CHAPITRE 51
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CHAPITRE 51
Le caractère difficile des créatures des marais – Les bons services d’une sorcière – Prévention contre les fées des marais.
Pendant que Bontemps était parti au Louvre sonder les archives, Colbert m’accompagnait avec quelques mousquetaires au village. Les constructions des hôtels particuliers des nobles de la Cour avançaient bon train, j’étais heureux de voir que nombreux avaient choisi de souscrire à cette offre que je leur avais faite : en échange de leur établissement à Versailles, ils étaient exemptés d’impôt locaux et ne pouvaient se faire enlever leur bien. De telles mesures allaient les encourager à s’installer à cet endroit que beaucoup avaient largement décrié.
Versailles n’était certes pas le lieu le plus attirant qui soit : c’était des terres marécageuses remplies de sorcières, brigands de grand chemin, alchimistes et autres fripons. Mais c’était justement parce que ces terres étaient inhospitalières qu’elles étaient peu habitées, qu’il n’y avait personne à chasser ou presque, aucun champ qu’on devait enlever à des paysans rendus exsangues par la Fronde. Et peut-être, voulais-je montrer en disciplinant cette région que rien ne saurait me résister, pas même Paris. Lui aussi finirait assaini comme ces marécages. Bien que ma motivation première demeurait de rester sur les terres où mon père m’avait paru heureux.
Je ressentais sa présence ici plus qu’ailleurs. Pourtant c’était à Saint-Germain qu’il était mort, qu’il avait souffert le martyre. C’était justement ce qui me troublait : ce château où les rois venaient au monde et s’éteignaient, qui avait été le berceau de mon enfance, le palais de mes jeunes années ne pouvait être celui qui représenterait mon règne. Les travaux qui pourtant s’imposaient pour Saint-Germain autant que pour le Louvre ne pouvaient être mon héritage. Aucune de ces demeures ne m’inspirait la sensation de pouvoir bâtir mon propre royaume, aucune ne me donnait autant l’impression d’être proche de mon père que ce pavillon de chasse et ces terres sauvages et indomptables l’entourant.
Mais aujourd’hui, c’était l’obscurité que je découvrais, c’était dans l’ombre de mon père que je marchais, dans ces zones d’ombres qu’il m’avait cachées, dans ce qu’il n’avait pu partager. Je doutais que Mère fût au courant de quoi que ce soit, elle n’aurait jamais permis que je reste dans l’ignorance à ce sujet, pas plus que Philippe. Même le cardinal n’aurait omis une information si capitale. Et cette ignorance m’avait déjà coûté très cher.
Je ne me contenterais cependant d’un simple pacte de non-agression, je voulais une négociation habile et pour cela je me devais de tout savoir, connaître leurs fragilités comme leurs forces et le moyen de les faire plier. Je ne devais me limiter au Seigneur des Marais. D'ailleurs, je doutais que ce soit avec cette créature que mon père et mes ancêtres eussent traité, il était plus vraisemblable qu’ils aient tissé cet accord avec un roi si ce n’est le Haut Roi.
La calèche s’arrêta à l’entrée du village. C’était plus un hameau qu’un village en vérité : les habitations étaient de tailles réduites et éparses, il y avait une auberge et une poste avec une écurie pour changer les chevaux. Nous traversâmes l’unique rue pour gagner la dernière maison avant la forêt où Colbert avait hébergé la sorcière. La présence de celle-ci en ces lieux ne devait troubler personne si je me fiais à la réputation du lieu, c’était plutôt la nôtre qui étonnait, attirait les regards.
Les mousquetaires étaient hélas nécessaires. Les rares nobles s’étant aventurés jusqu’ici sans escorte avaient été dépouillés, certains tués. À mes ordres, La Reynie avait déployé des soldats transformés en policiers le temps que le gel rende praticable les terres noyées hollandaises. J’espérais que cela suffise pour éloigner les brigands, mais la manière la plus habile de les chasser était de changer ce hameau mal famé en une honnête ville, d’offrir à tous ces hommes un travail afin qu’ils ne préfèrent la vie criminelle.
La sorcière était attelée à ses concoctions quand nous franchîmes le seuil. Elle abandonna ses activités en se tournant vers nous, m’octroyant une révérence. Je parcourus la pièce unique de cette maison du regard, il y avait là tout l’attirail attendu d’une sorcière, je me demandais si elle recevait des clients ici, si des nobles de la Cour venaient la voir. Mon regard s’arrêta sur des fioles dont l’aspect était des plus répugnants. L’odeur qui régnait n’était pas ragoûtante non plus. Nos nez plissés en témoignaient.
— Madame, nous avons une nouvelle fois besoin de vos conseils, d’autant que les précédents que vous nous avez donnés ont été fort précieux.
La sorcière se releva et ses yeux vinrent à ma rencontre avant de glisser sur les hommes m’accompagnant puis revinrent à moi.
— Je suis bien aise, Majesté, que mes conseils vous aient été utiles.
