La Routine de malheur
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La Routine de malheur
Deuxième partie : Mélodie vagabonde (25)
Retour au pays
Comme l'a écrit Loy Ehrlich : « La Réunion lui manquait ». Marco est rentré au pays et Alain Péters est de nouveau seul, comme un gorille loin de ses forêts. Les séances d'enregistrement l'ont occupé un temps mais il lui faut retrouver son chez lui à présent pour ne pas dépérir. La cure est terminée. De ce point de vue-là, son séjour en métropole est une réussite. Les amis de Village Titan peuvent être soulagés.
La vie reprend alors son cours sur l'île de La Réunion, et la routine de malheur également, hauts et bas, pression, dépression, chaos, bruit et musique. On ne peut pas sans cesse être derrière lui. Ce n'est pas de ça dont il a besoin. Il s'abîme. Son corps s'abîme. Cela se voit sur les photos au fur et à mesure que l'on avance. Il s'empâte. Avant il était ce jeune fou aux pantalons à pois, striés, colorés, bariolés, au look psychédélique et à la crinière de lion. À présent il est ce vieux fou, pas si vieux, entre-deux-âges fou. Ce n'est plus pareil. Les cheveux sont toujours longs mais les tenues plus sobres. Il ne se donne plus en spectacle. Un T-shirt ou une simple chemisette à fleurs font bien l'affaire. Jeunesse se passe. Le visage s'est épaissi, les traits sont plus marqués. Il y a toujours beaucoup de douceur en lui cependant, et un petit sourire malin flottant toujours à la lisière, de la vivacité et une grande intelligence. La valse des chutes et des rechutes continue. Alain Péters est malmené. Le 14 juin 1991, on le retrouve dans une clinique, une jambe dans le plâtre. Il doit se reposer. C'est le journaliste Jean-Marie Félicité qui raconte :
Tout est parti d'un coup de fil. Je reçois, un matin, un appel de la rédaction. C'est Alain Courbis, chargé de communication à l'Office Départemental de la Culture qui me fournit un renseignement. "Alain Péters est en convalescence à Saint-Gilles-les-Hauts". Le message est bref. Nul besoin d'épiloguer. On s'est compris. Il faut saisir cette opportunité.
J'embarque aussitôt mon matériel, la caméra Bétacam, les cassettes, le micro et je fonce dans les hauts de Saint-Paul. En route, je fais un crochet à Plateau Caillou, chez Alix Poulet, un ami musicien. Je récupère sa guitare. Je pense qu'Alain prendra du plaisir à jouer et que ces quelques notes de musique égayeront mon reportage.
Au centre de convalescence, Alain Péters est accueillant, disponible. Il est assis dans un fauteuil roulant, une jambe plâtrée. Son nom et scandé par les autres pensionnaires, ravis de la présence de la télé. Je lui explique le but de ma visite. Il est d'accord et impatient que débute l'entretien. Il va chercher son cahier de chant qu'il glisse sous son bras et me propose de nous mettre à l'écart, sur un coin du parking.
J'installe ma caméra sur pied, je branche mon micro. Déjà, Alain Péters taquine les cordes de la guitare. J'entends les premiers accords. Ils s'amuse à faire courir ses doigts sur le manche. Il retrouve des sensations. Je suis stupéfait. Il n'a rien perdu de sa dextérité.
Je m'installe en face de lui, le micro dans une main et le regard vers l’œilleton de la caméra et puis je presse le bouton "enregistrement"... je laisse tourner...
(livret Vavanguèr)
Impro
Dix ans après les séances d'enregistrement aléatoires chez Jean-Marie Pirot, Alain Péters est de retour à Saint-Gilles-les-Hauts, mais cette fois dans une clinique. C'est un autre Jean-Marie, le journaliste Jean-Marie Félicité qui va à sa rencontre. Il a la délicatesse de prendre une guitare avec lui, de quoi briser la glace, et cela donnera l'occasion au musicien de se dégourdir un peu les doigts. Il se met aussitôt à jouer Stairway To Heaven de Led Zeppelin, puis Bébett' coco, un texte de Jean Albany, et enfin une de ses propres chansons, Romance pou un zézère, sifflant pour reproduire la flûte : « il manque les instruments, je fais ça à l'improviste là ».
Le CD Vavanguèr est augmenté d'un DVD dans lequel on peut revoir cette interview. Alain Péters parle beaucoup de musique. Il ne vit toujours que pour elle. Il est tellement mouvant, tellement insaisissable d'habitude que c'est un plaisir de disposer de ces images, même si on sait qu'il est immobilisé de force, dans un fauteuil roulant, une jambe dans le plâtre. Il revient un peu sur sa carrière, parle de la façon dont il a commencé la musique et de ses premiers groupes, puis comment il en est venu au maloya :
J'ai joué une bonne quinzaine d'années en interprétant des chansons des autres.
...
Après je me suis dit : on est réunionnais, au lieu de recopier ce que font les autres, pourquoi ne pas essayer de faire quelque chose avec notre propre musique ? (Alain Péters, propos retranscrits d'après l'interview filmée pour Antenne Réunion)
Il évoque les anciens groupes réunionnais qui l'ont influencé en jouant la musique créole : Claude Vin-Sanh, Chane Kane, l'orchestre dans lequel son père jouait. Puis il parle de ses chansons :
J'ai pas joué ça pour le côté commerce, mais pour essayer de dire ce que j’ai à l'intérieur et de donner de mon mieux possible sans être un super technicien. (id)
Eric Ausseil est toujours du voyage, merci.