La Mort en direct (Bertrand Tavernier, 1980)
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La Mort en direct (Bertrand Tavernier, 1980)
Bertrand TAVERNIER a touché à de nombreux genres. Même s'il est surtout connu pour ses drames historiques et ses polars, il a aussi fait des incursions dans la comédie, le documentaire, le film musical ou comme ici, la science-fiction. Une science-fiction qui relève davantage de l'anticipation visionnaire car "La Mort en direct" se réfère à une émission de télé-réalité, vingt ans avant son apparition en France. Même si le film est dédié à Jacques TOURNEUR, il y a un autre cinéaste qu'admire Bertrand Tavernier et qui est présent implicitement en filigrane tout au long du film. C'est Michael POWELL et son sulfureux "Le Voyeur" (1960) qui inventait "le crime en direct" pour la jouissance de son unique spectateur qui en était aussi l'auteur avec l'aide sa caméra tueuse. Entre Powell et Tavernier, le spectacle de la mort en direct est sorti de sa confidentialité pour devenir un spectacle de masse, à la manière de "The Truman Show" (1998) mais en plus sensationnel. Dans une époque où la mort par maladie est devenue rare, réservée aux vieillards que l'on dérobe aux regards (ce qui est assez conforme à notre réalité), le directeur cynique de l'émission "Dead Watch" (Harry Dean STANTON) échafaude un scénario digne des expériences nazies pour booster ses audiences. Un médecin à sa solde lui déniche le cobaye parfait, une femme encore jeune au profil cinégénique (Romy SCHNEIDER) à qui il annonce qu'elle n'a plus que quelques semaines à vivre. Pour transformer le mensonge en vérité, il lui donne du poison camouflé en médicaments censés soulager son agonie. Et pour contrecarrer toutes les tentatives de fuite de la jeune femme qui a fait semblant d'accepter le contrat, il la fait suivre par un homme qui gagne sa confiance mais qui est en réalité un insoupçonnable caméraman (Harvey KEITEL qui traversait alors un trou d'air dans sa carrière). Et pour cause: l'objectif est directement greffé dans sa rétine. On a donc affaire à un personnage qui est à la fois manipulé (en tant que sujet d'expérience) et manipulateur ce qui lui permet de mettre à la place de la jeune femme comme d'épouser le point de vue de ses tortionnaires. A travers lui, Bertrand Tavernier développe une réflexion sur l'éthique de son métier: jusqu'où filmer sans tomber dans le voyeurisme obscène? On remarque que comme Steven SODERBERGH le faisait en escamotant les scènes de sexe dans "Sexe, mensonges & vidéos" (1989), Bertrand Tavernier refuse de montrer la mort de son héroïne, son pseudo chevalier servant s'étant au passage brûlé les yeux à force de contradictions insurmontables. En prime, le choix de Romy SCHNEIDER s'avère terriblement prophétique puisque un an après le tournage elle perdait son fils et dénonçait les journalistes déguisés en médecin s'étant introduit à l'hôpital pour tenter de photographier son cadavre.
Aussi bien que "La Mort en direct" soit un film imparfait (outre des passages à vide, je trouve l'image très vieillie et le choix de décors sinistres ou désolés dans la région de Glasgow, discutable, dans le sens où rajouter de la misère à l'horreur de la situation détourne l'attention du véritable sujet), l'interprétation de haut vol et la pertinence de la réflexion sur le malheur d'autrui transformé en spectacle mercantile valent le détour.