Comment l'Etat français assassine t'il ses artisans et commerçants (Deuxième Partie)
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Comment l'Etat français assassine t'il ses artisans et commerçants (Deuxième Partie)
L' Association En Toute Franchise (ETF)
En parallèle à ses déboires en justice (voir Première Partie), Martine Donnette garde le contact avec des franchisés Phildar. Dans un premier temps, c’est-à-dire pendant les procédures d’appel en 1992 - 1993, Martine prend conscience de ne pas être la seule à s’être malheureusement trouvée au mauvais endroit et au mauvais moment. Elle souligne « un vrai carnage avec suicides et crises cardiaques, c’était une période dramatique avec le franchiseur Phildar ».
Les franchisés, mis en liquidation judiciaire, ont disparu au fur et à mesure. C’est alors qu'ils ont été remplacés par les succursalistes : une enseigne nationale intègre des galeries marchandes avec des responsables de magasins attachés au chiffre d’affaires, à la différence des artisans et commerçants qui sont indépendants et propriétaires de leurs fonds de commerce.
Martine admet que « le problème spécifique de franchiseur et de bailleur ne concernait pas grand monde. » et décide, « avec trois franchisées Phildar et Claude ayant le même problème dans des centres commerciaux », de créer en 1994 une nouvelle association appelée En Toute Franchise.
Suite à la disparition des plans de Carrefour, la nouvelle équipe commence ses « recherches sur l’urbanisme commercial et sur la totalité de l’historique et les permis de construire de Carrefour depuis son origine ». Ensemble, ils découvrent que « Carrefour n’avait jamais obtenu d’autorisation d’exploitation commerciale pour toutes ses extensions. En tout, plus de sept mille mètres carrés (7.000 m²) construits en toute illégalité et en toute impunité. L’association demande « en 1995 au préfet en poste de faire le contrôle des surfaces illicites. Il s’avère que les agents de la Direction Départementale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes ne trouvent qu’un total de cinq cent soixante-quatre mètres carrés (564 m²) de surfaces illicites. Nous nous portons parties civiles et le juge d’instruction refusera tous nos documents de preuves de l’extension de 7.000 m² de surfaces illicites sans autorisation d’exploitation commerciale et Carrefour bénéficiera d’un non-lieu ». Martine Donnette est formelle : « En 2014, Carrefour a sollicité et obtenu en toute impunité la régularisation de 5.467 m² de tous les membres de la Commission Départementale d’Aménagement Commercial (CDAC) et de la Commission Nationale d’Aménagement Commercial (CNAC) ».
Photo de la couverture du premier ouvrage de Martine Donnette "Seule face aux géants" (Max Milo)
Malgré cet échec en justice, l’association poursuit inlassablement son travail : « Avant 2008 et l’ère Sarkozy, nous obtenions l’annulation des autorisations de grandes surfaces grâce aux critères de densité commerciale mais également de création d’emplois, grâce à la loi Royer qui respectait les Droits de l’Homme et du Citoyens ». Les choses se sont ensuite compliquées car « la loi LME (Loi de Modernisation de l’Economie) du 4 août 2008 va supprimer le critère de densité commerciale et celui de l’emploi. L’ex-commerçante s’indigne car depuis, plus aucun moyen de défense n’est possible ; il n’existe plus de véritable droit de recours.
Directive Européenne non retranscrite dans les textes français
Chaque lanceur d’alerte a suivi avec intérêt la Directive Européenne de protection des lanceurs d’alerte votée en 2019, très fortement relayée médiatiquement ces trois dernières annèes. La France se targuant d’être à l’origine de cette Directive, nos hommes politiques se sont empressés pour faire comprendre à chacun l’obligation de retranscrire cette Directive en urgence dans nos textes français. Ce qui fut fait en février dernier.
