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Hic et nunc 2/15

Hic et nunc 2/15

Published Oct 17, 2023 Updated Oct 31, 2023 Culture
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Hic et nunc 2/15

Tombouctou était devenu chez elle. Au bout de combien de temps elle n'aurait pas su le dire. Peut être c'était déjà dans le nom : Tin « puits » en langue tamachq. Buktu, un nom de femme. Tin veut dire aussi « chez ». Tin   fait office de chez soi là où de maisons il n'y a point. Au commencement, dans le désert, l'adresse d'une femme est le puits à côté duquel elle se trouve, avec sa tente et ses petits animaux. Le vide est l'adresse de l'homme. Il le traverse avec ses dromadaires et ses marchandises pour revenir sans questionnement, de manière naturelle, à côté du puits où se trouve la femme qu'il avait eu en lot en début de l'âge adulte.

Le puits de Buktu  n'était plus un puits parmi tant d'autres. Le puits de Buktu était devenu autre chose. Une ville. Un haut lieu de l'histoire africaine, qui avait connu son âge d'or grâce à des caravansérails devenus incontournable au milieu du XIIème siècle. Vers la moitié du XVIIème siècle, les caravanes avaient changé de trajectoire. La transhumance pris un autre cours pour des raisons que personne exactement pouvait expliquer sans lire les chroniques locales. Il fallait juste trouver dans les centaines de milliers de volumes conservés en ville, celui qu'en racontait le déclin.

Le travail d'une vie. De plusieurs vies, même.

Ce passé avait légué les bibliothèques, des mosquées et des maisons d'argile pas cuite, fabriqués avec des briques séchées au soleil qui fondent partiellement durant la saison des pluies. Des mains humbles et savantes colmatent ce que l’eau arrache aux bâtiments. Ce rituel se reproduit depuis des temps immémoriaux. La normalité absolue pour les habitants de la ville: un rendez-vous annuel escompté comme la moisson ou les vendanges dans n'importe quelle campagne d'Europe. Le dépaysement le plus total pour tout voyageur, qui pendant sa première été sur place, contemple les façades des mosquées monumentales fondre comme un château de sable; la couche externe des murs du logement qui l'héberge se transformer en coulée de boue. Aucun questionnement aux habitants obtient explication: l'eau qui fait fondre les murs est une évidence.                                                                                                                                                                                        Le cours de la vie quotidienne finit par répondre à cet étonnement initiale, tout comme il répond aux hypothèses que chaque voyageurs émet en voyant de près, pour la première fois, la caractéristique la plus saillante de architecture de la région: les éléments en bois qui sortent à l'horizontale de toute construction de plus d'un étage. La phrase universelle : « ça sert pour faire les murs » finit par révéler son sens, en toute simplicité. Le mois suivant les pluies d'été, tous les hommes de la ville grimpent avec leur seau d'argile jusqu'au sommet de chaque bâtiment et refont à l'identique les façades centenaires. Piquet après piquet. Année après année. Siècle après siècle.

 

D’une finesse extrême et incongrue, les entrées de ces bâtisses en argile pas cuite sont fermées par des portails en bois massif, sur lesquels sont cloués nombreuses plaques d’argent ciselé soient-elles les entrées d'une maisonnette, d'une mosquée, d'une demeure de notables, ou d'un mausolée. Ces somptueux huis se referment tantôt sur le même néant qui désole leur extérieur, tantôt sur des trésors si humbles que nécessaires, tels que des bassines en plastique où égrainer la semoule, des réchauds où la faire cuire, des nattes sur lesquelles la manger, et sur lesquelles la digérer en digérant en même temps la chaleur de l’après-midi, tantôt sur l'émerveillement absolu. Il arrive que ces portails cachent une richesse aussi précieuse que inattendue. Environ sept-cent mille ouvrages manuscrites, conservés dans une ville de moins de cinquante mille habitants, dont seulement une poignée connaît l'arabe, parmi le peu de monde qui sait lire et écrire sur place. Des bibliothèques manuscrites d’une valeur inestimable à l’usage d’une seule et unique famille, souvent même pas fortunée, mais qui a su cumuler – comme toute autre marchandise transportée par les caravanes – la sagesse humaine de son époque. Et elle s’était couchée, cette sagesse, in folio, après avoir dit ce qu’il y avait de mieux à dire, dans un hic et nunc révolu depuis des siècles, mais indépassable comme tous les hic et nunc.  Par définition.

Finie l’époque d’or de Sankoré, ce savoir s’était tût dans son silence d’encre, gardé par un peuple d'analphabètes vouant à l’écriture le culte qu’on doit à tout Dieu dont on ne connaît rien d’autre que la capacité de garder les choses dans l’Être, en les arrachant au néant auquel elles auraient été promises en son absence.

Au milieu de cela, les maîtres des lieux: des érudits dignes de la Cour de Frédéric II de Souabe. Ils règnent dans cet univers impérissable en boudant le défilement du temps des humains et le monde des contingences, comme seuls les dieux de l’Olympe eurent le droit de faire. Parce que l’humanité n’était qu’à ses débuts.

 

 

Autres Nomades, Paris 2016

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