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La Question humaine (Nicolas Klotz, 2007)

La Question humaine (Nicolas Klotz, 2007)

Pubblicato 5 apr 2020 Aggiornato 5 apr 2020 Cultura
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La Question humaine (Nicolas Klotz, 2007)

Dans "La Question humaine" qui traite de façon magistrale des liens historiques et idéologiques entre le nazisme et le néolibéralisme, le spectateur est confronté à une série d'images et de mots (ceux du présent) qui appellent d'autres images et d'autres mots (ceux du passé). Des numéros qui défilent, la fumée qui sort des cheminées de l'usine pétrochimique allemande SC Farb dont le nom renvoie à IG Farben (BASF+Bayer+Agfa) bien connue pour avoir employé pendant la guerre des déportés au sein même du camp d'Auschwitz III-Monowitz-Buna (dont Primo Levi qui était chimiste de profession), le nom du directeur-général mis sous surveillance, Mathias Jüst (Michael Lonsdale) qui renvoie à "Jude" (juif), la mise en scène des golden boys comme un corps uniforme de "chevaliers d'entreprise" renvoyant aux "chevaliers de Walpurgis" par lesquels se définissaient les SS ou encore le terme "d'unité" pour qualifier le personnel de l'entreprise (qui renvoie aux "stücke" par lesquels les nazis qualifiaient les déportés). L'histoire des dirigeants eux-mêmes est inextricablement liée au nazisme entre Karl Rose (Jean-Pierre Kalfon) enfant du Lebensborn élevé par des nazis et finançant secrètement un mouvement néo-nazi et Mathias Jüst, enfant de nazi portant le lourd fardeau des agissements de son père et dont la dépression est au cœur du film, parallèlement à la douloureuse prise de conscience par le DRH de l'entreprise, Simon Kessler (Mathieu Amalric) du véritable sens de sa fonction. La souffrance de Jüst qui s'exprime dans son rapport à la musique ("tension extrême", "exigence maniaque", "besoin de maîtrise qui fait fuir la musique", "perfectionnisme" dissimulant "une effroyable peur du vide" et impossibilité de l'écouter sans avoir la sensation d'une lame qui lui "déchire le corps") mais aussi dans son impossibilité d'être père (très symboliquement, lui et sa femme jouée par Edith Scob ont perdu leur bébé et ont muséifié sa chambre) contamine le personnage joué par Mathieu Amalric qui pourrait être son fils. Ce bon petit soldat zélé du capitalisme tient à distance sa part d'humanité symbolisée par Louisa (Laetitia Spigarelli), sa petite amie semblable à un oiseau fragile à la voix d'or. Plusieurs styles de musique s'opposent dans le film: celle de Simon, très froide et mécanique se manifeste sous forme de rave party techno dans des hangars désaffectés où il défoule les pulsions qu'il réprime la journée. Celle qui fait souffrir Jüst relève de la musique de chambre et celle de Louisa est fondée sur l'organe vocal. Plus le film avance, plus le comportement de Simon se dérègle, plus il doute, plus son travail le dégoûte. L'un de ceux qu'il a fait licencier (comme par hasard le seul vrai musicien de l'entreprise) se venge en établissant de troublants parallèle entre le langage d'entreprise qu'il emploie systématiquement dans ses rapports et celui des nazis évoquant les gazages de la Shoah en termes purement abstraits et techniques. Cette démonstration brillante de la manipulation du langage à des fins de propagande n'a rien à envier à l'analyse de George Orwell sur la novlangue. A la fin le technicien modèle n'est plus aux yeux de son entreprise qu'un objet cassé bon à jeter comme lui-même amputait sans état d'âme les "membres malades" du corps de l'entreprise au temps de son "efficacité maximale". Le remarquable livre de François Emmanuel dont le film est l'adaptation se termine d'ailleurs sur cette phrase "Je crois qu'il me plaît d'être ainsi relégué aux marges du monde".

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