CHAPITRE 52
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CHAPITRE 52
L’avis des locaux – Portrait émaillé des créatures des marais – Recherche de point faible.
L’opinion des gens que nous interrogions ne fut pas différente de celle de la sorcière, mais l’entendre était édifiant.
L’odeur des bestiaux s’accrochait aux vêtements du premier paysan qui nous reçut, pour lui éviter l’affront nous ne couvrîmes notre nez. Après tout, nous nous étions habitués au parfum de la sauge et du soufre chez la sorcière. L’homme était simple pour ne pas dire rustre, il nous observa d’un œil méfiant. Je supposais qu’il craignait qu’on ne vienne pour les impôts, le visage de Colbert n’étant pas inconnu du peuple. Nous le rassurâmes immédiatement, nous étions là pour nous enquérir sur les créatures des marais.
Chaque habitant du bourg que nous interrogeâmes eut la même expression de surprise en nous entendant les questionner sur leurs croyances, ils n’auraient jamais cru que leur Roi puisse s’y intéresser. Ils demeurèrent sur leurs gardes jusqu’à ce qu’on leur assure une légère compensation financière pour le temps qu’ils nous accorderaient, dès lors, leurs réticences s’évanouirent.
— Je n’ai jamais eu affaire à ces créatures, mais mon voisin qui voulait agrandir son champ dut assécher une partie du marécage qui le bordait. Dès qu’il a commencé son labeur, une avalanche de catastrophes lui tomba dessus. Son fils fut frappé par la fièvre qui après de longs mois de souffrance l’emporta dans la tombe. Sa femme devint boiteuse à cause d’une mauvaise chute et fut incapable de continuer à l’aider dans ses tâches, plus encore à enfanter. Son second fils se noya dans les marais. Quant à sa fille, il l’envoya au loin afin de la protéger, mais elle mourut en couche. Tout le village disait qu’il avait contrarié les fées et que pour le punir de son impudence, ils lui avaient enlevé toute sa famille ne lui laissant que ses larmes et ses souffrances.
Tel fut le récit du premier paysan. Il paraissait n’y avoir aucun doute en son esprit sur la culpabilité des fées dans la tragédie de son voisin. J’aurais douté de la véracité de ce récit avant le Sanctuaire. Ses paroles réveillèrent le souvenir des fées tournant autour de mon fils malade. Bien des enfants disparaissaient en bas âge, des maladies comme la petite vérole étaient des maux récurrents qu’on ne parvenait à endiguer. J’avais du mal, après tout ce que j’avais vu, à croire que ces maux étaient causés par ces créatures, mais je ne pouvais prendre un tel risque avec mon dernier-né.
— Je n’ai jamais vu ces fées, sire, mais ma fille si. Elle allait chercher du bois quand elle en croisa une. Celle-ci voyant sa miche de pain lui demanda de lui en offrir un morceau. Malgré sa peur, elle lui en donna un bout. Pour la remercier, la créature lui indiqua une source et c’est là que nous avons bâti un puits qui nous rapporte l’eau la plus claire en une zone marécageuse qui rend malade ceux qui boivent l’eau souillée par les marais.
Une femme semblait n’avoir aucun doute sur la présence des fées, il ne lui venait pas à l’esprit que sa fille aurait pu inventer une telle rencontre. Et à dire vrai, après avoir écouté tant de récits se rejoignant, il me sembla qu’ils y prêtaient tous foi, à moins qu’ils ne cherchassent qu’à me faire plaisir et obtenir l’argent promis. Il était possible que certains exagérassent, mais la plupart me parurent sincères.
— Majesté, je crois bien avoir été visité par ces créatures. Mon atelier fût retourné plusieurs fois durant la nuit. Mon épouse m’a raconté avoir vu le feu crépiter étrangement, entendre des soupirs et des messes basses la nuit venue. Alors, nous avons versé du sel près de la cheminée et mon épouse ne fut plus importunée durant ses travaux, mais ensuite, elle rêva d’une petite créature et parfois s’éveillait les cheveux en désordre, son bonnet jeté à terre. Elle constata que son métier à tisser avait été touché à son insu et les points mieux faits que ceux qu’un mortel pourrait faire. Convaincus par nos voisins et amis, nous avons fait appel à un curé qui a exorcisé notre maison. Sire, nous regrettons d’avoir fait cela, nous avons compris que ce gnome en dépit de l’agitation qu’il produisait, avançait notre travail, si bien que depuis, nous devons travailler plus.
