La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937)
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La Grande Illusion (Jean Renoir, 1937)
"La Grande Illusion", le titre le plus polysémique et réversible du cinéma français résume à la perfection ce qui sépare et ce qui réunit les hommes. Ce qui les sépare, c'est le "théâtre", toutes ces fictions générées par le jeu social (dont deux ans plus tard, Jean RENOIR dévoilera la règle) qui jettent les hommes les uns contre les autres. Le théâtre de la guerre sur fond de nationalisme revanchard mais aussi d'antisémitisme (le film a pour cadre la première guerre mondiale mais tourné en 1937, il a pour horizon le déclenchement de la seconde) mais aussi celui de la lutte des classes. Tout en étant laissés hors-champ, ils pèsent sur les comportements des personnages qui se retrouvent pourtant réunis dans le huis-clos des camps de prisonniers. Ce qui les réunit outre leur expérience commune c'est bien entendu leur humanité qui les pousse les uns vers les autres, souvent pour se heurter aux barrières construites par l'éducation, plus fortes encore que celles qui s'érigent entre les nations "Les frontières sont une invention des hommes, la nature s'en fout". A travers les liens qui s'érigent entre de Boeldieu (Pierre FRESNAY) et von Rauffenstein (Erich von STROHEIM) séparés par leur nationalité mais réunis par leurs origines sociales et une communauté de destin, Renoir dépeint le basculement du monde dans le XX° siècle dans lequel l'aristocratie n'a pas sa place. Le sens de l'honneur de de Boeldieu le pousse à se sacrifier là où von Rauffenstein observe avec fatalisme son inexorable déclin. Surtout de Boeldieu a fait siennes les valeurs de la révolution française de liberté, d'égalité et de fraternité là où von Rauffenstein réagit avec les oeillères de l'officier prussien. C'est pourquoi, bien que séparés par leurs origines sociales, un lien se créé aussi entre de Boeldieu et deux officiers issus de la plèbe: Rosenthal le bourgeois (Marcel DALIO) et Maréchal le prolétaire (Jean GABIN) qui tous deux représentent l'avenir. Ce dernier exprime à plusieurs reprises sa frustration et sa gêne face à l'impossibilité d'établir une véritable camaraderie avec l'aristocrate alors qu'ils sont pourtant soudés par leur projet d'évasion. C'est pourquoi seul le sacrifice de Boeldieu permet à Rosenthal et à Maréchal de s'enfuir. Une fuite qui permet de dessiner de nouveaux clivages, cette fois entre le bourgeois et le prolétaire mais aussi entre le juif et le catholique chez qui l'épreuve fait ressurgir des relents d'antisémitisme alors que là encore ils sont pourtant réunis par une communauté de destin et ont besoin l'un de l'autre pour s'en sortir. La séquence chez Elsa (Dita PARLO) dessine encore une autre configuration "explosive" avec un amour naissant entre un français et une allemande (sujet ô combien sensible dans une France remontée à bloc contre l'ennemi depuis la défaite de 1870 et qui allait bientôt subir l'occupation) pendant que Rosenthal joue le rôle de traducteur. "La Grande Illusion" de par sa profonde humanité démontre ainsi à la fois l'absurdité des clivages entre les hommes tout en révélant combien ils les conditionnent et les broient.