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 A mort le système

 A mort le système

Published Oct 13, 2022 Updated Oct 13, 2022 Music
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 A mort le système

 

Deuxième partie : Mélodie vagabonde (8)

 

Ligne de conduite

Armé de sa seule takamba, Alain Péters se met à composer la suite de son œuvre en évitant toute fioriture. Il a désormais trouvé sa ligne de conduite, sa propre plume, il n'imite plus personne. C'est à lui qu'il veut ressembler. Il ne se cache plus derrière un groupe ou des chansons écrites par un autre mais s'avance tel qu'il est : Alain Péters, ni plus, ni moins. Il compose Complainte pour mon défunt papa, un morceau instrumental. On imagine sans peine la portée thérapeutique d'un tel geste. Il pourrait difficilement en être autrement. Il écrit aussi des chansons. Il suit son propre rythme. L'histoire aurait pu se finir ainsi sans l'intervention de Jean-Marie Pirot. Alain Péters aurait pu rester un chanteur des rues comme il y en a tant. Il aurait disparu un jour sans laisser d'autres traces qu'un vague souvenir. Mais le sort en a décidé autrement. Sa musique ne sera pas perdue.

 

Une rencontre

Jean-Marie Pirot est né en métropole en 1947. Il arrive à La Réunion en 1971, à l'âge de 24 ans. Il est professeur de mathématiques et musicien amateur. Très vite, il commence à jouer dans les groupes de bal du samedi soir, comme Alain et Édouard Péters, mais ce qui le passionne par dessus tout, c'est le travail et le matériel d'enregistrement. Au fur et à mesure, il a acquis de quoi créer chez lui un véritable studio. C'est lui qui va aider Alain Péters à graver une partie non négligeable de son œuvre, à savoir les dix titres de l'album Mangé pou le cœur. Il fait la rencontre d'Alain Péters par l'intermédiaire de Zoun le flûtiste à l'époque de Carrousel, un groupe révolutionnaire selon lui, et il s'y connaît.

Un jour, Alain Péters débarque chez lui à l'improviste et se met à lui chanter quelques unes de ses chansons. Quand Jean-Marie Pirot lui demande pourquoi il ne va pas les enregistrer en studio, Alain Péters lui répond qu'il n'en a pas envie. Les producteurs veulent changer sa musique. Ils trafiquent. Ils arnaquent. En plus, il n'est pas du genre à bien vivre les contraintes. Il n'est pas tellement capable d'arriver à l'heure. Le genre de choses que l'on savait déjà. Qu'à cela ne tienne, Jean-Marie Pirot lui propose de travailler chez lui, ici dans sa maison de Saint-Gilles-les-Hauts, un quartier de Saint-Paul, entre amis, sans contraintes. Il a tout le matériel nécessaire à l'enregistrement. Alain Péters n'aura qu'à se pointer quand il veut.

Il accepte sans se faire prier l'offre de Jean-Marie Pirot car il sait au fond de lui que la musique est faite pour être diffusée. Les notes et les mots qui sont joués par les corps sont faits pour s'envoler et résonner contre d'autres corps immédiatement, mais aussi dans le temps. Il faut donc passer par cette étape fastidieuse d'enregistrement. Les séances vont s'étaler sur un peu plus d'un an. Alain Péters débarque à l'improviste quand l'envie lui prend. Cette nonchalance fait partie de sa personnalité. Il est comme ça, c'est tout, mais ça ne fait pas de lui un dilettante. Jean-Marie Pirot le défendra toujours sur ce point-là. C'est quelqu'un de très pointilleux et d'exigeant qui sait exactement ce qu'il veut. Il joue de tous les instruments, règle tous les arrangements. Il peut passer une demi-heure à placer un micro pour avoir le bon son, mais une fois que tout est en place, une seule prise suffit. On en fait une deuxième par sécurité mais la première est la plupart du temps la bonne. Il est parfois déterminé au point d'enregistrer entièrement toutes les pistes de deux ou trois morceaux en quelques heures seulement. Ce sérieux rompt avec l'image du hippie déguenillé que les gens se font de lui. Mais il ne s'intéresse pas aux on-dit, à tout ce wati-watia. Il reste cependant assez loufoque parfois dans ses attitudes et ses lubies. Jean-Marie Pirot raconte par exemple qu'il avait chez lui un grand sac plein de sacs en plastique et qu'Alain Péters les a tous essayés les uns après les autres avant de trouver le bon, celui qui produirait le son exact qu'il voulait.

Au cours de ces visites, les deux hommes ne font pas que travailler, ils discutent aussi beaucoup. Alain Péters parle de ses lectures : Hugo, Verlaine, Apollinaire. Lui qui n'a pas été longtemps à l'école a quand même beaucoup de culture. Il a fréquenté les bibliothèques assidûment, pas les librairies car il n'a jamais eu d'argent pour acheter des livres.

 

A mort le système

Jean-Marie Pirot parle de lui comme d'un chanteur connu et apprécié par la population mais rejeté par le système, quelqu'un de pas commercial, un vrai rebelle, sans le côté effronté que le terme implique souvent. C'est quelqu'un de gentil et de réservé. Jean-Marie Pirot est un homme de cette trempe lui aussi. Il a beaucoup de mal à regarder la caméra en face quand on vient l'interviewer. Ces deux hommes, qui sont de la même génération et ont la même passion pour la musique, ne pouvaient que s'entendre. Il semble avoir la patience qu'il faut pour pouvoir travailler avec un énergumène comme Alain Péters et même s'amuser de ce qui pourrait en agacer d'autres : ses retards, ses divagations et son manque d'attention parfois. Il restera toujours son ami et le défendra à chaque fois qu'il est dénigré, vantant son immense talent et son professionnalisme, son assurance sans faille dès qu'il s'agit de sa musique.

 

Merci à Eric Ausseil, pour la rencontre.

 

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