La littérature ce soir est morte
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La littérature ce soir est morte
La littérature ce soir est morte
La littérature ce soir est morte.
Arrêtez donc de frapper à sa porte.
Jadis triomphante, elle a succombé
Aux frimas de nos actualités.
Il fait bien trop froid pour que ses stylos
Fassent toujours pousser de jolis mots.
On ne trouve plus sous nos latitudes
Que des vers affamés de platitudes.
La littérature est morte, vous dis-je.
L'humanité a perdu son aurige.
Elle ne répondra plus à nos cris.
Elle n'embellira plus nos soucis.
La bonne malheureuse aux goûts nouveaux,
La vieille enfant aux millions d'idéaux
A remisé cette nuit tout son saoul
En écrivant qu'elle n'était plus cool.
Dans sa maison, mêmes les portraits pleurent.
La cigale à la fenêtre fredonne
Les vers qu'elle lui offrit pleins d'ardeur,
Quand La Fontaine sur Terre était homme.
Il y a dans ses chambres ombragées,
Sur ses murs ancestraux, tous les étés,
Les hivers, les amours et les deuils
Que la main humaine a peint sur ses feuilles.
La littérature ce soir est morte.
Arrêtez donc de frapper à sa porte.
Cette belle dame aux plumes d'oiseaux
Souriait au quidam comme au héros.
La littérature est morte, vous dis-je.
L'humanité a perdu son aurige.
Cette belle dame aux sources secrètes
Puisait et le drame et le vin des fêtes.
À sa table elle accueillait les proscrits,
Embrassait les condamnés au mépris
Et leur proposait les plus grands festins.
Comme on propose au nourrisson le sein.
Gilgamesh ouvrit ses fonds baptismaux,
Sophocle dirigea son chœur antique,
William offrit des prénoms aux héros :
Roméo, Juliette et toute la clique.
La littérature ce soir est morte
Inutile de gratter à sa porte.
Timide, elle est tombée comme une feuille.
Elle aurait détesté pour dire un deuil
Cette image édentée de ses surprises.
Mais la peine est telle qu'on perd ses mises.
Elle laisse orphelins des centaines de mains.
Elle aurait adoré ces licences genrées.
Les limites que notre époque fixe
Ne sont que trous où tombent nos rixes.
On ne découvre plus dans nos salons
De poètes déplaçant l'horizon,
On ne trouve plus dans nos librairies
Que des livres privés de fantaisie.
Vous n'écouterez plus au bord des mers
Les matelots dévoiler leurs chimères.
Vous resterez à l'entrée des palais
Du facteur Cheval, Néron ou Yasmine
Et les silences perdront leurs secrets
Quand les mots tomberont comme des ruines.
La littérature est morte, vous dis-je.
L'humanité a perdu son aurige.
Elle a rejoint ses anciens compagnons
Qui ont fait de nos vies une évasion,
Loin du sérieux mortel des politiques
Et des index dressés des encycliques.
Avec elle s'envole un horizon
Qu'en vain nos mots aphones traqueront.
Ses sœurs, les douces Musique et Peinture,
Posent sur son chevet leurs larmes pures.
Et son nouveau-né, le beau Cinéma,
Vient pleurer ses mamelles de Mamma.
Dans un coin à l'écart bardé d'épines,
Se dressent quelques visages maudits.
Sade, Chatterton, Rimbaud et Céline.
Ils saluent en slamant leur seule amie.
La littérature ce soir est morte.
Arrêtez donc de gratter à sa porte.
Allongez vos mentons vers ses genoux
Et humez comme un ersatz ses frous-frous.
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