CHAPITRE 8
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CHAPITRE 8
L’esprit éclairé de la marquise – Sieste crapuleuse – Demande particulière.
La marquise m’accueillit avec son sourire que j’aimais tant. L’on ne savait trop s’il était impérieux, séducteur ou victorieux. Je rejoignis ses bras et ses lèvres retrouvèrent les miennes. Nos corps ne se connaissaient que trop bien, nous n’avions plus besoin de mots pour aiguiller notre désir même si j’adorais l’écouter me compter les ragots de la cour.
Elle n’avait son pareil pour transformer des histoires somme toute banales en anecdotes m’arrachant un sourire et parfois un rire. À plusieurs reprises, je lui avais dit qu’elle ferait un tout aussi bon auteur que Molière ou Racine, peut-être entre les deux à dire vrai. Elle répliquait, amusée mais non moins mordante, que les femmes n’avaient malheureusement pas vraiment le droit d’officier dans de tels domaines.
Ma chère marquise avait mille fois raison, tant de métiers étaient refusés aux femmes. Même à ma mère, elle ne fut que la régente, pourtant, à mes yeux elle fut un Roi, et tout aussi adroite si ce n’est plus que ne le fut mon père. Le Cardinal la conseillait peut-être fort bien, mais elle seule parvint à garder le trône au milieu de la tempête, elle fut également une adroite chef des mousquetaires, même si d’Artagnan menait la danse c’était indéniablement sous ses ordres et si les Frondeurs ne purent m’atteindre ce fut grâce à elle.
— Je suis au regret d’être ton seul public lui avais-je alors répondu.
Ma gracieuse marquise glissant son doigt dans mes cheveux et les repoussant derrière mon épaule avant de déposer ses lèvres au creux de ma nuque avait murmuré à mon oreille :
— Je ne voudrais avoir d’autre public. Il est avantageux de se produire devant un public limité, on y souffre moins de critiques.
Là-dessus, elle se trompait. Nombre de courtisans comptaient dans les critiques en question, supportant fort mal d’être raillés, en dépit de leur ridicule. Je crois qu’au fond, elle en était terriblement consciente et en souffrait, mais que son caractère l’obligeait à n’en montrer signe, pas même à moi.
Nous nous étions courtisés, il me semblait, des années durant avant que je rejoignis sa couche. Nous nous sommes connus enfant, jouant à la guerre, et moi au Roi la menant. Nous attaquions des forts imaginaires en des villes pourtant très réelles. Nos jeux innocents eurent des échos tragiques quand la Fronde éclata. Mais à l’époque, nous n’étions que des enfants, il fallut qu’elle devienne une épouse et revienne à la cour, pour que je la visse non plus comme une petite sœur, mais comme une amante.
Longtemps, nos regards se sont croisés sans que mot ne soit dit, puis nos peaux se sont effleurées, puis des mots aimables, parfois amusés furent échangés, enfin, nous avons trouvés des passages secrets, des alcôves boisées en les jardins pour accueillir nos amours naissantes. En ces années-là, mon cœur appartenait encore à Louise. Quoi qu’on en dise, elle me l’a rendu en entrant au couvent, mais avant cet acte, que j’avais considéré comme un abandon, j’avais pour la marquise de l’intérêt vif, et une passion naissante que nos corps ont vite consommé.
Ses lèvres mieux que personne savaient apaiser le flot de mes pensées, me faire oublier les tracas du conseil, de la guerre à nos portes, et des coûts de la construction de Versailles faisant hurler Colbert. Je gagnais presque le paradis d’un baiser.
Mais avec Athénaïs rien n’était jamais simple. À peine nos lèvres séparées, nos corps se chevauchèrent, avant que nous ne l’eussions compris, nous nous retrouvâmes nus et couverts d’un filet de sueur, dans des draps qui n’étaient encore prêts à nous accueillir. Le soleil de l’après-midi dorait le ciel, visible depuis les appartements de ma marquise qui donnait sur les jardins. Je voulais les voir où que je fusse, c’est pour cela que je me suis assuré que sa chambre eût une vue agréable.
Tant que nos corps s’unissaient, mes pensées étaient tout à elle, et les ombres de la nuit me paraissaient si éloignées alors que le soleil illuminait la scène de nos amours. Mais à l’instant où nos corps rompus par les plaisirs et l’amour s’effondrèrent dans les draps, les ombres reprenaient leurs formes : des silhouettes humanoïdes, gracieuses et sveltes, avec des yeux fauves qui brillaient dans l’obscurité.
Mes doigts s’attardèrent dans ses cheveux, éloignant les mèches égarées de son visage fort joli d’ailleurs. Un sourire s’étalait sur les miennes tandis que je roulais sur le côté afin de l’admirer tout autant que pour lui faire la conversation.
C’était devenue une obsession dont je ne parvenais à me défaire. Des créatures surnaturelles et parfaitement étrangères habitaient-elles mon palais, hantaient-elles mes nuits, ourdissaient-elles un complot à la faveur de l’obscurité ?
— Athénaïs, ma douce, continues-tu de voir une voyante ?
Elle tourna son altier visage vers moi, ses grands yeux verts me dardaient avec une certaine curiosité.
— Pourquoi me poses-tu cette question, tu n’as jamais cru en ces choses-là ?
Son doigt impérieux et taquin glissait le long de mon torse cherchant à y creuser un chemin sinueux. Je l’observais d’un sourire amusé, nous étions amants que depuis peu, mais déjà, elle paraissait tout connaître de mon âme. Cela n’aurait dû m’étonner, Athénaïs en avait les clés depuis longtemps.
— J’ai besoin de vérifier quelque chose et seul quelqu’un pratiquant la magie pourrait m’y aider.
Son regard s’enfonça en moi, toujours plus perplexe. Ma délicate marquise n’était pas du genre à se laisser aisément duper. Mais elle connaissait autant ma fierté que mon âme.
— J’en vois une, mais sache mon beau prince que les médiums ne révèlent pas toujours des choses plaisantes à entendre.
Je soutins son regard inquisiteur. Je ne souhaitais lui révéler ce que j’avais vu dans les bois, mais je n’en avais besoin. Athénaïs était soupçonneuse, mais à d’autres égards. Elle connaissait ma fierté et ma soif de gloire. Elle avait raison, si j’avais consulté un médium à cette époque-là qui ne m’aurait donné la vision d’un futur glorieux j’aurais été d’une humeur exécrable et capable du pire sans nul doute. Mais à cet instant, ce n’était du futur dont je voulais m’enquérir, mais du passé.
— N’aie crainte, murmurai-je en saisissant ce doigt impétueux et le glissant entre mes lèvres, je le suçai délicatement sans la quitter des yeux, elle finit par reprendre son index et roula sur le flanc pour me toiser d’un regard taquin.
— Très bien, je te donnerais son nom, je peux même la faire venir ici, à condition que tu me promettes de ne point lui nuire, qu’importe ce qu’elle te dira.
Je me baissais vers elle, et embrassais sa généreuse poitrine qui ne fera qu’enfler avec les années et les enfants que je lui donnerais, fruits de nos passions et amours.
— Je te le promets.
Une promesse si aisée à formuler quand je ne savais encore ce que je cherchais. Je n’avais que de vagues soupçons, des idées confuses qui me trottaient en tête et m’obsédaient, creusant en ma caboche un sillon glacé dont je ne parvenais à totalement me défaire. Mais Athénaïs avait raison, les médiums n’offraient pas toujours des réponses plaisantes et j’allais en avoir la confirmation.