Playtime (Jacques Tati, 1967)
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Playtime (Jacques Tati, 1967)
Plans d'ensemble tournés en 70 mm, refus du récit classique et de l'identification aux personnages, paroles réduites à un effet sonore identique à celui des machines. Tout est en place pour un début froid et kafkaïen où l'architecture démesurée, rationnelle et standardisée jusqu'à l'absurde écrase l'homme, où les monuments ne sont plus que des reflets dans les vitres, où la nature et les couleurs se réduisent à une fleuriste au coin de la rue, où les lignes droites imposent aux hommes un comportement de bon petit soldat automate. Parallèlement, les baies vitrées, omniprésentes, agissent comme des barrières invisibles entre les hommes. Elles servent de vitrines sociales en supprimant la frontière entre le public et le privé, offrant en spectacle depuis la rue les intérieurs bourgeois.
Dans cet univers glacé, vide, faux, creux, les excentriques comme M. Hulot ne trouvent pas leur place. Comme dans les autres films de Tati, le regard et le corps inadapté de Hulot est une source importante de gags et de dérèglements. Les prisons de verre de l'entreprise et du "home" tentent de contenir ce doux anarchiste mais il finit par exploser les barrières. Car le morceau de bravoure du film est la séquence de 46 minutes du Royal Garden qui voit la machine à exclusion sociale se détraquer lorsque Hulot par maladresse brise la porte d'entrée en verre, permettant à toutes les populations de se mélanger sur la piste de danse. Danse et musique dont le mouvement courbe entraîne la décomposition du décor. De cette nuit de folie naît un monde plus chaleureux et convivial où même la circulation automobile s'incurve dans un joyeux carrousel. L'urbanité froide et sans âme retrouve des couleurs et sa poésie.
On a souligné à juste titre à quel point le film est moderne voire avant-gardiste. Du "je crois que ça va pas être possible" à l'entrée des boîtes de nuit à l'effacement de la distinction public-privé à l'ère des réseaux sociaux qui exigent la transparence en passant par le règne des open space, la Tativille de 1967 (inspirée de la Défense alors en construction) ressemble de façon troublante à notre société actuelle. La séquence du Royal Garden a directement inspiré La Party de Blake Edwards sorti l'année suivante.