CHAPITRE 39
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CHAPITRE 39
Des victoires pour la France – Les flots furieux – Erreur stratégique
Notre avancée fut prompte, si rapide, presque trop facile. Bien des villes tombèrent sans même que bataille ne soit livrée, la peur de la famine et de la maladie suffisait. À mesure de notre progression, l’écho de nos victoires faisait céder les petites cités ne pouvant tenir un siège, seules les grandes nous donnèrent du fil à retordre. Philippe eut le succès d’obtenir quatre villes d’affilée provoquant la jalousie des généraux ainsi que la mienne. La gloire l’auréolait même si c’était celle de la France qu’il grandissait. Si bien que je ne songeais qu’à le rattraper.
Turenne et Condé étaient tout aussi efficaces. Ces généraux avaient été de redoutables ennemis lors de la Fronde, je les préférais de mon côté. J’avais vite compris que la meilleure manière d’occuper de semblables esprits guerriers était de leur offrir une campagne où se déployer et briller. Et il n’y avait de meilleure manière de sceller une amitié que de combattre ensemble.
Seulement, les Hollandais étaient de redoutables adversaires et Guillaume d’Orange par ses espions était averti de nos avancées. Je le soupçonne d’avoir volontairement cédé toutes ces villes afin de protéger le joyau qu’était Amsterdam. Il m’y attendait. Là serait le véritable champ de bataille, toutes celles remportées précédemment n’étaient rien, aux yeux de Guillaume du moins.
En vérité, même si ces villes gagnées élargissaient le territoire de la France, il me faudrait une victoire écrasante contre Guillaume. Je savais que je ne pourrais exiger toute la Hollande. Le Saint Empire Germanique et Rome s’y opposeraient. Mais si je voulais garder au moins la Lorraine et quelques territoires annexés, je devais arriver en position de force à la table des négociations.
Ce que Guillaume d’Orange ignorait c’est qu’il n’était qu’un pion sur l’échiquier où nous nous affrontions, Léopold et moi. Ce dernier n’avait ni ma rage de vaincre ni mon ambition, mais il possédait l’appui de Rome et la puissance hégémonique bâtie par Charles Quint. Je ne pouvais la diminuer qu’en grignotant son Empire morceau par morceau et en le délestant de ses alliances. Ce serait un long travail, mais j’avais la volonté pour le faire.
L’un de ces fronts était la Hollande, mais l'autre, tout aussi important, était mené Colbert et ses alliances commerciales avec l’Afrique et l’Orient. L’un de nos accords principaux, tissés avec le Sultan turc, nous permettrait de menacer le Saint Empire en l’encerclant. C’est cette menace que je comptais agiter lors des négociations. J’avais réussi à obtenir de Léopold un traité de neutralité qui m’avantageait harmonieusement en isolant la Hollande.
J’avais hâte d’affronter Guillaume après tous ces mois passés à lui faire une guerre de sape en déconstruisant ses alliances, en lui coupant les vivres avec des blocus qui furent tragiques tant la Hollande dépendait de son commerce pour survivre. Elle n’avait qu’un territoire réduit qu’il fallait sans cesse protéger des flots, mais bénéficiait de grands nombres d’ateliers, d’usines, de manufactures et d’un emplacement stratégique pour ses ports. C’était aussi les raisons de cette guerre, défaire un peu cette puissance qui nous faisait de l’ombre.
Avant d’atteindre Guillaume à Amsterdam, les Hollandais tentèrent de négocier un cessez-le-feu, mais aucune de leur proposition ne me convainquirent, elles arrivaient bien trop vite. Notre avancée bien qu’éclatante et victorieuse n’avait pas été assez importante pour qu’ils me cèdent les territoires que je voulais. De sorte que nous continuâmes.
Désespérés, les Hollandais détruisirent les digues les protégeant des flots. Ce faisant, ils noyèrent une grande partie de leur pays à la seule fin de couper notre avancée. Mais cette décision stratégique fut néanmoins une réussite. Elle ne pouvait émaner que de Guillaume d’Orange. Il n’était pas encore pleinement au pouvoir, mais déjà, il s’avérait prêt à tout pour sauver Amsterdam, y compris priver sa population de nourriture pour toute l’année, et se rendre ainsi totalement dépendant de ses alliés qui pourtant l’avaient trahi en ma faveur.
Le souvenir des eaux furieuses se déversant devant nous à la vitesse d’un cheval au galop me revient en mémoire. Elles ravagèrent tout sur leur passage, fauchant les cultures comme les bêtes et les hommes. Même les constructions en pierre et solides comme églises et villages furent balayées. Mon souffle fut coupé par ce tragique spectacle de ce sacrifice fait par le peuple hollandais.
Bien sûr, je comprenais que ces flots furieux étaient avant tout un désastre militaire pour la France. Pourtant, j’eus de la pitié pour ces paysans dont les terres étaient dévastées et les maisons emportées par les eaux. La guerre est terrible dans la misère qu’elle apporte, dans les désastres qu’elle provoque.
Pendant que nous luttions dans la boue, Guillaume prenait enfin le pouvoir qu’il attendait, laissant les frères De Witt lynchés. L’écho de leur exécution qui fut des plus horribles me parvint, et j’eus un frisson glacé en constatant que Guillaume avait laissé ainsi son tuteur subir la fureur d’une foule déchaînée. Il y avait là une sauvagerie qui me rappelait celle de la Fronde et plus encore, la mort de Charles Ier qui m’avait tant marqué enfant.