Tous les récits n’étaient pas forcément négatifs, ainsi j’appris que certaines créatures étaient plutôt bienveillantes, qu’elles pouvaient même adopter une famille et les aider dans leurs tâches tant qu’elles n’étaient ni dérangées ni vexées. S’il semblait facile de les chasser, leur présence apportait assez de bénéfices pour qu’ensuite, ceux les ayant chassés regrettent leur geste. Il était étonnant d’entendre tout cela, même si, je reconnaissais certains traits de caractère qu’on retrouvait dans les contes que me racontait Perrette. Mais il y avait également des récits effrayants.
— Quand j’étais enfant, mon frère et moi nous nous sommes perdus dans les marécages. Nous allions là-bas ramasser des sangsues pour notre mère qui était une rebouteuse. Un jour alors que nous étions au marais, nous avons vu une dame tout en gris qui lavait son linge, elle avait l’air lugubre et effrayante. En nous approchant, nous vîmes que ce n’était pas du tissu qu’elle frottait dans l’eau, mais un bébé à la chair livide. Pétrifié, je n'ai pas bougé, mais mon frère s’est avancé et la dame l’a touché. Après ça, il n’allait plus bien du tout, j’ai dû l’aider pour rentrer. Il a été très malade, et il a fini par mourir. Ce fut horrible, il crachait de l’eau noire et il était tout boursouflé, Mère disait qu’il était comme noyé. Depuis, je n’ai plus jamais mis les pieds dans les marais.
Les histoires terribles revenaient régulièrement, d’enfants enlevés, de familles entières décimées par la fièvre, d’esprits hantant les marais, de lavandières et de feux follets attirants qui selon les bonnes gens étaient la manifestation des noyés, peut-être même les victimes de chevaux infernaux entraînant dans les eaux sombres ceux qui avaient le malheur de monter sur son dos et de jolies femmes se peignant les cheveux qui s’enfuyaient dès qu’on s’en approchait.
Dans le lot, il était vraisemblable que bien des maux imputés aux fées ne soient que des maladies charriées par les marais, mais l’ensemble donnait l’impression que ceux s’aventurant sur leur territoire étaient alors frappés par une malédiction emportant la famille de l’imprudent.
Mais jusqu’à présent, pas un mot sur le Seigneur des marais, pourtant, c’est à son sujet dont j’avais le plus besoin d’informations.
— Je n’ai jamais vu cette créature Sire, tout le monde ici évite d’en parler et plus encore de chercher à le croiser. On raconte qu’autrefois il régnait en ces lieux, que des sacrifices parfois humains étaient faits en son nom, que les sorcières pactisaient avec lui pour obtenir plus de pouvoirs.
Le pauvre homme se signa en disant cela, plusieurs fois d’affilée comme si cela pouvait l’en protéger.
— Lorsqu’on entend parler de lui, c’est toujours en des histoires effrayantes, nous espérons tous qu’en asséchant les marais vous le fassiez disparaître lui et ses abominables gobelins !
Une rebouteuse toutefois en fit une description plus détaillée.
— Sire, en chaque contrée le petit peuple a son seigneur. Celui d’ici est de la pire espèce. Il vit dans la rancœur et la jalousie du rayonnement des autres espèces, humains compris. Les sorcières savent toutes qu’il est difficile à contenter et qu’il peut se montrer fort cruel et mauvais. Mieux vaut éviter de recourir à ses services même si ses pouvoirs sont forts nombreux.
— Quels sont-ils ? demandais-je.
— Pour commencer, il peut guérir les fièvres que donne le marais, s’insinuer dans les songes et de les remplir d’illusions. Naturellement il a le don de métamorphose et d’envoûtement, comme toutes les fées. Mais on raconte qu’il peut aller au le royaume des morts comme des vivants et les sorcières pactisant avec lui peuvent réaliser de la magie noire.
L’édifiant portrait inspirait la méfiance, mais ne donnait guère d’indice pour entamer des tractations, pourtant, je n’avais le choix.
— A votre connaissance, existe-t-il un moyen de le faire ployer ?
— Personne n’a jamais vaincu le Seigneur des marais, mais l’on raconte que si on lui offre un objet en or, du tabac ou une partie de sa pêche, il nous laisse passer et la vie sauve. On raconte également que si l’on couvre son bateau de peaux de bœuf, il ne touchera pas à l’embarcation. C’est tout ce que j’ai pu entendre à son sujet, majesté. Si vous souhaitez en débarrasser le village, je crains que ce soit une bataille qui sera très meurtrière.
Ce fut également ma conclusion, mais je devais en parler à Colbert évidemment, et espérer que la sorcière que nous avions fait venir soit capable de nous donner accès à la Reine des fées. Le Seigneur des Marais devait en être jaloux, peut-être même se défiait-il de la haute autorité des fées. Mais je m’y connaissais en noblesse rebelle, la Fronde m’avait suffisamment enseigné sur le sujet. Je dois bien avouer que le Seigneur des Marais me rappelait des souvenirs fort peu plaisants.