CHAPITRE 15
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CHAPITRE 15
La reine et les spectres – Foi face aux ténèbres – Histoire des rois maudits
Si tout le monde s’inquiétait de mes traits tirés, personne ne supposa qu’un spectre puisse en être à l’origine à l’exception toutefois de ma douce épouse. Je visitais sa couche plus rarement qu’à l’accoutumée. Depuis la mort d’Henriette, je ne voulais voir aucune autre femme que son délicat fantôme, cette féérie enchanteresse qui avait baisé mes lèvres et ouvert mes yeux, les nuits suivantes je sondais les ténèbres à sa recherche en vain. Avait-elle disparu après avoir délivré son message funeste ?
Marie-Thérèse dont la jalousie était discrète à l’aune de son caractère bienveillant n’admettait qu’une ombre vienne s’immiscer entre elle et son Roi, et s’inquiéta de ne plus me voir remplir mes devoirs conjugaux. Jusqu’à présent, aucune de mes maîtresses ne m’en avait empêché, la guerre peut-être, quelques tracas liés aux affaires du royaume, mais je retrouvais toujours le chemin de son lit, ne la délaissant jamais trop longtemps.
Mon épouse me connaissait mieux que je le croyais, elle vint à moi, inquiète, mais non avec ce regard sombre qu’avait Bontemps ni avec les reproches que je lisais dans les yeux de mon frère qui avait enfin daigné reparaître. Sa petite main potelée vint se nicher dans la mienne et la serrer, sa tête possédant encore les rondeurs de l’enfance que les douceurs sucrées d’Orient accentuaient se pencha sur le côté, et ses grands yeux bruns m’observèrent avec une profonde tendresse dissipant en un instant les doutes qui s’étaient installés dans mon cœur.
— Mon Roi, vous ne dormez plus, ne visitez plus ma couche, c’est à peine si vous tenez debout, et je ne connais que trop les maux qui vous agitent que vous niez allègrement ne pensant qu’au bien-être de l’État et à vos devoirs sacrés. Vous êtes l’image même du sacrifice à la grandeur, et nul ne pourrait vous faire le reproche d’être affecté par la mort de votre belle- sœur qui a été votre compagne de jeu lorsque vous étiez enfant.
Sa main caressait délicatement ma joue alors qu’elle prononçait ces mots doux qui avaient pour but de me désarmer afin de lui permettre de soigner mes maux. Ces maux-là, je les gardais secrets, ceux du corps comme de l’esprit, à moins qu’ils ne me terrassent, je ne pouvais être un roi souffreteux, je dominais la maladie, la douleur, et toutes ces faiblesses que Dieu m’avait envoyé pour éprouver mon courage et ma vaillance.
Certains champs de bataille doivent demeurer discrets, c’était le cas de celui-ci. Je ne pouvais laisser la maladie me gouverner d’autant qu’elle semblait s’attacher à mon corps. Quant à mon sommeil, je trouvais cela normal de ne point fermer l’œil de la nuit quand certaines de mes décisions pouvaient tant coûter à mon peuple. La gouvernance de la France épuisait le corps et l’esprit, le Cardinal aurait pu en témoigner. Mère aussi avait fini par en être affectée, comme monsieur mon Père.
— Ma mie, votre douceur me touche, mais je vous assure que je me remettrai de la douleur de cette perte. La mort est hélas inéluctable et nous autres, pauvres mortels, nous devons nous en remettre à Dieu pour la paix de nos âmes.
Sa foi était plus vaillante que la mienne, ne souffrant d’aucun doute. En cela, elle me rappelait ma mère, si forte et si courageuse. Je n’aimais les dévots qui l’entouraient, mais j’avais toujours estimé son grand esprit et sa vertu. Celle de mon épouse était assez comparable.
Marie-Thérèse me sourit délicatement, avec toute la douceur dont elle faisait preuve, esquissa un pas en arrière puis un second, tout aussi maladroit et vacillant que le premier. Elle m’inquiéta à marcher ainsi à reculons, lorsqu’elle avait essayé les talons hauts, ses pieds s’étaient emmêlés et elle était tombée, fort heureusement, elle ne portait d’enfant. Mère avait perdu son premier enfant ainsi, cela eut sans doute mieux valu, sinon je n’aurais été que le second.
— Que faites-vous ma Reine ?
Ses mains s’accrochèrent aux miennes, elle s’appuya sur moi.
