, j’avais besoin d’avoir l’esprit clair pour interroger la créature et obtenir les informations que je désirais. J’espérais seulement qu’elle parlait notre langue, les choses deviendraient infiniment plus compliquées autrement.

Le prisonnier livrera-t-il ses secrets ? A découvrir dans le chapitre suivant !

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