Ce fut à cet instant de débâcle que la fièvre me saisit. Mon corps devint brûlant en un rien de temps. Je n’étais pas le seul atteint par ces maladies qui suivaient les armées, décimant les peuples comme les soldats. Beaucoup de braves furent terrassés par cette fièvre pourpre qui avait déjà tenté de me ramener à Dieu. Cloué au lit, je délirais et prenais conscience des spectres et les ombres sur le champ de bataille que je m’étais refusé à voir jusqu’ici, je vis même ces terribles monstres aquatiques emportant les pauvres soldats dans les profondeurs boueuses.
Une nuit, au plus fort de la fièvre, je rêvais que je traversais les flots avec mon armée. Convaincus que les chevaux nous porteraient, nous étions résolus d’attaquer sans plus attendre Amsterdam. Mais alors que nous étions au milieu des eaux plus apaisées, des mains s’accrochèrent à mes jambes et tentèrent de me faire tomber de cheval, je vis des soldats sombrer dans les eaux profondes, j’entendis leurs hurlements avant que ces créatures ne parvinssent à m’engloutir.
Là, sous le liquide sombre, je distinguais les villages, les champs et même une église où la lumière brillait. Je vis alors mes soldats luttant encore pour certains, mais la plupart avaient accepté leur sort. Ils se laissaient embrasser par les sirènes et les naïades. Je bataillais moi-même pour me détacher de celles qui m’entraînaient par le fond. Mon regard s’accrocha aux lueurs émanant des vitraux. Se pouvait-il qu’il y ait Dieu sous ces eaux, en ces profondeurs glacées ?
Parvenant à me libérer, je nageais avec fureur vers l’Église. J’y entendis de la musique, ce qui me parut impossible. M’approchant, persuadé d’y trouver refuge, je vis les spectres de noyés s’y rendant. Les cloches sonnaient, non pas pour la messe, mais pour le glas. Et soudainement, tout le décor me parut lugubre. Les trépassés tournèrent vers moi leurs têtes tristes, me fixant de grands orbites béants où l’œil avait été arraché par quelques poissons. Les créatures aquatiques qui tournoyaient autour de nous n’avaient plus l’apparence de charmantes sirènes, mais d’effroyables murènes au corps à moitié humanoïde, dotées de bras et d’une longue queue de poisson.
Je m’éveillais alors en hurlant, baigné encore de sueurs. Les médecins m’appliquèrent des saignées et des tisanes me furent données. Bontemps terriblement inquiet veilla à chaque instant sur moi. Il m’informait de tout ce qui se passait pour l’armée comme en France. Les instructions étaient claires, dès que je serais en état de me déplacer, l’on rentrerait à Versailles. Mon frère m’accompagnerait, il avait déjà fait route pour me rejoindre avec ses bataillons, Louvois était au camp et pensait laisser Turenne ici, peut-être même Condé.
Je trouvais l’idée bonne, il fallait qu’il demeure une présence armée en ces villes remportées. Et si nous maintenions l’ordre, apportions des provisions aux provinces inondées menacées par la famine, il serait d’autant plus aisé d’avoir l’aval des populations quand nous réclamerions ces territoires.
Ce choix de repli ne fut point motivé par une quelconque fuite contrairement à ce que Guillaume prétendit. Je ne pouvais demeurer ici plus longuement alors que nous ne pouvions livrer bataille. Je me devais de remporter une grande partie de l’armée avec moi due aux risques de maladies liés à la présence d’autant d’eau qu’aux provisions qui seraient englouties. Et puis, laisser autant de soldats inoccupés était dangereux, ils risquaient de céder au pillage.
De plus, Bontemps m’avait de plus rappelé que j’avais désormais un second fils et des affaires du royaume exigeaient mon retour, dont celle des poisons dont je n’en avais vu que les prémices jusqu’à présent.
Quant à la guerre, je ne l’abandonnais guère, je reviendrais dès que le gel permettrait de continuer notre avancée. Aussi ai-je laissé Turenne et Condé en place dans les régions frontalières. Plus tard, j’eus des regrets de n’être resté avec eux. Les atrocités qu’ils ont commises n’ont certes pas joué en notre faveur dans le grand jeu des alliances et m’ont valu le mauvais titre de tyran va-t-en-guerre. Contrairement à ce qu’on a prétendu, je n’ai jamais approuvé de telles horreurs, ni mon frère ni moi ne nous y serions adonnés. Nous avions trop souffert, enfants, des privations de la guerre pour songer à laisser de telles atrocités se produire.
Ainsi, dès que la fièvre m’eut quitté, une grande partie de l’armée se mit en branle pour rejoindre Paris. Sur le chemin, la propagande ayant fait son travail, le peuple en liesse saluait le retour des soldats victorieux. En réalité, Guillaume d’Orange s’était offert un large répit, il s’était même permis de se proclamer vainqueur d’une bataille qui de facto n’avait jamais eu lieu. Nous étions plus que jamais des ennemis que tout opposait. Guillaume avait besoin que la guerre soit rapide, afin d’avoir le moins de pertes, pour moi c’était le contraire. J’avais de quoi faire durer celle-ci et ainsi faire vraiment souffrir les Hollandais, seule manière d’obtenir leur reddition la plus complète.