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Délivrance (Deliverance, John Boorman, 1972)

Délivrance (Deliverance, John Boorman, 1972)

Pubblicato 6 set 2020 Aggiornato 6 set 2020 Cultura
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Délivrance (Deliverance, John Boorman, 1972)

« On a vaincu la rivière » annoncent triomphalement à la fin de la première journée Lewis, Ed, Drew et Bobby, les quatre citadins venus concrétiser leurs fantasmes de conquête de ce coin sauvage de Georgie avant qu’il ne disparaisse sous les aménagements. Sous un vernis écologiste, leur vraie motivation est narcissique : se prouver à eux-mêmes qu’ils sont des hommes qui « en ont » dans le pantalon en affrontant la nature, la vraie avant qu’elle ne soit émasculée par la main de l’homme. Le film est une attaque en règle du mâl(e) américain, sa suffisance, son arrogance et son machisme. Car ce qu'ils croient être la nature n'est qu'un trompe-l’œil pour touristes, la vraie descente (aux enfers) commence le lendemain et chacun en ressortira marqué à jamais. Lewis (Burt REYNOLDS), le mâle dominant est amputé de la jambe après avoir vécu un martyre physique et l’humiliation morale de dépendre de ses camarades comme un bébé. Drew (Ronny COX) l’artiste qui rêve de communion avec la nature et qui l’espace d’un magique duo guitare-banjo avec un autochtone aussi virtuose que demeuré croit pouvoir toucher son rêve du bout des doigts finit noyé (ou assassiné, le film reste volontairement ambigu sur ce point) dans la rivière avec le corps disloqué. Ed (John VOIGHT), le discret père de famille obligé de prendre les rênes après la blessure de Lewis contrôle mal ses flèches quand il ne se blesse pas avec. Son initiation à la survie dans des conditions extrêmes est aussi rapide que brutale. Du moins échappe t-il in-extremis au viol que veulent lui faire subir deux chasseurs dégénérés du coin qui symbolisent la vengeance de la nature c’est-à-dire de la barbarie. Bobby (Ned BEATTY) n’a pas cette chance. Petit, gros et complexé, moqué par ses camarades, il compense avec une surenchère de propos sur ses exploits virils avant que son viol ne le rabaisse plus bas que terre. Si cette scène-choc a fait sensation à l’époque et reste aujourd’hui incontournable c’est parce qu’elle est la clé du film. Lorsque la nature idéalisée par ces hommes révèle son véritable visage bestial, ceux-ci sont eux-mêmes ramenés au stade animal (le violeur compare Bobby à un cochon et lui demande de couiner) et c’est en se dépouillant de toute conscience morale, en ne conservant que l’instinct de survie que ceux-ci s’en sortent (sauf Drew justement qui ne peut renoncer complètement à ce qui fait de lui un homme ce qui le condamne). Il n’est pas difficile de voir derrière ces quatre destins individuels une critique des fondations de l’Amérique : la conquête de l’ouest et l’éradication des « sauvages », la destruction de la nature par les aménagements et les ravages écologiques (ironiquement le retour à la civilisation des trois survivants se fait par l’apparition de carcasses de voitures rouillées abandonnées au bord de l’eau), la glorification du virilisme et sa destructivité. L’Amérique s’est construite par la violence et elle a eu beau recouvrir ou lester les cadavres derrière son vernis de civilisation, ceux-ci n’en finissent pas de ressurgir telle cette main livide sortant de l’eau dans les cauchemars de Ed.

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