West Side Story (Steven Spielberg, 2021)
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West Side Story (Steven Spielberg, 2021)
Mon premier mouvement en découvrant la bande annonce a été "oh non!" suivi de "ah d'accord!" en voyant le nom de Spielberg s'afficher à l'écran. Parce qu'il s'agit d'un géant du cinéma mondial et que je lui ai accordé depuis longtemps ma confiance. De plus ceux qui lui font un procès en légitimité naviguent en pleine confusion. Celle qui existe entre l'avalanche de remake de films populaires classiques ou cultes dont les finalités sont exclusivement commerciales (l'exemple type étant la réédition en version live des films d'animation Disney mais les exemples sont légion, y compris dans le répertoire de Spielberg avec les Jurassic World*) et une démarche consistant à proposer sa propre version d'une oeuvre qui a été créée pour les planches de Broadway. On ne reproche pas aux metteurs en scène du spectacle vivant de proposer leur vision d'une oeuvre qui a déjà connu des milliers d'adaptations différentes. Et pour cause, ces propositions ne peuvent rester qu'éphémères (même captées, elles sont conçues pour être jouées en direct et perdent leur essence). Le film de Spielberg est une adaptation cinématographique du matériau d'origine, c'est à dire du livret de Arthur Laurents écrit à partir des titres composés par Léonard Bernstein pour la musique et Stephen Sondheim pour les paroles puis ensuite mis en scène et chorégraphié par Jerome Robbins. L'argument est lui-même inspirée par la pièce de Shakespeare "Roméo et Juliette".
Cette mise au point faite, saluons la réussite de cette nouvelle version qui n'efface pas celle de 1961 mais lui apporte un regard moderne, soixante ans après. En effet si "West Side Story" est une oeuvre intemporelle, c'est aussi une histoire qui a des résonances actuelles et ce sont ces enjeux contemporains que Steven Spielberg met en valeur. On sent l'implication du cinéaste dès les premières secondes: mêmes vues aériennes suivies d'une vertigineuse plongée, sauf que ce que montre Spielberg est un champ de ruines comme si l'on survolait un territoire en guerre. Or c'est exactement de cela dont il est question: une guerre de territoire. Avec une ligne de front bien nette. Mais ce n'est pas celle que l'on croit. Ce que Spielberg inscrit dans la géographie, c'est la guerre sociale et non la guerre ethnique. Car ce qui ressort beaucoup plus dans sa version c'est la réduction de l'espace vital des Jets et des Sharks au fur et à mesure que la gentrification de leur quartier progresse. Car leur véritable ennemi est invisible mais dans la version de Spielberg il est personnifié par des machines (comme dans "La Guerre des mondes"), celles qui détruisent leur habitat pour y construire à la place des logements neufs réservés aux WASP (white anglo-saxons protestants) aisés. Les divisions intestines du "trou à rats" qu'ils sont en train de raser servent donc leurs intérêts. Elle est même provoquée par eux, exactement comme lorsqu'on affame une population pour ensuite faire en sorte qu'elle s'entretue pour un bout de pain. La hauteur de vue de Spielberg montre que les Jets et les Sharks sont manipulés et n'ont pas leur destin en main. Il va donc bien au-delà ce que qui a été ressassé dans toutes les critiques, à savoir la mise en valeur de la seule communauté portoricaine, même si elle est bien réelle de par l'origine des acteurs et l'importante place de la langue espagnole qui est la deuxième langue la plus parlée aux USA. Jets et Sharks sont également victimes et la fusion de leurs couleurs respectives va au-delà de la simple histoire d'amour de Tony et Maria, elle raconte une destinée commune, liée au malheur d'être pauvre aux USA, bref d'être un "loser" dans un pays qui ne les tolère pas. Cela donne du relief à nombre de chansons telles que "America", "Gee, Officer Krupke" ou "Somewhere", cette dernière étant chanté par Rita Moreno qui fait le lien entre les deux films tout en personnifiant la mémoire du quartier en démolition (son magasin est symboliquement situé sur la ligne de front). Est-ce un hasard? Ariana DeBose dans le rôle d'Anita est magistrale. La révélation du film pour moi. Elle éclipse largement Rachel Zegler qui ne parvient pas à se hisser à la hauteur de Natalie Wood qui était une actrice exceptionnelle. Quant à Ansel Elgort dans le rôle de Tony, il est assez fade comme l'était son prédécesseur.
* Je mets à part les auto-remake qui existent depuis l'origine du cinéma et sont liés à la volonté d'intégrer une révolution technologique (parlant, couleur, numérique) ou des moyens plus importants dans un film, bref d'amplifier sa puissance pour atteindre un plus large et plus jeune auditoire, pas seulement pour des raisons commerciales mais pour le rendre plus pérenne.