— Je vous amène à mes appartements, je vous veux seul pour moi, vous m’avez trop longtemps délaissé Louis, et je sens que votre âme a besoin de mon attention et de mes soins.
Toutes mes tentatives pour l’en faire changer d’avis furent vaines, et je finis par accepter de la suivre en la priant de marcher droit. Point contrariante, elle hocha la tête, et se tourna ne lâchant toutefois ma main de peur que je ne l’abandonne. Nous avons dû amuser la Cour en nous déplaçant comme l’aurait fait un jeune couple.
Nous n’étions plus si jeunes que cela, les années commençaient à faire leur œuvre, elles avaient achevé d’emporter mes beaux cheveux que la fièvre avait déjà malmenés, au point que j’avais décidé de porter des perruques et lancé ainsi une mode qui alla jusqu’aux confins de l’Empire Germanique Romain. Mon frère avait raison, nous pouvions régner sur le monde par la mode, les arts et l’architecture comme je le prouvais avec Versailles.
Lorsque la porte de sa chambre se referma sur nous, mon épouse me lança un regard des plus francs et sincères. Je me devais d’ouvrir mon cœur, elle m’y enjoignait en me montrant une nouvelle fois son désir d’être ma Reine tout entière, pas seulement par le geste, mais aussi l’esprit. Pouvais-je cependant lui parler de ce qui agitait mon âme ? De la visite que m’avait faite Henriette, de son spectre luminescent, de ces caresses et baisers et enfin, de son avertissement ? Mais qui d’autre pourrait croire en l’existence d’un fantôme ?
— Confiez-moi ce qui vous tourmente mon ami, je vous en conjure, qui d’autre que votre épouse pourrait écouter les peines de votre âme et de votre cœur ?
Les dernières hésitations que j’avais s’évanouirent devant sa supplique. J’avais quelques égards à lui partager la douleur que me causait le trépas d’une femme qu’un temps, je lui avais préféré. Mais pouvais-je lui refuser la confession dont j’avais autant besoin qu’elle ?
— Je ne voulais vous faire peur en vous parlant de spectre, commençais-je.
Ce ne fut pas la crainte que je lus dans ses yeux, mais, passé la surprise, le soulagement que je me confie enfin.
— Vous êtes mon époux, mon Roi, il est dans mon devoir de vous aider et de vous protéger contre ce qui vous tourmente. Je redoute les revenants, mais je les respecte également, Louis.
Lui octroyant un sourire, je hochai la tête. De toute ma cour, mon entourage, ma famille, elle était la seule qui puisse comprendre.
— J’ai été visité par celui d’Henriette.
Je lui contais l’aventure, prenant soin de ne laisser de côté les baisers et la beauté ensorcelante du spectre d’Henriette, j’évoquais plutôt ses visites à répétition et ce qu’elle m'eût révélé : cette menace de ce peuple secret. Parler de tout cela impliquait également de mentionner le sanctuaire et la découverte que j’y avais faite. J’essayais d’en diminuer l’impact, ne souhaitant lui offrir d’autres raisons de ne pas fermer l’œil la nuit.
Durant tout mon récit, elle fut l’oreille la plus ouverte qui soit, la plus calme et apaisante que je n’eusse connue, et la plus discrète. Je savais qu’avec elle, mon secret était bien gardé. À la fin, elle se signa, pour éloigner le mauvais sort, et les ténèbres que j’avais évoqués, je me signai avec elle bien que doutant de la force de ce geste à cet instant.
Entrevoir l’obscurité devrait donner plus de force à la lumière, mais je n’avais encore éprouvé la vaillance de ma foi, les troubles qui plus tard agiteraient mon royaume et ma Cour n’avaient eu lieu. C’était la première épreuve venant titiller ma foi.
— Louis, le spectre a raison sur un point, vous ne pouvez pas fermer les yeux sur ce que vous avez vu dans le Sanctuaire. Savez-vous qu’en Écosse une sorcière condamnée a prétendu commercer avec les fées ? Ce que vous avez vu dans les bois est sûrement l’œuvre de ces sorcières. En mon pays, l’on connaît les dangers de la sorcellerie comme ses bienfaits, elle peut soigner des maux peut-être mieux que les médecins, mais elle peut aussi jeter de mauvais sorts et de terribles malédictions.
