Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait (Emmanuel Mouret, 2020)
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Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait (Emmanuel Mouret, 2020)
"Mensonge romantique et vérité romanesque" (René Girard) adapté au cinéma: mise en scène élégante, dialogues littéraires et imbroglios sentimentaux démêlés par la philosophie et éclairés par l'art. Rohmer n'est plus, Allen s'est tu, vive Mouret!
Après "Mademoiselle de Joncquières" (2018) que j'ai beaucoup aimé, j'ai eu envie de voir le film le plus récent du réalisateur. Bien que se déroulant de nos jours, il a d'ailleurs gardé quelques traits de son prédécesseur ce qui en fait un film hors du temps, notamment la nature sublimée par la lumière, les intérieurs d'hôtels particuliers du XVII° et un caractère littéraire prononcé. Le plaisir de raconter est en effet au coeur du film, en plus du fait que Maxime est un aspirant écrivain. La mise en scène de cette "carte du tendre" est astucieuse (tout en étant bien maîtrisée) par le fait que les récits s'y entrelacent, au point de ne plus très bien distinguer ce qui relève de la réalité et du fantasme. Au départ, il n'y a que deux narrateurs, Daphné (Camélia JORDANA) et Maxime (Niels SCHNEIDER) qui délivrent leur point de vue sur leur parcours sentimentaux respectifs tumultueux fait de hasards et coïncidences mais aussi de désirs inassouvis ou contrariés mais leurs récits inachevés et subjectifs bénéficient ensuite d'un autre éclairage avec ceux d'autres personnages qui gravitent dans leur orbite comme François (Vincent MACAIGNE), Stéphane (Jean-Baptiste ANOUMON) et Louise (Emilie DEQUENNE). Parce qu'il s'agit d'un cinéma moraliste (mais pas moralisant) d'errements géographiques et sentimentaux dans lequel ceux-ci sont médiatisés par le verbe on a beaucoup rapproché Emmanuel MOURET de Éric ROHMER mais dans ce film en particulier, la référence qui m'a le plus sauté aux yeux est Woody ALLEN. La dernière scène de "Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait" ressemble beaucoup à celle de "Café Society" (2016). Les personnages ont fait des choix qui les ont enfermés dans une trajectoire et ils rêvent ou regrettent celles qu'ils n'ont pas empruntées ou bien à laquelle ils ont renoncé. La volatilité, la contagiosité* et l'imprévisibilité du désir (qui pour ne rien arranger parfois avance masqué), l'inconstance des sentiments qui en résulte s'oppose forcément à toute relation amoureuse quelque peu durable et constructive. Au point d'ailleurs qu'il est évoqué dans le film de façon très juste que les mariages arrangés d'autrefois étaient souvent plus solides que les unions amoureuses d'aujourd'hui. Mais sans en faire une règle générale pour autant. Ainsi la "fourmi" Victoire (Julia PIATON) qui a planifié sa vie maritale et parentale comme s'il s'agissait d'un plan de carrière se fourvoie autant que les "cigales" qui butinent à toutes les fleurs qui leur plaisent sans se soucier des conséquences (le marquis des Arcis n'est vraiment pas loin du tout!) D'ailleurs chez Woody Allen comme chez Emmanuel Mouret, un philosophe intervient dans le rôle de la boussole morale qui fait tant défaut aux protagonistes, complètement perdus dans l'obscurité de leur labyrinthe intérieur. Il y fait l'éloge de l'altruisme et du lâcher-prise parce que c'est la seule chose qui peut procurer à la longue un sentiment durable de pleine et entière satisfaction.
* J'ai étudié le livre de René Girard "Mensonge romantique et vérité romanesque" dans lequel il évoque le médiatisation du désir, un des thèmes du film (très présent aussi dans la filmographie de Woody Allen).