CHAPITRE 58
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CHAPITRE 58
Mauvais coups du sort – acharnement macabre – les mauvaises nouvelles n’arrivent jamais seules.
Le déménagement de la Cour se passait bien, Bontemps y veillait. J’observais ces préparatifs à distance. Colbert et Louvois me tenaient informé des avancées de nos autres projets, avec le premier c’était l’industrie florissante et les routes commerciales menant en Afrique qui nous préoccupaient tandis qu’avec le second nous commencions à planifier la campagne de Hollande. Mais même durant le plus intense des conseils, mes pensées me renvoyaient aux marais.
D’Artagnan ne me lâchait d’une semelle quand je m’y rendais. Peu importait sa charge de travail alourdie par le déménagement, Bontemps s’assurait de ma sécurité à tout instant par le biais du valeureux capitaine qui avait toujours protégé ma mère et dont la compagnie ne me déplaisait, bien au contraire.
Nous partîmes après la messe et retrouvâmes Philippe qui, sur son élégante monture, surveillait les avancées. Il était étonnant d’observer l’armée de soldats et de prêtres se déployant dans les marécages. Le chantier était d’ampleur, mais nécessaire. Après une courte discussion, je le priais de rester vigilant avant de partir vers le hameau.
Je devais voir la sorcière. Celle-ci devait m’instruire sur la Reine des fées. À notre arrivée, nous fûmes assaillis par l’odeur nauséabonde qui y régnait. Tout le hameau semblait imprégné d’une sorte de vapeur ocre alors que la rue, à notre grand étonnement, demeurait désespérément vide. Je plaçais un mouchoir sur mon nez tant la puanteur était étourdissante. Le capitaine posa sa main gantée sur mon bras.
— Restez ici, majesté.
Obéissant aux instructions, je restais dans la calèche tout en suivant des yeux les mouvements des mousquetaires qui étaient venus avec nous. Ces derniers s’avancèrent prudemment dans la rue principale. Le silence était lourd et inquiétant. Je ne pouvais détacher mes yeux de ces rues vides et de ces habitations qui me parurent abandonnées. L’odeur qui en émanait était agressive et inquiétante. Je craignais qu’un mal ronge les lieux, un mal que les créatures pouvaient avoir amené…
Des mousquetaires, soupçonneux, entourèrent la calèche, arme à la main en surveillant les environs, pendant que le capitaine envoyait le reste des hommes inspecter les maisons, ils en revenaient l’estomac secoué, mais sans signe de vie. Mon inquiétude grandit quand je réalisai qu’ils sortaient de celle de la sorcière avec le même signe négatif. Alors que nous avions perdu peu à peu tout espoir, une silhouette blanche apparue, l’homme masqué s’approcha et le capitaine alla à sa rencontre. Je ne pus que suivre l’échange de loin.
L’homme demeura un instant planté là, pendant que le capitaine venait vers moi.
— La peste, sire, il nous faut vous éloigner d’ici. Les corps seront brûlés une fois qu’ils seront tous rassemblés.
Je me penchai à la fenêtre, observant un bref instant le monticule des dépouilles enroulées à la hâte dans des draps noircis que je n’avais vus jusqu’à présent. Je n’eus aucun doute que c’était l’œuvre des créatures, elles empoisonnaient l’eau, les terres, les cultures et à présent les hommes en guise de représailles à l’assèchement du marais.
— La sorcière, où est-elle ?
— Elle n’est pas chez elle, elle est probablement morte, répondit le capitaine en secouant la tête.
— Où sont les survivants ? insistais-je.
D’Artagnan m'observait avec une supplique silencieuse, il aurait préféré que nous quittions sur le champ cet air pestiféré. Il en allait de ma sécurité, j’en étais conscient, comme de celle de ses hommes. Mais je doutais que quelques secondes de plus y changent quoi que ce soit.
— Laissez un homme ou deux chercher des survivants. Si elle s’y trouve, qu’ils l’éloignent d’ici.
Le capitaine hocha la tête, donna des ordres et nous partîmes au pas de course.
