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Le Roi et l'Oiseau (Paul Grimault, 1979)

Le Roi et l'Oiseau (Paul Grimault, 1979)

Pubblicato 22 feb 2020 Aggiornato 22 feb 2020 Cultura
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Le Roi et l'Oiseau (Paul Grimault, 1979)

"Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux, regardez-les s'envoler c'est beau, les enfants si vous voyez, des petits oiseaux prisonniers, ouvrez-leur la porte vers la liberté" chantait Pierre Perret en 1971. Un siècle auparavant, une certaine Carmen de Bizet chantait elle aussi "L'amour est un oiseau rebelle, que nul ne peut apprivoiser." Entre ces deux dates, les atteintes à la liberté ont atteint leur point culminant. Une atteinte souvent symbolisée au cinéma par un oiseau en cage. Dans Une journée particulière d'Ettore Scola par exemple réalisé également dans les années 70, la rencontre entre deux exclus du fascisme se fait grâce à l'évasion d'un mainate. Et dans le Dictateur de Chaplin, un gros plan d'oiseaux en cage explicite la situation des juifs enfermés dans le ghetto.

La création du roi et l'oiseau prend sa source dans la rencontre Grimault-Prévert en 1941 alors que la France est sous la botte nazie. Une version inachevée du film intitulé La bergère et le ramoneur voit le jour dans l'après-guerre contre la volonté de Grimault qui a été dépossédé de son œuvre par des producteurs peu scrupuleux. Grimault réussit cependant à racheter les droits du film après avoir acquis son indépendance financière et parvient à mener son projet à bien à la fin des années 70 juste avant la mort de Prévert. Entre temps, le monde a connu plus de 30 ans de guerre froide. La bergère et le ramoneur (l'amour) sont passés au second plan au profit du roi et de l'oiseau (le film politique).

Le roi et l'oiseau qui est à la fois un poème cinématographique et une satire politique met en scène l'amour et la création artistique comme moyens de résistance à l'oppression. Une oppression qui synthétise toutes les tares des sociétés modernes:

- La tyrannie politique du roi-dictateur mégalomane rappelle tous les régimes totalitaires avec police d'Etat, culte de la personnalité, propagande à outrance, société de surveillance etc. En même temps l'aspect satirique du film fait de ce petit roi complexé par son gros bide et son strabisme un bouffon façon Ubu roi. Ubu et Charles XVI de Takicardie (V et III font VIII et VIII font XVI) ont un autre point commun: ils usent et abusent du passage à la trappe de tous ceux qui ont le malheur de leur déplaire.

- La tyrannie est également économique et technologique. A la manière de Chaplin dans les Temps modernes, le ramoneur et l'oiseau font dérailler la production à la chaîne des effigies standardisées du roi. "Le travail, le travail à la chaîne, soudain le travail casse sa chaîne" écrivait déjà Prévert au moment de l'avènement du Front Populaire. Une standardisation qui s'étend aux gardes et policiers. Ceux-ci se rapprochent plus de la chauve-souris que de l'être humain. Les masses laborieuses sont confinées dans la ville basse où elles ne voient jamais la lumière du jour, ni à fortiori les oiseaux. Une verticalité du pouvoir qui avec ses 256 étages rappelle furieusement Metropolis. Quant à la technologie, omniprésente (ascenseur fusée, aéroglisseurs, trône auto-tamponneuse), elle accentue un peu plus l'inhumanité des immenses décors vénitiens vides d'hommes qui rappellent les tableaux de Giorgio de Chirico (quoique la pluie de policiers se servant de leur parapluie comme parachute n'est pas sans rappeler Golconde de Magritte). Quand elle n'échappe pas à son créateur pour tout ravager sur son passage (la destruction du palais par le robot fait penser à l'apocalypse nucléaire).

-Enfin on peut parler de tyrannie culturelle dans le sens où celle-ci, confisquée par le pouvoir se transforme en reproduction ad nauseam de l'effigie du dictateur qui envahit la totalité du champ visuel. Ajoutons que cette production à visée de propagande est mensongère ce que le film souligne ironiquement quand il montre une sculpture du roi en guerrier et chasseur émérite alors que son strabisme l'empêche de viser correctement.

Jusqu'à la toute dernière scène du film, on voit quelques individus libérés (la bergère, le ramoneur, l'oiseau, le musicien) tenter de résister au système. David contre Goliath, pot de terre contre pot de fer, déséquilibre des forces exprimé par la danse aérienne du fragile petit clown accordéon. Et puis arrive le miracle de l'extraordinaire scène finale de fusion-transmutation où le fer se fait chair. Le robot, symbole de l'arme de destruction massive aveugle se met à penser dans la pose de la célèbre sculpture de Rodin sur les décombres du palais détruit. Lui aussi est touché par la grâce de l'animation qui a le pouvoir de donner vie et âme aux objets. Il libère l'oiseau avec délicatesse puis détruit la cage d'un poing rageur, laissant entrevoir la possibilité d'une technologie à visage humain.

La France ne s'est pas contenté d'inventer le cinéma. Elle a réinventé le cinéma d'animation à travers ce long-métrage. Le roi et l'oiseau est le tronc de deux des plus belles branches du cinéma d'animation contemporain. D'une part la branche japonaise des studios Ghibli avec plusieurs films de Miyazaki qui s'en inspirent directement (Le château de Cagliostro et Le Château dans le ciel). D'autre part la branche américaine des réalisateurs affiliés au studio Pixar. Le Géant de fer du bien nommé Brad Bird évidemment. Mais aussi la petite bergère en porcelaine de la trilogie Toy Story de John Lasseter.

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