Elle eut un sourire qui avait quelque chose d’abominable, où ses rides se soulevèrent à l’unisson.
— Nous avons réussi à capturer une créature. Nous l’avons questionnée et elle nous a mentionné un Seigneur des marais, cela vous dit-il quelque chose ?
La vieille femme s’approcha de moi sous le regard suspicieux des mousquetaires et de Colbert. J’avais tenu à ce que D’Artagnan soit avec nous, car si nous allions voir le Seigneur des marais, il faudrait qu’il nous accompagne. Je voulais qu’il entende la sorcière afin qu’il puisse avoir une idée précise de notre ennemi.
— Je ne connais le Seigneur de ces marais, Sire, je ne suis ici depuis suffisamment longtemps. Cependant, je connais le peuple des marais et ses manières et je vois comment sont les gens ici, ils craignent ces créatures et leur font des sacrifices.
Observant la femme, j’inspirais doucement et essayais de ne pas avoir l’air menaçant en posant cette question.
— Quel genre de sacrifice ?
— De la nourriture la plupart du temps, Sire. Je ne crois pas qu’on pratique encore les sacrifices humains…
Je la coupais sèchement.
— Hélas, madame, une dépouille retrouvée au Sanctuaire prouve le contraire.
D’Artagnan et moi-même scrutions l’expression de la sorcière, nous voulions vérifier ses réactions. Elle ne laissa passer qu’une légère surprise à l’annonce.
— Majesté, je l’ignorais.
— Je ne vous accuse de rien, madame, je souhaite que vous sachiez tout de la situation afin que vos conseils soient utiles. Nous avons besoin de vous. Je veux négocier avec ce seigneur des marais et mettre fin à ces agissements. Aidez-moi, je vous en prie.
— Je me renseignerais sur lui afin de connaître son caractère et de vous conseiller au mieux, Sire, fit-elle en s’inclinant, restant quelques instants ainsi penchée.
— Relevez-vous et dites-moi ce que vous savez sur ces créatures.
J’avais pitié de son vieux corps qui plié en deux devait souffrir. La sorcière se releva alors, son regard sombre se posa sur moi, et un sourire ourla ses lèvres.
— Ces créatures sont versatiles, Sire, les fées des eaux sont souvent retorses. Celles des rivières aiment séduire les humains, mais celles des marécages sont des fées plus sombres habituées à marchander avec les sorciers plus qu’avec les rois, Majesté. Ce sont de féroces créatures, souvent méchantes. Les autres fées les considèrent comme de moindres qualités et cela renforce leur amertume. De ce que j’en ai entendu, elles sont difficiles en affaires. Je ne sais si vous pourrez en obtenir quelque chose, Sire.
Lèvres pincées, je réfléchissais à ce qu’elle nous racontait. Cela rejoignait ce qu’avait dit le prêtre à ce propos. Lui aussi les redoutait. J’avais pourtant besoin qu’il participe à ces négociations.
— Nous n’avons le choix, madame. Quels sont vos conseils en la matière, quels sont leurs points faibles, s’elles en possèdent ?
La vielle femme secoua la tête, elle semblait pensive elle aussi.
— Malheureusement, vous allez être limité dans vos moyens, ils craignent le fer évidemment, les croix leur déplaisent, leurs propres armes peuvent être retournées contre elles, mais vous devrez oublier les miettes de pain ou le sel, car ces créatures quittent rarement leur domaine. De plus, elles sont méfiantes et redoutables.
Ces indications me semblèrent insuffisantes, il nous en fallait plus pour mener des négociations.
— Que pourraient-elles désirer ?
La sorcière réfléchit à nouveau, laissant s’égrainer les secondes avant de répondre.
— D’être reconnue, d’avoir de la nourriture plus conséquente, si vous leur donner de quoi tenir l’hiver, peut-être parviendrez-vous à les amener à des sentiments plus doux, mais ce sont des rustres et des sauvages habituées aux rigueurs, se méfiants des Cours, quelles qu’elles soient. Elles ne connaissent que la loi du plus fort. Je ne suis même pas certaine que vous puissiez les attirer ni les enchanter par de la musique ou de belles parures.
— Vous voulez dire qu’elles sont tant redoutées et négligées qu’elles en sont devenues farouches ?
— C’est cela Sire.
— Redoutent-elles quelque chose ?
La sorcière observa un instant de silence.
— Comme toutes les créatures, j’imagine, d’être oubliées, de voir leurs terres envahies. Les créatures des marais sont pareilles à celles des bois et des rivières, elles sont attachées à leurs territoires à leur caractère sauvage, elles n’aiment pas les villes et les redoutent.
Je réalisais que peu importait le passé, en asséchant les marécages et en bâtissant une ville moderne en ces terres j’avais provoqué la colère de ces créatures. Les négociations seraient difficiles, voire impossibles. Je doutais même que le Seigneur des Marais veuille seulement m’écouter, mais je n’avais le choix. Je ne renoncerais pas à mon rêve, et puis les constructions étaient par trop avancées, même si je l’avais voulu, y renoncer aurait été impossible.