Y aurait-il deux poids, deux mesures dans les retranscriptions de Directives ? Martine Donnette et Claude Diot sont formels : « En 2009, l’Union Européenne a signé la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, contraignant chaque état membre à la retranscrire. Mais la France décidera de ne pas appliquer cette Charte des Droits Fondamentaux ». Treize années se sont écoulées et en 2022, l’Association déclare « en être à toujours demander la transposition de la charte des droits fondamentaux dans le droit français ». Les centres commerciaux, galeries marchandes et grandes surfaces ont envahi la périphérie de toutes les villes françaises depuis trente années car « sans aucun droit de recours, les maires font ce qu’ils veulent, ils peuvent violer les lois, les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), ils ne sont jamais responsables, ni poursuivis. Ils n’en n’ont rien à faire de ruiner les commerçants et leurs centres-villes ; ils sont inféodés à la grande distribution, aux promoteurs etc. L’intérêt général, c’est du moyen âge ! ».
Réussir ensemble ou échouer séparément
L’association ETF a compté jusque 1.450 adhérents. "Mais, faute de droit de recours, la situation du pays liée au covid ces deux dernières années etc., il est devenu difficile de motiver des troupes. Les commerçants - artisans ne croient plus en rien, exactement comme tous les citoyens envers la politique ! "
La grande distribution est gagnante à double titre : En envahissant les périphéries des villes, elle est incontournable car très visible et facilement accessible en voiture (parking, garde des enfants, loisirs etc.) mais elle réinvestit également les centres des villes qu’elle a vidés de leurs commerçants indépendants en y implantant des petites annexes de leurs marques (Carrefour Market, Petit Casino, A2Pas, U express…).
Toutes les autorisations étant délivrées par les maires « irresponsables de leurs actes, on tourne en rond puisque le droit de recours n’est plus possible : Les préfets n’agissent pas non plus car ils ne contrôlent plus rien, ils ont démissionné de l’article 72 de la constitution et suivent les ordres du Ministère des Finances qui refuse de transposer la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.
Martine Donnette
Selon l’association ETF, la voix de l’opposition dans chaque conseil municipal serait « assez rare. L’opposition est très peu motivée ; les maires ont l’art et la manière de se moquer de leur opposition et de faire de l’obstruction de l’information. Tout le monde est content, rien de bouge ! ». Idem pour les autres associations, qui ne s’associeraient pas aux actions d’ETF car elles travailleraient seules, seraient peu communicantes et « censurent les informations produites par ETF pour ne pas faire de vague ! »
Depuis 2008, l’association ETF a dû abandonner les projets en cours alors qu’elle avait obtenu gain de cause auparavant. Aujourd’hui, Martine et Claude ne font que « repousser les projets », répétant que les élus « sont trop inféodés. »
L’association défendant l’intérêt général, donc l’intérêt de chaque citoyen sur le territoire, elle n’est malheureusement pas reconnue d’utilité publique. Pour ce faire, « il faudrait que la justice reconnaisse la responsabilité de l’Etat et des élus sur la ruine des commerçants. C’est difficilement palpable, contrairement à la destruction de l’environnement ou des animaux ». Pourtant, chacun est bien capable de voir le cumul des problématiques d’éloignement des commerces et des développements des centres commerciaux, notamment la nécessité de se déplacer en voiture pour de petites courses, la destruction de l’environnement aux abords des villes, l’effondrement de la biodiversité, l’absence de commerces et de vie dans les centres des villes, la précarisation des commerçants etc.
Seigneurs et saigneurs
En résumé, avant 2008 et faisant suite à la loi de 1993 de Pierre Beregovoy concernant la prévention de la corruption et pour la transparence de la vie économique, la France avait transposé l’article 103 du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne (T.F.U.E). Les grandes surfaces étaient donc soumises à payer des amendes et des astreintes. Avec la loi LME de 2008, les amendes prévues à l’article 103 du T.F.U.E. (1.500€ par m² et par jour d’infraction), ont été supprimées. D’où les non-réponses du Ministre des Finances Bruno Lemaire aux courriers que lui a adressés ETF : « Bercy refuse de transposer la Charte DHUE et fait des recours contre nous lorsque le préfet est condamné. », commente Martine Donnette.
Celui qui accepte le mal sans lutter contre lui coopère avec lui. Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants mais l’indifférence des bons.
Martin Luther King
A suivre : Comment l’Etat français assassine t’il ses artisans et petits commerçants ? (Partie III)
Photo de couverture : Roxanne Boudrot sur le site Unsplash