Le cercle des poètes disparus (Dead Poets Society, Peter Weir, 1989)
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Le cercle des poètes disparus (Dead Poets Society, Peter Weir, 1989)
Dans son livre "L'Intelligence du coeur", Isabelle Filiozat s'interroge sur l'éducation répressive qui s'acharne à soumettre des générations d'enfants en les obligeant à obéir, à se conformer et à faire taire leurs émotions. Cela commence dès la naissance et cela se poursuit ensuite jusqu'à l'âge adulte c'est à dire jusqu'à ce que l'individu ait si bien intériorisé les normes et les règles qu'il n'a plus conscience de la prison mentale dans laquelle il est enfermé. Le système éducatif traditionnel (parental et scolaire) fabrique donc à la chaîne de bons petits soldats dont le CV bien rempli dissimule le vide intérieur. Quant à ceux qui ne se conforment pas, les irréductibles, ils sont impitoyablement rejetés du système et deviennent invisibles.
"Le Cercle des poètes disparus" film éminemment politique confronte ces deux mondes, permettant ainsi de rendre visible les enjeux éducatifs d'ordinaire implicites. Peter WEIR est passé maître dans l'art de dépeindre des microcosmes totalitaires infiltrés par un intrus qui en révèle les rouages avant d'en être expulsé. John Keating (Robin WILLIAMS) est cet intrus qui dérègle le fonctionnement de la Welton Academy, une école privée élitiste accueillant les fils de la bonne bourgeoisie américaine. Sa devise "Tradition, honneur, discipline, excellence" ne laisse aucun doute sur le genre d'éducation qui y est dispensée. Or Keating, esprit libre plein de fantaisie a un tout autre projet: celui d'émanciper les jeunes qui lui sont confiés en leur ouvrant les portes d'une vision poétique du monde. Il ne leur enseigne pas la poésie, il la leur fait se l'approprier en les poussant à puiser dans leurs propres ressources physiques et mentales. Alors que l'éducation normative vide le sujet de sa substance au profit de signes purement extérieurs de richesse et de puissance, Keating est un maïeuticien qui l'aide à accoucher de lui-même. Alors que le système traditionnel fige, réifie, Keating est toujours en mouvement et y entraîne ses élèves. Comme il le leur fait si bien comprendre, l'immobilité signifie la mort et la vie est trop courte pour en perdre une miette (le fameux "Carpe Diem, cueille aujourd'hui les roses de la vie, demain il sera trop tard"). Le titre du dernier livre de Alice Miller "Le corps ne ment jamais" met bien en lumière ce travail d'éveil à la vie par le corps: les élèves marchent, frappent dans un ballon, grimpent sur les tables. Car au mouvement du corps correspond celui de l'esprit à la fois ouvert et critique. Keating anticipe même le débat actuel opposant les défenseurs des humanités (en voie de disparition, le titre du film est hélas prophétique) à ceux qui ont une vision purement utilitariste des contenus à enseigner.
Mais en dépit de son caractère engagé en faveur des électrons libres, des pionniers qui osent s'aventurer sur des chemins non balisés et de sa condamnation sans appel du patriarcat, le film n'est pas manichéen. Keating qui est idéaliste s'aveugle sur les conséquences de ses paroles et de ses actes. Il agit avec légèreté en sous-estimant la capacité
de résistance du système qu'il s'emploie à subvertir. Lorsqu'il réalise que son enseignement parfois mal compris a des effets dévastateurs, c'est trop tard. Cette irresponsabilité retombe sur les élèves, les plaçant pour certains dans des situations inextricables dont ils ne se sortiront pas. Neil Perry (Robert Sean LEONARD) est ainsi le martyr désigné (comme le souligne le symbole de la couronne d'épines) de l'absence de toute communication entre la logique paternelle et celle de son professeur. A l'inverse, Richard Cameron (Dylan KUSSMAN) est le Judas qui provoque à la fois le renvoi de Keating et d'un élève trop insolent et emporté, Charlie Dalton (Gale HANSEN). Reste Todd Anderson (Ethan HAWKE) le timide qui a appris à s'estimer et dont le célèbre geste final d'insoumission est porteur d'espoir.