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 CHAPITRE 28 

 CHAPITRE 28 

Pubblicato 7 apr 2022 Aggiornato 7 apr 2022 Cultura
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 CHAPITRE 28 

Bénédiction des bassins – discussion avec l’évêque dans les jardins – superstitions et croyance en le petit peuple.

J’observais la bénédiction, depuis la tribune dressée pour la fête et laissée pour la cérémonie que je venais de créer. Conformément à ma demande, toute la Cour s’était réunie pour y assister. L’événement se devait d’être sacré et officialisé. Toute cette mise en scène visait à lui donner suffisamment d’importance pour qu’on ne puisse questionner son existence. C’était à mon sens le meilleur moyen d’éviter les rumeurs. Et je tenais à ce que les courtisans soient présents, dans l’espoir que cela leur inspirerait plus de prudence. Que les créatures en soient responsables ou non, il était manifeste qu’une grande insouciance était en cause dans ce trépas.

Marie-Thérèse avait aisément convaincu l’évêque, je savais qu’il n’aurait pu lui refuser quoi que ce soit. Si la demande avait émané de moi, nul doute que j’aurais eu droit à la suite du sermon de tantôt. Chose qui aurait fatalement envenimé un peu plus nos relations déjà complexes. En outre de mes infidélités, il me reprochait d’avoir soutenu Molière lors de la censure du Tartuffe. 

Le silence solennel nous entourait. De nombreux courtisans arboraient un air affecté même s’ils ne connaissaient que peu la victime. Beaucoup portaient cette couleur sombre que j’avais proscrite à la Cour, détestant le port du deuil qui pouvait s’éterniser des mois durant. Cependant pour la bénédiction, je permis que soit porté du noir. Pour ma part, mes habits étaient dénués de couleur et d’ornements, le ruban violet que j’affublais était le symbole royal du deuil. Alors que l’évêque énonçait sa prière en latin, Marie-Thérèse et moi échangeâmes un long regard. Nous seuls savions que la bénédiction avait pour but de chasser les créatures des bassins, de changer l’eau s’y écoulant en eau bénite.

Afin de m’assurer que cela soit fait dans les règles de l’art, j’avais prétexté une rumeur selon laquelle l’eau des bassins était impropre et qu’en la bénissant, nous pourrions non seulement veiller au repos de l’âme du malheureux, mais aussi calmer les esprits. L’évêque m’avait longuement observé avec une expression dubitative, mais il ne fit cependant aucune objection. Soupçonnait-il quoi que ce soit ? Nous n’avions point évoqué le sujet des messes, mais ils devaient échanger avec mon confesseur. L’évêque devait connaître mes inquiétudes. Mais il ignorait pour le moment tout du sacrifice au sanctuaire.

Transformer l’imposant bassin en une réserve d’eau bénite était ambitieux, je le reconnais. Néanmoins, j’espérais que ce soit efficace. Les créatures devaient la redouter, du moins est-ce ce que j’avais déduis de mes conversations avec Perette. Mais pouvais-je employer ainsi les ministres de l’Église sans les avertir de la menace contre laquelle je les faisais lutter ? Bontemps pensait que Rome utiliserait pareille information contre moi, mais l’évêque de Paris dépendait de mon autorité autant que celle de Rome. J’espérais qu’avec l’aide de la Reine je pourrais même obtenir son appui. Et celle-ci était déterminée à me soutenir.

Alors même que je réfléchissais à l’échange que je devrais avoir l’évêque au sujet des créatures, des souvenirs de la soirée ayant causé le trépas de cet homme me revinrent. Tout d’abord l’absence totale d’étrange apparition dans mes songes, cette sensation de tranquillité que j’avais alors éprouvée au bras de la marquise. N’était-ce pas ce qu’on appelle le calme avant la tempête en marine ? Cette même sensation m’avait étreinte quand la Fronde avait éclaté, ce petit bonheur fragile que nous avions avant que nos oncles nous trahissent. N’avait-ce été le cas lorsqu’Henriette était revenue d’Angleterre, épuisée, mais heureuse ? Juste avant que la mort ne l’emporte, j’avais cru que le couple de mon frère pourrait enfin trouver l’équilibre.

Mes pensées continuèrent en ce sombre sillon. Ce château de Versailles était mon obsession, ce que je voulais léguer à mes descendants et offrir à la France. Mais déjà la mort s’y enracinait : les travailleurs sur le chantier, cet homme dans le bassin, sans parler du sacrifice dans les bois, des nobles volés sur les routes… La liste semblait s’allonger à chaque instant et les dangers se rassembler autour de moi. Les paroles de ma mère me revinrent : il arrive des choses terribles aux rois. Mon épouse y avait ajouté : plus vous vous élèverez plus vos ennemis seront nombreux. Comment ne pas éprouver une effroyable terreur à l’idée de provoquer un tel massacre à la seule fin de la grandeur de la France ? 

