CHAPITRE 27
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CHAPITRE 27
La messe est dite – La Reine est outragée. – L’enquête est ouverte.
Après le conseil, je me dirigeais vers la messe. Celle-ci avait lieu dans la chapelle aménagée au sein même du château, un étage avait été détruit afin de lui donner l’ampleur nécessaire. Elle ne pouvait cependant accueillir qu’une partie restreinte des courtisans, je souhaitais donc construire une chapelle plus grande, mais ce projet prendrait tant d’années que je n’en verrais sans doute l’aboutissement. Quoi qu’il en soit, l’évêque ayant appris pour la mort dans les bassins fit un sermon sur la dangerosité de mener une vie dédiée aux amusements.
La Reine parue captivée, je me demandais si elle s’était liée avec son confesseur afin de me donner une leçon. Ces derniers temps, elle ne se gênait pas pour fustiger la Marquise de Montespan dès qu’elle le pouvait. Par esprit de contradiction, j’honorais d’autant plus Athénaïs. La marquise était le seul sujet de dispute entre la Reine et moi. Je n’avais encore jamais vu mon épouse avoir autant de rage envers quelqu’un, malgré tout, je n'avais aucune envie de renoncer à Athénaïs.
En sortant de la messe, je croisais l’évêque et lui jetais un regard sombre.
— Monseigneur, vous devriez passer un peu moins de temps avec mon épouse et un peu plus dans le palais, vous constateriez que les divertissements qui y ont lieu n’empêchent nullement l’élévation spirituelle.
La Reine courut au secours de son confesseur.
— Mon époux, tout dépend du type de divertissement. Ceux que vous offrez à la Cour sont toujours somptueux, mais il arrive qu’en buvant trop à la source, on en absorbe la lie. Voyez le tragique accident en votre bassin.
Je n’aimais le ton de cette conversation et le lui indiquais d’un long regard sombre appuyé en son endroit, mais elle tenait bon.
— Je m’inquiète pour vous, mon époux, vous ne venez plus me voir et vous délaissez vos devoirs.
La journée aurait commencé autrement, j’aurais eu plus de patience, plus de tendresse également, mais à cet instant j’étais dans un tel état de nerf que la colère répondit à ma place.
— Je n’oublie aucunement mes devoirs. D’ailleurs, je passerais vous voir ce soir et j’espère vous trouver de meilleure humeur.
Ma langue claquait contre mon palais, ma voix était froide et tranchante. La Reine en fut piquée, mais je feins de n’en rien voir.
Je dînais ensuite, sans mon épouse qui, vexée par notre échange, s’enferma en ses appartements, je l’imaginais se venger sur les chocolats et fruits confits comme à chaque fois qu’elle était contrariée. J’étais de trop méchante humeur pour être de bonne compagnie. L’absence de mon frère me pesait, il était parti sans même m’avertir alors que je lui avais pourtant annoncé le retour de son amant ! La journée m’avait paru désastreuse et rien ne semblait l’arranger, pas même ma belle Athénaïs.
Pendant tout le repas, j’entendais naturellement les conversations des courtisans qui n’étaient guère différentes de celles qu’ils avaient eues au matin. Las de ces ragots, j’écourtais le repas, ayant perdu mon appétit. Je ne cherchais ni le regard de la marquise qui aurait pu adoucir mon humeur ni celui de Bontemps qui aurait accentué mon agacement, je voulais être seul et réfléchir aux mesures à prendre.
Lorsque j’arrivais à la morgue, j’avais déjà l’esprit accaparé par la mort, de sorte que, j’en fus soulagé de me retrouver confronté avec elle. Ce fut comme si elle m’avait attendu patiemment. Je ressentais cette étrange impression que les spectres m’entouraient, que les défunts m’avaient appelé toute la journée, et qu’en cherchant à les ignorer, je n’avais fait que donner plus de poids à leur colère et rendu que plus perceptible leur désespoir. En franchissant le seuil de cette petite bâtisse à l’odeur affreuse, je sentis la présence de la faucheuse, accueillante et infatigable.
La Reynie m’attendait ainsi que le médecin. Bien sûr, j’étais accompagné de Bontemps, et de quelques gardes. La morgue étant un peu éloignée du palais pour des raisons évidentes, ces derniers ne m’auraient laissé y aller seul. Un roi n’était seul en nul endroit. Cela ne m’avait jamais dérangé avant que je tombe sur le Sanctuaire, mais depuis cet instant, quelque chose avait changé en moi. C’était comme si une partie de moi-même que je pensais avoir abandonnée avec l’enfance, la capacité à rêver, à s’émerveiller, mais également à trembler de peur s’était éveillée. J’aurais aimé avoir moins de témoins à mes troubles, moins de présences perturbantes alors que je réfléchissais à ce problème qui se manifestait à moi.
Le corps du malheureux retrouvé reposait sur une table, sa chair boursouflée avait la teinte grise et l’odeur l’accompagnant était terrible.
— N’est-il pas en très mauvais état pour quelqu’un ayant succombé dans la nuit ? demandai-je.
— Vous avez raison, sire, il est dans un état de décomposition trop avancé, c’est comme s’il avait passé plusieurs jours dans l’eau. Le médecin n’a encore jamais vu cela, moi non plus d’ailleurs.
