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 CHAPITRE 53 

 CHAPITRE 53 

Pubblicato 20 apr 2022 Aggiornato 20 apr 2022 Cultura
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 CHAPITRE 53 

Retour au Palais – les jeux dans les jardins – un début de plan – nouvelles révélations.

 

En rentrant au palais, je retrouvais la vivacité de la cour. Nous remontâmes en calèche le long de l’allée donnant une bonne vue des jardins. S’y trouvaient des courtisans qui jouaient aux quilles, certains faisaient naviguer de petits voiliers sur les bassins, de jeunes couples batifolaient dans les bosquets, des poèmes étaient déclamés autour d’un parterre de gentes dames, tout cela au rythme des violons de Lully. Le soleil dessinait les silhouettes, le parfum des fleurs tranchait avec l’air nauséabond du hameau, les chatoyantes couleurs effaçaient l’atmosphère sombre et inquiétante entourant les marécages. Ici en ces jardins, l’on goûtait au Paradis, ignorant les ténèbres tapies tout autour.

Comme autrefois, pensais-je, lorsqu’enfant nous jouions avec Philippe, Vivonne, Henriette et Françoise, inconscients du danger se trouvant dans les bois nous entourant. Aurions-nous été plus prudents si nous avions su ce qu’il s’y cachait, aurions-nous été aussi intrépides ? Sans doute pas, notre enfance fut cernée de dangers dont nous avons préféré ignorer la menace mortelle qu’ils revêtaient.

J’observais les courtisans et vis Athénaïs au bras de mon frère et de sa nouvelle épouse. Le Chevalier de Lorraine papillonnait à leurs côtés donnant lieu à une scène des plus étranges. Je n’aurais jamais cru voir cela un jour. Mon frère au milieu de son amant et de son épouse. Le plus étonnant étant que Liselotte et le Chevalier avaient l’air s’entendre. Je jalousais mon frère qui n’avait à s’inquiéter que son épouse rencontre son favori. L’ironie étant que la Reine adorait Liselotte et Athénaïs restait la meilleure amie de Philippe. Pouvais-je espérer qu’un jour, mon frère et ma belle-sœur puissent accomplir un miracle en réconciliant l’inconciliable ?

Moi aussi je devais accomplir un miracle. Je n’avais rien de tangible contre Le Seigneur des marais. La Hollande m’avait appris que tout ennemi devait être considéré avec le plus grand sérieux : en rompant leurs digues, les Hollandais avaient fait preuve d’un sens du sacrifice rare, mais d’une efficacité redoutable. Je présentais que cet ennemi était d’une nature différente de Guillaume d’Orange, plus redoutable encore. Mais à la différence de Guillaume, le Seigneur des marais m’inspirait de la répugnance et de l’horreur, la première chose que je devais combattre était ma peur.

J’espérais que les traités que rassemblerait Bontemps m’éclaireraient, que la sorcière m’épaulerait, et qu’avec leur aide, je finirais par saisir le fonctionnement de ces mystérieuses créatures. Même si, une partie de moi comprenait qu’au fond, elles n’étaient pas si différentes de nous autres, les humains.

Je me souvenais que trop bien de l’hypocrisie crasse de ces princes qui vous sourient en aiguisant le couteau qu’ils cherchent à planter dans votre dos dès qu’ils en ont l’occasion. De cette nuit d’effroi au Louvre où ils ouvrirent les portes de ma chambre à tous ceux qui le voulaient, où je dus dissimuler ma peur d’enfant et feindre le sommeil, alors qu’ils inspectaient ma chambre et ma personne. Mère rapporta qu’en voyant mon visage ils avaient reculé et compris l’irrespect dont ils avaient fait preuve devant leur roi, mais en vérité je crois qu’ils n’ont osé faire quoi que ce soit à l’enfant que j’étais. Si cela avait été Mazarin dans ce lit, ils l’auraient assassiné.

Je devais supposer que le Seigneur des Marais était un ennemi aussi redoutable si ce n’est plus, et en ce cas, les négociations risquaient fort d’échouer. Je me souvenais des enseignements stratégiques que m’avait donnés le vieux capitaine de Guitaut qui avait veillé sur notre sécurité durant mon enfance, des récits que me faisait LaPorte, de tous les grands chefs militaires de l’histoire, César étant mon préféré. Pour obtenir la paix, nous devions nous préparer à la guerre.

Et pour cela, nous devions avoir des armes redoutables contre les fées.  J’avais cru comprendre que le fer n’était leur ami, mais dans les marais les épées pouvaient couler et les croix se noyer. Il me fallait un plan plus ambitieux. Peut-être pourrais-je tenter de bénir les marécages ou menacer d’achever leur assèchement. Je savais qu’ils ne souhaitaient que leur territoire disparaisse, ce qui était normal. Mais je ne pouvais leur permettre de continuer leurs exactions et surtout leurs messes noires et sacrifices.

C’est pour cela qu’avant de voir Bontemps, je rejoignis le curé d’Anselme. Ce dernier se préparait pour les vêpres. Il me demanda comment s’était passé notre visite, je lui rapportais les récits des habitants avant d’enchaîner sur mon idée :

— Pensez-vous qu’il serait faisable de bénir les eaux du marécage ?

