CHAPITRE 62
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CHAPITRE 62
Des instructions – Un frère tacticien – Plans pour l’avenir.
Manifestement les fées avaient un attrait pour les artistes, aussi me figurais-je que ce serait une piste intéressante à suivre. Retrouver la trace de ceux que François 1er avait fait venir d’Italie ne serait une tâche aisée dont le résultat serait incertain. Mais nous n’avions guère d’autres pistes pour le moment, je chargeai donc Colbert de faire cette recherche pour moi.
L’autre piste consistait en ces sorcières prétendant marchander avec les fées qui pullulaient à Paris, même si La Reynie était en train d’en arrêter un grand nombre, accusées de créer et de vendre des poisons. Je demandai à la marquise de m’en trouver une en contact avec la Reine ou le Roi des fées. Surprise, Athénaïs me fixa, mais le ton dont j’avais employé et mon regard l’informèrent que je ne plaisantais nullement. Elle qui avait tant insisté pour m’aider ne put me le refuser. Je crois qu’au fond, elle était heureuse que je ne me laisse abattre et qu’au contraire, je prenne des mesures.
Enfin, ma troisième piste concernait mon Valet. Si le Roi des fées venait à la table de mon grand-père, ses serviteurs devaient bien le connaître. Il serait impossible de retrouver ceux issus de basse extraction, en revanche la petite noblesse s’étant mise au service de la royauté depuis des générations comme les LaPorte pouvait être aisément consultée. Je demandais donc à Bontemps s’il pouvait chercher dans les journaux de ses ancêtres quelques traces de ce Roi des fées.
Je lui demandai également de compulser les livres de comptes de la maison royale, car si le Roi des fées venait dîner à la table du roi, il était fort possible d’y retrouver les traces de telles visites. Cette enquête allait nécessiter un travail considérable, mais je savais qu’il pourrait faire appel aux membres de sa famille, et bien sûr aux autres valets.
Une fois toutes les consignes données, je demeurai seul, éreinté par ce que nous avions découvert, par ce que cela signifiait et ce que je devrais faire dès lors. Nos recherches risquaient d’être longues étant donné le peu d’indices que nous avions, mais le gel était un avantage sur le Seigneur des marais que nous ne pouvions perdre. Nous ne devions tarder à agir.
— Tu ne vas rien me donner à faire ? me demanda Philippe.
Je lisais le reproche silencieux dans ses yeux.
— J’ai besoin de toi.
— Tu dis toujours cela, mais ne fais rien dans ce sens. Tu as chargé tous tes ministres de tâches, même ton valet et ta maîtresse, sans rien me confier.
Je m’approchais de lui. Sa voix était toujours chargée de rancune quand il m’adressait la parole, je ne me souvenais plus quand était la dernière fois où nous avions ri ensemble.
— Les marais sont gelés, je voudrais que tu en profites. Prends avec toi une poignée d’hommes triés sur le volet, croyants et prudents si possible et cherche où se terre le Seigneur des Marais. Si je devine juste, il doit être moins puissant, entre le gel et le dépeuplement du hameau. Mais avant il faudra évacuer de la région toutes les sorcières et les médiums du coin, que ce maudit seigneur n’ait plus d’appuis ni d’alliés parmi nos sujets.
Philippe me regarda en haussant un sourcil.
— Tu veux que je chasse les sorcières ?
Je secouais la tête.
— Non, La Reynie s’en occupera. Il est déjà sur l’affaire en quelque sorte : ceux qui fabriquent ces poisons sont des alchimistes, sorciers et médiums. Je vais lui demander de s’en charger. C’est malheureux, mais la peste va nous permettre d’assainir plus efficacement la région. Nous détruirons ainsi le hameau pour construire une ville où il fera bon vivre.
Mon frère parut pas vraiment concerné, il n’avait jamais réellement apprécié mon idée de bâtir un palais à Versailles. Sans doute parce que je l’y forçais à rester alors qu’il aurait préféré rester chez lui à Saint-Cloud quand il n’était à Paris.