Je ne devais oublier mes devoirs envers mon peuple. J’étais le Roi, je ne devais ni fléchir ni douter, et ne pouvais reculer devant le premier obstacle. J’avais pris des décisions, donné des ordres, il me fallait attendre à présent d’en voir les résultats. Je devais chasser les spectres et les doutes m’entourant. Je portais les couleurs du deuil, comment s’étonner d’être affecté par de macabres pensées. Mais ce n’était qu’un ruban, qu’une couleur.

Une fois la bénédiction accomplie, je m’approchais de l’évêque et lui proposais de marcher dans les jardins en compagnie de moi-même et de mon épouse. Celle-ci serait de bon conseil connaissant déjà le sujet de mes inquiétudes. Une fois que nous fûmes suffisamment éloignés de la foule encore présente, je lui demandais de but en blanc si mon confesseur lui avait mentionné nos dernières conversations. Il me répondit qu’il était lui-même très inquiet de ces messes noires et de l’engouement de la noblesse pour les empoisonneurs, les sorcières et les voyants.

— Monseigneur, avez-vous entendu parler d’un endroit nommé le sanctuaire ? Il est à quelques lieues à peine, dans les bois jouxtant le château.

Le confesseur de mon épouse fronça les sourcils et balbutia quelques excuses pour sa méconnaissance du lieu en question. Après lui avoir conté ma découverte, je lui expliquais que cet endroit était réputé pour des pratiques païennes, et je lui partageais ma crainte que les messes noires y soient dites, que la dépouille trouvée soit la victime d’un sacrifice rituel. Tout cela l’effraya, mais à la différence de l’abbé du Bréau, il ne parut s’affaisser sous le poids de confessions qu’il aurait gardées pour lui.

— Sire, j’ignorais que de telles pratiques avaient lieu si près de nous. J’étais persuadé qu’ils allaient à Paris pour ces choses-là. J’aurais dû me méfier, après tout, Versailles était un petit coin de campagne avant que Votre Majesté n’y construise son palais.

Sa surprise paraissait tout aussi sincère que sa colère qui irradiait à l’idée qu’on puisse s’adonner à ces actes impies sous son nez. Nul doute que l’Évêque allait prendre des mesures, enfin, je l’espérais. C’était le but de la manœuvre.

— Hélas, continua l’homme d’Église, les vieilles croyances sont encore très présentes dans les contrées reculées. Un de mes anciens séminaristes qui a été envoyé en Normandie m’a rapporté toutes les étrangetés que ses paroissiens lui content. Sire, vous n’en croyiez pas vos oreilles de ce que ces bonnes gens peuvent affirmer.

Je savais mon peuple superstitieux, cependant après ce que j’avais vu dans mes songes, j’étais surpris d’y prêter foi moi aussi, de m’interroger au sujet de ces étrangetés rapportées par ces paroissiens normands.

— Votre séminariste vous a-t-il raconté ce que disaient ses gens ?

Ma question comme toutes les autres ayant précédé devait lui paraître des plus étonnantes venant du Roi. Heureusement, mon épouse appuya chacune de mes paroles d’un hochement de la tête.

— Sire, je n’ose prêter oreille à cet obscurantisme, mais puisque vous m’interrogez, eh bien oui, vos sujets sont persuadés que certains endroits sont habités par le petit peuple et qu’il serait impossible d’y construire quoi que ce soit, que si l’on tentait de forcer le destin, alors la mort frapperait autour de vous, arracherait vos proches et tous ceux participant aux travaux, jusqu’à ce que vous renonciez à votre folie. Ils pensent que les malheureux ayant affaire à ces fées puissent même finir par devenir fous.

Ces paroles résonnèrent étrangement en moi. Car il me semblait que la mort frappait régulièrement les ouvriers du chantier, et qu’elle avait été jusqu’à prendre un courtisan sous mes fenêtres ! Je ne pouvais m’empêcher d’y voir la confirmation de mes doutes même si un murmure ayant la tonalité de mon Valet tentait de me raisonner, de me rappeler que les marécages avaient toujours charrié des maladies et que le chantier comportait suffisamment de danger sans que j’eusse besoin d’y voir l’œuvre d’une malédiction.

 Pourtant, je mourrais d’envie d’inviter cet abbé normand à la Cour, ne serait-ce que pour l’interroger, confronter ce mysticisme paysan avec mes songes. Cependant, je n’eus à formuler cette curieuse demande à voix haute, la Reine le fit à ma place.

— Pensez-vous que votre ami pourrait venir à la Cour ? Nous aimerions l’entretenir de ces croyances qu’a le peuple, et de comment nous pouvons nous en accommoder.

L’Évêque hocha la tête, faisant une courbette.

— Votre Majesté, il sera honoré de venir ici.

La bénédiction suffira-t-elle ? Vous le saurez en lisant les chapitres suivants !

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