Le prêtre me regarda avec stupeur, pareille idée ne devait avoir caressé son esprit, pourtant, il savait que Bossuet s’en était chargé pour le bassin.

— C’est envisageable, mais c’est une grande quantité d’eau et porteuse de magie sombre, je ne sais pas si cela fonctionnerait, majesté.

— Il ne sera peut-être pas nécessaire de le faire réellement, la menace pourrait suffire.

Après notre discussion, j’assistais à la messe puis reçus les nobles qui souhaitaient me demander quelque chose, pas uniquement les nobles en fait, tout le monde pouvait venir me voir et j’insistais sur le tout le monde d’ailleurs. Ce ne fut qu’ensuite que je pus discuter avec Bontemps.

L’emploi du temps d’un roi est réglé comme du papier à musique, laissant très peu de temps entre toutes les obligations. Mais en me reposant sur mon ministre et mon intendant pour ce combat, je le plaçais ainsi dans les ordres de priorité des affaires du royaume.

Bontemps m’accueillit avec un sourire contrit. Il avait tout fait pour me protéger des créatures. Je me souvenais de sa méfiance envers ce pavillon de chasse, de sa prévention contre les marécages et la dangerosité de cette région. Évidemment j’avais songé à la fièvre et au risque de noyade, mais comment aurais-je pu deviner que des créatures y demeuraient et qu’elles constitueraient une pareille menace ?

Avait-il su pour le Sanctuaire ? Si je ne m’y étais aventuré, rien de tout cela ne se serait produit ou alors je n’en aurais rien su et aurais continué d’imputer ces maux aux marais. Je ne voulais me demander si Bontemps aurait fini éventuellement par m’en parler un jour, je ne voulais me fâcher contre lui, j’avais tant besoin de lui à mes côtés.

— Avez-vous retrouvé les traités ? l’interrogeais-je.

Bontemps me regarda fixement, et finit par hocher la tête.

— J’ai ramené avec moi celui que votre père avait signé, il fut le plus facile à retrouver. Les autres sont en train d’être compilés et vous seront rapportés au plus vite, majesté.

Mon valet retenait si fort tous les avertissements de prudence en lui qu’il en devint rouge pivoine.

— Que voulez-vous me dire Bontemps ? soupirais-je sachant que je ne pourrais y échapper.

Il y avait parfois chez Bontemps ce ton presque moralisateur. Je n'oubliais qu’il ne cherchait que mon propre bien, qu’à assurer la pérennité de mon règne, qu’il agissait comme sa fonction l’exigeait, mais depuis que j’avais entamé cette relation avec la marquise de Montespan je sentais son regard se voiler d’anxiété en de trop nombreuses occasions. Il n’était pas le seul à déprécier ma liaison, mais c’était le seul dont les sentiments n’étaient portés par la jalousie. Le seul que je devais écouter au fond.

— Majesté, je voudrais vous prévenir, votre père a passé ce traité sans tenir compte de l’avis de Richelieu ni de personne en vérité. Mon père et LaPorte furent les seuls au courant. Il avait peur pour vous et votre frère… La crainte que vos vies soient menacées l’a poussé à contracter cette…

Son cœur paraissait lourd, comme s’il allait me faire découvrir une erreur monumentale ou une trahison. J’avais vu mon père en rêve, je savais ce qu’il avait fait. Il avait agi par amour, et pendant longtemps, j’avais ignoré qu’il en avait autant pour nous. À nos yeux d’enfants, il avait toujours été ce personnage énigmatique, presque effrayant.

— … dette. Car c’en est une.

Mon regard se teinta d’inquiétude.

— Dette ? Je croyais qu’il avait négocié avec les fées afin qu’elles ne nous approchent pas.

Bontemps hocha lentement la tête.

— Cette créature exigeait toujours plus, et votre père… il a essayé de tenir votre mère et vous-même, Sire, éloignés de ces terres.

— Vous avez rencontré ce Seigneur des Marais ?

— Je n’en sais guère plus que vous, Majesté. Tout ce que je sais c’est que votre père a pactisé avec un être qui me paraît être le Seigneur en question. Mon père en fut terriblement soucieux. Il avait peur, je ne l’avais jamais vu ainsi…

La voix de Bontemps s’éteignit sous l’effet de l’émotion. Cela me chagrinait qu’il m’eût menti à deux reprises, mais le regard que je lui jetais n’était point de reproche, plutôt d’inquiétude.

Qu’avait donc pu signer mon père ? Je saisis le morceau de parchemin et l’ouvris. Mes yeux se figèrent. Mes négociations étaient vouées à l’échec si je ne remplissais la dette de mon père, mais celle-ci me paraissait impossible, comment avait-il pu accepter cela ? Comment un Roi sacré par Dieu pouvait-il accepter de sacrifier ses sujets à un Seigneur d’un marécage où il aimait simplement chasser ?

Qu'a donc pu faire le père de Louis ? Vous le saurez dans les chapitres suivants !

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