Quelle étrangeté songeais-je, et mes pensées ne purent s’empêcher d’aller vers les créatures et Sanctuaire.
— Les morts liés à l’assèchement des marais sont également des noyés ?
La Reynie ne sut que répondre sur le sujet, mais le médecin chargé des corps reposant ici l’avait.
— Sire, ils sont affectés par les maladies dues aux marécages, mais certains se sont effectivement noyés, à cause des sables mouvants ou de la vase.
Je pressais le mouchoir sur mon visage afin de sentir le parfum que je portais plus que l’infection qui émanait du cadavre boursouflé.
— Présentaient-ils également des signes de décomposition avancée ?
— Sire, leurs corps étaient dans un état semblable, mais ce n’est pas la même eau que celle se trouvant dans le bassin.
À dire vrai, ce n’était guère les maladies chargées par l’eau que j’avais en tête, mais plutôt ces êtres qui peuplaient mes songes et semblaient aimer les jeux d’eau. S’ils étaient responsables, alors peut-être vivaient-ils dans les marécages. Henriette disait que cette nation avait été oubliée et qu’elle était en colère. Se pouvait-il que les travaux de Versailles les rendent furieux ? En asséchant les marais, je les avais attirés vers les jardins ? Et si tel était le cas, comment pourrait-on les en chasser ? En faisant bénir l’eau du bassin ?
Voilà une idée bien étrange qui ferait jaser. Les corridors du palais étaient déjà soumis aux rumeurs et je savais ma chère Athénaïs prompte à les faire courir. Cependant après le sermon de l’évêque, je ne doutais pas que celui-ci accepterait une telle idée, surtout si je m’assurais d’avoir le concours de mon épouse. La Cour y verrait une manière d’apaiser l’Église et peut-être un hommage rendu. Ce qui était certain c’est que personne ne songerait que je cherchais par là à éloigner des créatures chimériques.
— Aujourd’hui les courtisans évoquaient la mort d’épuisement de danseurs lors des bals. Je trouvais la chose fort étonnante, qu’en dites-vous ?
Le médecin réfléchit à cette question qui l’avait prise par surprise.
— Sire, il y a toujours des accidents, des personnes fragiles qui n’écoutent leur médecin et dansent jusqu’à l’épuisement, mais ces choses-là sont rares, je puis vous l’assurer. Seulement quand la mort survient après de telles réjouissances, elle marque plus l’esprit que lorsqu’elle touche un jeune enfant ou une vieille personne en des conditions plus ordinaires.
Bontemps hocha la tête approuvant les dires du médecin, il voulait tant que je croie à la thèse de l’accident. Pour l’apaiser, je lui tus mes pensées et mes projets.
— Identifiez le malheureux et qu’on avertisse sa famille, je paierais les funérailles, et naturellement la Cour y paraîtra, d’ailleurs, je voudrais qu’elles soient célébrées ici.
Bontemps s’avança, l’air soucieux.
— Majesté, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée. Cela ferait bien trop de monde dans la chapelle, de plus assurer votre sécurité sera plus compliqué ainsi.
Je poussais un soupir.
— Très bien, les funérailles auront lieu à Saint-Germain alors, que le corps y soit rapatrié une fois que vous en aurez fini.
Après cela, je me rendis voir mon épouse qui me gardait encore rancœur pour tout à l’heure. Quand je lui proposais que l’on bénisse la fontaine, elle en fut surprise. Cependant dès que je lui expliquais mes soupçons, elle trouva l’idée excellente et voulut m’aider pour convaincre l’évêque et dans son enthousiasme ajouta que les jardins pourraient être bénis eux aussi.
— Il vaudrait mieux qu’il se concentre sur le bassin d’Apollon, c’est le principal bassin, celui où la dépouille a été trouvée. Aux yeux de tous, il s’agira d’une cérémonie d’adieu, ne l’oubliez pas.
La Reine approuva d’un mouvement de tête, elle me souriait doucement. La colère de tantôt semblait avoir disparu, comme mon frère, elle ne parvenait à me tenir rigueur bien longtemps. Tout comme Louise, mon épouse était facile à contenter, il était si aisé de retrouver son affection, de se faire pardonner tous ses faux pas. J’aurais aimé avoir un cœur aussi tendre que le sien.
Elle s’approcha de moi, et pressant ses mains contre les miennes, ses lèvres vinrent trouver le chemin des miennes, ses cheveux sombres chatouillaient ma nuque, elle avait le goût des douceurs chocolatées dont elle aimait s’abreuver. Je ris doucement et la Reine rit de concert avec moi. Mes mains caressèrent sa peau, ses boucles de cheveux, et j’eus envie de lui faire l’amour, de l’honorer de ma passion.
Avec mon frère, elle était la seule restée auprès de moi qui me rappelait chaque jour ma mère et son héritage. Je ne voulais perdre son amour, plus encore, son respect. Qu’il était difficile de contenter les femmes de ma vie, et c’était peut-être mesquin de le songer, mais mon frère par bien des manières, en était une également à mes yeux. Au fond, je crois que cela lui ferait plaisir de l’entendre.