Comment des créatures pouvaient-elles insuffler la maladie ainsi aux hommes ? Le curé normand avait évoqué des armes magiques invisibles frappant les hommes, s’avérant également mortelles pour les fées si elles étaient retournées contre elles. Mais ce mal ne pouvait être le résultat d’une arme invisible. Alors comment procédaient-ils ? Je l’ignorais pour le moment, mais était persuadé de leur culpabilité. Le village avait été frappé durement, les rares survivants furent rassemblés dans l’église, apprenais-je par la suite.
La mort encore m’entourait. À peine Philippe eut-il déployé ses hommes et laissé des instructions à chacun, que la mort commença à les ourdir également. Des fièvres bien sûr, mais aussi des incidents, des noyades, certains tombèrent raides morts sans qu’aucun signe avant-coureur ne parût. J’avais perdu ma sorcière, décimée par la peste, et à présent, je perdais mes soldats. Philippe dut retourner à Saint-Cloud avec la cour, je lui en avais donné l’ordre. Au vu des décès s’accumulant, je refusais qu’il prenne le moindre risque en restant là-bas.
Versailles me paraissait condamnée. La maladie frappait toute la région. Le mal s’enracinait. Des vagues de fièvre touchaient toutes les populations et le retour de la peste contraignit les survivants à brûler leurs fermes et champs, se condamnant ainsi à la famine alors que l’hiver s’annonçait rude. Pire encore, considérés comme contagieux, les villages voisins les refoulaient craignant que la maladie se propage. Certains de ces malheureux devaient gagner Paris dans une misère des plus totales ayant perdu toute leur famille et tous leurs biens.
Bien sûr, je craignais que l’épidémie touche la capitale. La Reynie éprouvait déjà les plus grandes difficultés à confronter les empoisonneurs. Les confessions transmises par l’évêque n’aboutirent qu’à de trop rares arrestations et la Brinvilliers continuait d’échapper à la police. Les négociations avec l’Angleterre avaient échoué. Notre inquiétude était que les autres nobles accusés croient pouvoir s’échapper aussi aisément. Il était capital de procéder à son arrestation et pour cela, je donnais à La Reynie carte blanche en la matière. Quelqu’un rendu coupable de meurtre devait être poursuivi et puni en conséquence, quel que soit son rang, sa situation ou son genre !
Au même moment, des nouvelles désastreuses me parvinrent de Hollande. Turenne souhaitant regagner des terres avant le gel avait attaqué une région à l’est que nous n’avions conquise. Certes, sa victoire avait été éclatante, mais il avait ordonné que ses hommes s’adonnent au pillage et pire encore au viol des femmes qu’ils trouvaient sur leur chemin. Une telle barbarie entachait non seulement notre guerre, mais également notre pays, et ma réputation. Les Hollandais eurent tôt fait de me dépeindre comme le tyran acceptant de telles ignominies et de rallier à leurs causes les peuples européens.
Comme si ces mauvaises nouvelles ne suffisaient, mon dernier-né était malade. La Reine et moi étions vivement concernés par le mal qui rongeait notre fils. Je ne savais si Marie-Thérèse pourrait supporter de perdre encore un enfant, particulièrement un fils. Elle se sentait fautive de ne parvenir à m’offrir un autre héritier aussi solide et en bonne santé que le premier. Je l’épaulais durant la maladie, craignant que ce soit une nouvelle fois l’affaire des fées. La Reine partageant mes craintes fit porter des crucifix dans la chambre de notre enfant malade.
L’obscurité n’avait jamais été aussi palpable.
Bontemps était inquiet de voir mon appétit diminuer. La fièvre s’était emparée de moi, mais j’étais plus affecté par la peur d’échouer, il me fallait trouver comment frapper plus durement le Seigneur des Marais, comment protéger mes gens, je ne pouvais me contenter de lui offrir mon flanc. Philippe m’en voulait de le tenir éloigné, pourtant j’avais besoin de lui, plus que jamais. J’avais perdu la sorcière bretonne et l’abbé normand était au plus mal me disait-on. Je ne savais si j’allais pouvoir vaincre le Seigneur des marais. La victoire ne m’avait jamais paru aussi fragile.