Mauprat (Jean Epstein, 1926)
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Mauprat (Jean Epstein, 1926)
Premier film indépendant de Jean EPSTEIN, "Mauprat" est-il vraiment dans la "continuité" de ceux qu'il a tourné pour les studios Albatros? A mon avis ce n'est pas le terme exact. "Mauprat" est davantage un film de transition entre ses films "commerciaux" et ses films "expérimentaux". Une catégorisation qui a d'ailleurs ses limites. Deux de ses plus beaux films, "Coeur fidèle" (1923) et "La Chute de la maison Usher" (1928) se basent sur une trame fantastique ou mélodramatique issue d'un matériau populaire (le roman de Poe étant lui-même issu d'un fait divers) tout en étant de magnifiques poèmes visuels. Sans atteindre ce niveau, "Mauprat" ne mérite pas d'être cataloguée comme une oeuvre mineure (d'autant qu'on retrouve un certain Luis BUÑUEL en tant qu'assistant-réalisateur). S'il y a parfois quelques baisses d'inspiration dans la mise en scène, si quelques passages paraissent répétitifs et l'interprétation, inégale cela n'a au final qu'un effet marginal sur l'ensemble. Le montage dynamique tient en haleine, la mise en scène expressionniste fait des merveilles que ce soient les gros plans sur les visages voire les yeux ou bien ceux, animistes, sur des arbres dont les frémissements font écho à la peur croissante de la jeune Edmée ou encore des inserts comme celui d'un chien qui regarde partir son maître avec la gravité d'un visage humain. Le soin apporté à la reconstitution historique et surtout le choix de décors naturels splendides (pour l'anecdote le village de Sainte-Sévère est celui dans lequel Jacques TATI tournera "Jour de fête") (1947) et pertinents par rapport au roman d'origine donnent un véritable cachet au film. Enfin, celui-ci donne envie de lire (ou de relire) le roman de George Sand dont il donne une version simplifiée mais fidèle. Car l'oeuvre d'origine s'avère très intéressante sur plus d'un point. On y trouve d'abord une certaine inversion des genres. L'héroïne, Edmée (Sandra MILOWANOFF), active et décidée joue le rôle du héros, protégeant et sauvant au moins à deux reprises la vie de son cousin Bernard (Nino CONSTANTINI qui avait déjà joué pour Jean Epstein au sein des studios Albatros), la "demoiselle en détresse" pâle, triste et assez passif. Ensuite ce même Bernard qui est orphelin se retrouve tiraillé entre deux modes de vie qui sont présentés de façon non manichéenne et dont Jean Epstein tire un remarquable parti. En effet ses deux oncles (que Jean Epstein a confié au même acteur, Maurice SCHUTZ, soulignant ainsi assez génialement leur gémellité) se disputent son éducation. L'aîné, Tristan qui est à la tête d'une tribu de brigands l'a élevé comme un sauvage alors que le cadet, Hubert veut le civiliser, condition sine qua non pour qu'il soit digne d'obtenir la main de sa fille Edmée. Pourtant la civilisation telle que l'expérimente Bernard s'avère être une sinistre prison de conventions aussi étouffante que son nouveau costume de petit marquis (qui d'ailleurs fait disparaître sa singulière beauté) au point que dans l'une des plus belles séquences du film, tournée en caméra subjective, il prend le large dans son ancienne défroque afin d'éprouver à nouveau la liberté de l'état de nature rousseauiste dont il est privé.