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CHAPITRE 10

CHAPITRE 10

Pubblicato 1 apr 2022 Aggiornato 1 apr 2022 Cultura
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CHAPITRE 10

Inquiétude d’un Valet – Obsession d’un roi – Établissement de mesures.

Mes ordres pour faire venir la voyante d’Athénaïs déplurent à Bontemps, je le compris à son regard sombre. Je tentais bien de pincer mes lèvres, mais faire le roi imperturbable ne fonctionnait jamais avec Bontemps. Il connaissait la moindre de mes pensées, les cauchemars m’agitant, les doutes que je dissimulais avec tant d’adresse, les terreurs que je ressentais.

Les créatures qui m’obsédaient ces derniers temps faisaient pâles figures à côté de mon inquiétude de ne pas être à la hauteur de mes ambitions, de ne pas parvenir à soumettre la noblesse et rendre à la France sa grandeur perdue lors de la Fronde qui demeure une blessure honteuse pesant lourdement sur mon cœur.

Peut-être était-ce pour cela que je tournais le regard vers les Pays-Bas, rien de tel qu’un ennemi commun pour unir tout le monde n’est-ce pas ? Mais cela ne suffirait. À cela, j’ajoutais l’Étiquette, une Cour remplie de nobles s’y pressant et des salons où les esprits les plus brillants se disputaient, enfin les arts pour rendre immortel tout cela. Philippe m’y aiderait, évidemment. J’avais tous les outils en main et un plan des plus audacieux, mais pourrais-je réaliser un tel miracle alors que ma santé vacillait si régulièrement et que je rencontrais de la résistance de toute part ?

Aussi, lorsque je croisais ce regard sombre qui ne m’avait quitté du souper, mes sourcils se froncèrent en préparation de la bataille. J’avais cédé pour les gardes, je n’entendais céder pour la voyante.

— Parlez Bontemps, je ne supporte plus ce regard que vous me jetez depuis tantôt.

Ce dernier s’humidifia les lèvres, il me connaissait comme personne, mieux valait ordonner ses pensées avant d’ouvrir la bouche, j’avais horreur des paroles gaspillées.

— Ce n’est pas une bonne idée de faire venir cette femme ici, Sire.

Je comprenais ce qu’il voulait dire, un roi choisi par Dieu ne pouvait admettre une voyante en ses appartements et plus encore la consulter.

— Laissez Monsieur de La Reynie résoudre cette histoire, je vous en prie, majesté.

Bien que je savais qu’il avait parfaitement raison.

— J’aimerais, Bontemps, pouvoir faire comme vous dites, seulement j’en perds le sommeil.

Son regard s’alarma. Je l’inquiétai et j’en avais conscience, à mon grand dam.

— Sire…

J’aurais voulu pouvoir le rassurer, devenir à ses yeux ce roi intouchable et imperturbable que j’étais pour tous depuis la mort de mon parrain le Cardinal. Mais mon fidèle serviteur connaissait mieux mon esprit que moi-même.

— Je vous l’ai dit Bontemps, je me dois de résoudre cette affaire, seul. Ce sont mes souvenirs d’enfance, et hormis Philippe, personne d’autre que moi ne sait ce que j’ai pu voir. L’enquête de La Reynie m’importe et sera précieuse, comme tout ce que vous pourrez faire en ce sens.

Ma main se posa sur la sienne. Il était rare que nous soyons si proches physiquement, je n’usais guère de gestes d’affection pas même avec mon frère. Pourtant ce dernier avait l’air d’apprécier à chaque fois que je m’y adonnais. J’insistais pour achever de le convaincre.

— Vous voir inquiet me contrarie, cependant, mon instinct me souffle de continuer mes recherches. Le cardinal m’avait donné ce conseil que je tiens pour avisé, de ne jamais laisser un doute courir. Lorsque quelque chose vous tracasse me disait-il c’est qu’il y a là matière à une réflexion qui doit avoir lieu avant que les conséquences n’en soient visible, ne serait-ce pour s’y préparer.

Mazarin parlait de la Fronde, indubitablement. Le conflit avait éclaté si vite, et paru imprévisible, implacable, mais tout ce qui survenait pouvait se prédire : des signes presque invisibles étaient perceptibles. La plupart du temps, on les ignorait, songeant qu’ils n’avaient d’importance. Or les signes au sujet de l’affaire me préoccupant étaient là depuis mon enfance, il était grand temps que je m’en soucie.

Et quand bien même il ne s’agissait que de messes noires pratiquées dans les bois, il fallait que je m’en charge. Si la Cour découvrait qu’il y avait des sacrifices rituels exécutés dans la contrée de Versailles, on s’en servirait comme argument contre la construction du Palais, dont les sommes engagées et l’immensité des travaux déplaisaient fortement.

— Très bien, Sire, je ferais venir cette femme, mais ce sera dans la plus grande discrétion. Il ne faut pas que l’Église et encore moins la Reine ne l’apprennent.

— Naturellement Bontemps, tout cela doit rester secret.

La Reine craignait déjà les ombres et les fantômes, mieux valait lui éviter des peurs supplémentaires. Je me devais de lui cacher ce qui occupait mes pensées, en vérité, je l’aurais caché à tout le monde si j’avais pu. Garder mes pensées secrètes était devenu si naturel avec le temps. Seul Bontemps pouvait les percer, et parfois, ma chère Athénaïs. Philippe était bien trop occupé avec ses propres drames familiaux : les conquêtes de son épouse et les frasques de ses amants. Songer à mon frère me fit sourire, comme toujours.

— Je préférerais que vous renonciez, Sire. Mais puisque cela est impossible, je veillerais à ce que vous preniez le moins de risques possible.

Je lui octroyai un large sourire, rassuré de l’avoir à mes côtés, sachant combien il était avisé et protecteur.

— Et je vous en sais gré.

La chose établie, nous quittâmes le cabinet où nous nous étions réfugiés pour cette discussion. La rencontre avec la voyante se fera sans le moindre doute dans une pièce assez semblable. Je ne pouvais que ressentir une certaine impatience à présent.

Pierre Mignard

Monsieur de LaReynie et Bontemps vous retrouveront dans les chapitres suivants !

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