Ses yeux étaient grands ouverts et son expression agitée par quelque fébrilité. Je n’eusse été si inquiet, j’aurais été heureux de la voir passionnée de la sorte. Ce n’était plus l’enfant terrifiée que je prenais dans mes bras pour la protéger des spectres, c’était une femme forte à la vaillance redoutable et à la beauté incandescente que je regrettais de n’avoir su voir auparavant.
— Ne m’avez-vous pas conté que la lignée des Capétiens directs s’était éteinte du fait de la malédiction jetée par-delà le bûcher par le grand maître des templiers ? N’y a-t-il point eu pareil envoûtement jeté sur les Tudors, prenant la vie de tous leurs premiers mâles ? Jusqu’à ce que la lignée s’éteigne avec la Reine vierge ? Les Rois sont victimes plus encore que les simples mortels de ces sortilèges, mon Louis, vous devez vous montrer doublement prudent.
L’histoire de mes ancêtres m’a toujours passionné, j’avais pris en modèle dès l’enfance François 1er, ce roi guerrier, qui avait su attirer à la Cour les plus grands artistes de son temps, et changer totalement le visage de la France, lui rendre sa grandeur que les guerres avec l’Angleterre puis l’Espagne lui avaient ôtée. N’avais-je été fasciné par l’Empereur Charlemagne, songeant qu’il me faudrait à moi aussi fonder un Empire, que la France se devait de rayonner sur le monde et pas seulement par ses conquêtes militaires, que nous nous devions d’être un modèle en toutes choses ?
— Mon Roi, vous avez réussi à vaincre mon frère en Espagne, vous menacez à présent l’Empire Germanique, en ralliant à vous l’Angleterre, tous les regards sont posés sur vous, et vos ennemis n’ont jamais été aussi nombreux. Cela démontre votre grandeur, mon ami. Mais je vous prie de protéger vos flancs contre toutes les attaques qu’on pourrait vous porter. Je ne souffrirais de vous perdre.
Ses yeux brillaient, je ne sus si ce n’était de larmes de tristesse ou d’excitation. Je saisis alors ses mains et me levais à mon tour, admirant cette beauté ibérique qui venait de paraître. Je l’embrassais et mes mains trouvèrent le chemin entre ses jupons et sa culotte de ses chairs chaudes et humides qui m’attendaient, je lui fis l’honneur, l’amour, et nos effusions furent plus passionnées qu’elles ne le furent depuis des années.
Lorsque nous tombâmes repus d’amour, l’un et l’autre couvert d’un léger filet de sueur dans le lit, mes doigts s’attardèrent dans ses cheveux, caressant ses traits qui trahissaient une beauté ensorcelante que je n’avais que trop rarement perçue. Je souriais, apaisé, conquis à nouveau par ma divine épouse qui avait su réanimer mon cœur endolori.
— Je vous remercie ma Reine, vous m’avez rendu mes forces.
Marie-Thérèse se tourna vers moi, se nichant au creux de mes bras, son visage se redressa et ses lèvres trouvèrent les miennes, les embrassant, délicatement cette fois-ci. Douce et fraîche comme une rose.
— Vous ne les aviez jamais perdus, mon Roi, vous avez seulement laissé les ténèbres entrer trop profondément en vous. Mais vous en aviez besoin, pour réaliser leurs étendues. Il faut connaître son ennemi pour le combattre, veillez mon ami à ne pas les laisser emporter votre âme et votre cœur.
Je lui rendis son baiser et souris à sa délicate déclaration.
— Ma mie, je compte sur vous pour défendre mon âme et mon cœur, ma lionne espagnole, vous êtes pareil à ma mère, douce lorsqu’il le faut, féroce lorsque ceux que vous aimez sont menacés. Ma Reine.
Pourrait-elle toujours veiller sur moi, la laisserais-je faire ? Je l’ignorais, j’étais capable d’inquiétantes obsessions, de demeurer secret et parfois même sombre. Mon épouse avait raison, je donnais trop d’emprise aux ténèbres sur mon sommeil et mon esprit. Il me faudra veiller à ne plus me laisser terrasser de la sorte. Si j’exigeais de mon frère qu’il oublie ses peines de cœur, ne devais-je en faire autant ? La France avait besoin d’un Roi puissant, capable de résister aux ombres menaçantes. Je venais d’une lignée de roi chevalier, qui combattait au nom de leur peuple et de Dieu, je trouverais la force dans mon sang de lutter contre ce danger que je ne pouvais voir qu’au plus profond des ténèbres.