Les hommes étaient revenus deux jours plus tard. Ils étaient apparus à l’horizon, accueillis par les cris de joie des femmes. L’eau avait été mise à chauffer. Dès leur arrivée, ils avaient laissé les animaux s'abreuver, sans les décharger, et ils avaient commencé à boire le thé chaud à petites gorgées afin que leur corps s’habitue. Les femmes les avaient laissés tranquilles et s’étaient mises deux à deux pour libérer les animaux des lourdes plaques de sel. Les dromadaires s’étaient enfin couchés. Puis Ahmad avait expliqué. Le puits se trouvant à trois jours de marche de Tessalit était desséché. Le peu d’eau qui restait n’était presque pas buvable. Des hommes avaient quand même bu quelques gorgées d’eau et ils en avaient été malades. Rien de grave, mais ils avaient perdu une journée. Après, ils avaient repris le chemin. C’était le dernier puits avant d’arriver au campement. Tout le monde était assoiffé, les animaux aussi, la marche avait été ralentie. L'après midi du jour avant l'arrivée, il y avait eu une tempête de sable. Pas une grande tempête, bien plus petite que d’autres, mais ils étaient tellement épuisés qu’elle leur avait semblé insurmontable. Ils s’étaient dit qu’ils allaient mourir. Ils avaient renoncé à mettre les animaux en formation pour se protéger. Puis Ahmad avait regardé sa montre et il s’était dit que ça ne faisait pas autant de temps que ça, que le vent soufflait; il avait regardé la boussole et, vers l’ouest, il avait entrevu le soleil. Quand on commence à voir le soleil derrière le sable, ça veut dire que la tempête est presque passée. Il avait fait mettre en cercle les animaux, ils s’étaient abrités à l'intérieur du cercle. Ils avaient tenu bon. La tempête s’était vite calmée, et enfin ils étaient tous revenus sains et saufs. Pendant que les hommes buvaient et mangeaient, les femmes pleines de joie se serraient entre elles, ou bien elles serraient leurs enfants. Puis chaque famille était partie dans sa propre tente. Anastasia était restée dormir à côté du feu, pour ne pas déranger les retrouvailles d’Ahmad et Khadija. À l’aube, Ahmad l’avait rejointe. Il s’était assis à côté d’elle et ils s’étaient préparé du thé.

— Khadija m’a dit ce que s'était passé pendant qu’on était dans le désert. Je pense que c’est quand tu as chanté que j'ai regardé la montre. Elle m’a aussi dit ce que tu aurais fait pour les femmes du campement, pour leur permettre de continuer à vivre ici. Tu sais ce que je vais faire, moi, pour toi? Je vais vendre le plus beau dromadaire que j’ai, je vais donner l’argent à Uthman, c’est le prix du travail de toute une année et même plus. Je lui ferai écrire ton livre à la main, avec les plus belles encres qu’il a, puis j’irai voir al-Ab et l’Imam de Tombouctou et je vais les convaincre de garder ton manuscrit dans la bibliothèque de la Grande Mosquée. Personne ne l’a jamais attaquée, personne ne l’attaque jamais, seuls les plus grands savants peuvent y entrer. Même si ça fait plus de cent quarante ans qu’ils ne mettent pas de nouveaux manuscrits dans cet endroit, même si ton livre ne parle pas du Dieu des musulmans, j’arriverai à leur faire accepter. Et comme ça personne ne pourra le lire, ton livre, sauf ceux qui peuvent vraiment le comprendre.

— Merci Ahmad. C’est la chose la plus belle qu’on a jamais faite pour moi.

— J’étais sûr que c’était la meilleure manière de te remercier.

Il s’était levé. Elle le fixait: 

— Tu regardes quoi Anastasia?

— Le ciel, si bleu...

— Oui, bleu. Comme nous tous.

Autres Nomades, Paris 2016