Après qu’il eut disparu, le silence et la solitude se refermèrent sur moi comme une chape de plomb. L’ampleur de la tâche m’écrasait d’autant plus que nos chances de réussite étaient maigres. Pourtant, je savais que si je parvenais à rencontrer le fameux Cernunnos, je pourrais écrire un traité qui offrirait un avenir glorieux à la France, mais si j’échouais, je pourrais perdre tout ce que j’avais construit.
A présent, il me paraissait évident que l’histoire de la France s’était écrite avec les fées, celles-ci n’étaient étrangères à ses victoires comme à ses défaites. Nous avions oublié peu à peu non seulement la crainte qu’elles inspiraient, mais surtout, les bienfaits qu’elles apportaient. Bien que je ne pouvais qu’imaginer leurs contributions, il était manifeste que l’art à la française et François 1er leur devaient beaucoup.
De tous mes ancêtres il était le plus fascinant. Il n’avait été un bon père, laissant ses enfants en otage à Charles Quint : les deux pauvres enfants étaient morts après une terrible vie de captivité. Mais il avait eu des victoires et des succès, il avait non seulement fait la guerre à l’Empereur le plus terrible qu’ait connu l’Europe, mais de surcroît, il avait développé l’art en France et modernisé la France.
C’était exactement cela que je voulais faire. Je pensais que la modernité viendrait du développement de nos techniques artisanales et de nos arts, ainsi que le rayonnement de la France à travers eux. Comme la Renaissance avait amené une révolution culturelle, je souhaitais le développement d’un esprit éclairé et critique parmi mes sujets. Plus je voyais la perversion de la noblesse dans les salons par les jeux d’argent et l’usage de potions, plus j’en étais convaincu.
Je ne savais quelle place je réserverais aux fées dans ce glorieux avenir que je désirais pour la France. Quand j’observais ces alchimistes qui avaient été tant recherchés par Élisabeth et l’empereur Rodolphe s’adonnant à la confection de vulgaire poison, je ne pouvais qu’éprouver du dégoût pour cette magie pervertie. Se pourrait-il qu’avec mes actions je puisse changer cela ? Je n’avais jamais cru en la magie, tout cela était encore neuf en mon esprit.
Pourtant, nos explorateurs et nos scientifiques faisaient chaque jour ou presque de nouvelles découvertes, le monde nous paraissait un peu plus vaste et mystérieux à chaque expédition, quant à la médecine, tant de travail restait à accomplir ! J’avais cru pendant toutes ces années que seuls les scientifiques en robe sortant de nos grandes écoles pouvaient prétendre à ce grand œuvre, mais si j’avais laissé les alchimistes persévérer dans leurs travaux d’antan, peut-être n’auraient-ils vendu des poisons à mes courtisans ?
Serait-ce possible d’envisager un futur où magie et modernité se mêleraient, où les fées au lieu de nourrir mes cauchemars inspiraient les créateurs, les ingénieurs et les architectes pour offrir au monde l’entrée dans l’ère moderne à laquelle il aspirait ?
Les Rois africains que j’invitais souvent à la Cour me parlaient de leurs belles contrées où la magie semblait régner. Ils n’avaient nos cités de pierres, de verre et de plomb, mais vivaient en harmonie avec une nature dont nous nous étions éloignés et possédaient une spiritualité que nous avions perdue. Nous devions nous inspirer d’eux. Quand je voyais Paris avec ses rues étroites, sales et obscures, j’en étais convaincu.
Je ne construirai pas un nouveau Paris à Versailles, contrairement à ce que certains pensaient. J’avais désiré que le palais soit dans un écrin de verdure, la cité qui se développera autour devra laisser de la place aux arbres et aux rivières. Et si je le pouvais, je ferais pareil avec Paris. Non seulement je leur donnerai de l’eau propre, de la lumière, et j’éliminerai la criminalité, mais j’ouvrirai ces rues trop étroites et laisserai la nature y retrouver sa place. Mais pour cela, j’aurais besoin d’aide.