Épisode 76 : Stratégies
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Épisode 76 : Stratégies
- Et c'est seulement maintenant que vous me dites tout cela. Depuis toutes ces années ! Il est déjà bien tard. Il est peut-être déjà trop tard !...
Le Père Adalbéric marche de long en large, puis s'arrête.
- Enfin, quoi qu'il en soit, vous avez très bien fait de venir m'en parler. Vous avez fait ce qu'il fallait faire.
Puis il fait un pas vers Mélusine.
- Mais même si c'est la seule chose que je vous reproche, elle reste grave quand même vu la situation : pourquoi ne m'en avez-vous pas parlé beaucoup plus tôt ?...
Il appuie ses dires en présentant ses mains comme on fait une offrande.
- Vous saviez des choses, même si vous n'en compreniez rien. Vous auriez dû me parler de tout cela depuis le début !...
Puis il se détourne et fait encore quelques pas, jusqu'à ce qu'il se retrouve derrière une table.
- Enfin. Rien ne sert de se lamenter sur le passé, sur ce qui aurait dû être mais n'a pas été. Ce qu'il faut faire maintenant, c'est réfléchir et puis agir.
- Et à votre avis, Père Adalbéric, de quoi s'agit-il ?
Le Père Adalbéric se retourne vers elle et la regarde fixement.
- Celui que vous appelez "le magicien noir", Madame la Comtesse, avec les références qui sont les vôtres et dont je ne saisis pas très bien la nature... c'est beaucoup plus qu'un magicien. C'est beaucoup plus qu'un simple sorcier. C'est le diable en personne. L'Esprit du Mal. Celui-là même qu'un sorcier ou un magicien invoquerait pour exécuter ses noirs desseins.
Puis il s'assied.
Mélusine secoue la tête.
- Non. Ce n'est pas possible. Siegfried n'est ni un sorcier ni un magicien, et surtout pas de cette espèce-là.
Elle s'assied en face de lui.
- Qu'en savez-vous au juste, comtesse Mélusine ? Vous ne savez ni qui est celui que vous appelez "le magicien noir", ni les termes de l'accord que le comte Siegfried a pu passer avec lui. Ni ce dont Monsieur le Comte voulait discuter en allant à Koerich autrefois. Vous êtes venue me trouver avec autant de questions que de réponses, je dirais même avec plus de questions que de réponses en fait. Comment pouvez-vous être aussi certaine que le comte Siegfried ne s'adonnait pas, et ne s'adonne peut-être pas encore aujourd'hui, aux arts occultes ?...
Le Père Adalbéric laisse à dessein un silence s'installer entre eux, sans la quitter du regard.
- Il y a sur lui beaucoup de choses que vous semblez ignorer. D'après tout ce que vous me racontez, vous êtes peut-être même celle qui en sait le moins sur lui dans tout ce château - hormis moi sans doute, car vous partagez avec lui une intimité que je ne saurais partager. Mais hormis cela, d'après ce que vous venez de me confier, le dernier des domestiques de ce château savait sur le comte Siegfried des choses que vous-même ignoriez.
Mélusine n'arrive pas à retenir l'inspiration qui arrive naturellement lorsque l'on doit encaisser un coup. Ni à s'empêcher de baisser les yeux. Elle a honte, et le Père Adalbéric vient de lui mettre crûment sa honte à nu. Pire encore, il retourne le couteau dans la plaie. Elle se mord la lèvre inférieure pour ne pas hurler, ce n'est pas le moment. Et rien de tout cela n'échappe au regard fixe du Père Adalbéric.
- À moins que vous tentiez de couvrir Monsieur le Comte, ce que je ne vous conseille pas de faire, car dans la situation à laquelle nous sommes tous confrontés, ce ne serait pas du tout lui rendre service, bien au contraire. Ni à lui ni à quiconque.
Mélusine relève la tête.
- Je ne cherche à couvrir personne. Je veux juste comprendre ce qui se passe. Je veux que Siegfried s'en sorte. Je veux pouvoir être près de lui sans me demander à chaque instant si j'ai vraiment affaire à lui ou bien à Siggi le Fou. Je veux être sûre que nos enfants ne sont pas en danger. Je veux le bien de ce château, le bien de ses habitants, le bien de cette ville. Et même le vôtre, surtout si vous m'aidez. Mais je ne peux pas vouloir le bien de celui qui met tout cela en danger. Pourtant même lui, je ne veux pas le détruire. Je veux juste l'empêcher de nous nuire, vous comprenez ?
- Non seulement je vous comprends, mais sur tous ces points, nous sommes d'accord. Sauf peut-être sur la question de détruire l'adversaire, mais il est vrai que vu sa nature, il ne nous appartient pas de le faire et ce n'est pas en notre pouvoir. Malheureusement. Mais nous pouvons toujours lutter contre lui.
- Alors que pouvons-nous faire ?
- La première chose à faire, la toute première, c'est, d'abord nous assurer que, comme je le soupçonne, le comte Siegfried a bien pris contact avec le diable - ou a été contacté par lui, je ne sais - et ensuite, connaître les termes exacts de leur accord, pas seulement les soupçonner. Et ces informations-là, seul le comte Siegfried peut les donner, car lui seul les possède.
Mélusine soupire.
- Nous risquons alors d'avoir de gros problèmes. Siegfried ne veut pas en parler. Il ne veut même pas que je lui en parle. Siggi le Fou se manifeste en lui dès que j'essaie d'aborder le sujet. Et si Siegfried savait que je vous en ai parlé, il serait furieux. C'est pourquoi j'insiste beaucoup sur votre discrétion.
Chère Comtesse, Monsieur le Comte est probablement déjà au courant depuis le temps que nous discutons ensemble, et d'autant plus avec les domestiques que j'ai vus passer devant la fenêtre. Puis, comme vous ne l'ignorez probablement pas, les murs ont des oreilles faute d'avoir des yeux.
- À l'époque où il a fait son... vœu, il m'avait bien dit de ne rien vous en dire. Il était persuadé qu'après ce qu'il avait fait, vous ne pouviez plus rien faire pour lui et que c'était à lui d'agir seul. Ce sont ses propres paroles. Je m'en souviens encore après toutes ces années.
- Ce en quoi il a tort. Il y a toujours moyen de faire quelque chose. Mais pour savoir quoi faire, il nous faut des informations que nous n'avons pas... ou que nous ne faisons que deviner. Mais deviner, ce n'est pas assez.
- Au moins, ce que nous pouvons deviner, c'est déjà un début. Vu la façon dont il a surgi de nulle part en une seule nuit, ce château est probablement un des termes du contrat.
- Probablement. Le développement si rapide de cette ville et de ce comté, eux aussi pratiquement surgis du néant, et les revenus que tout cela rapporte au seigneur d'un tel lieu, font probablement eux aussi partie de l'ensemble. Mais quoi que soit ce dont il s'agit, il ne s'agit que de l'un des plateaux de la balance. Ce qu'il faut savoir, c'est ce que le comte Siegfried a dû mettre dans l'autre plateau pour obtenir tout cela. Et vu tout ce que le diable a déjà jeté dans le premier, j'ai peur de ce que le comte Siegfried a dû y mettre pour l'équilibrer...
- En tout cas, ce n'était pas sa fortune. Il n'en avait même pas assez pour détruire le vieux fort à l'époque.
Le vieux fort qui m'aurait largement suffi à moi, même dans l'état où il se trouvait. Même le Bockfiels lui-même était déjà tout un château pour moi... Mais ça, je ne peux pas le dire au Père Adalbéric. Il va tout de suite se poser des questions... Il vaut mieux pas.
- D'où l'appel plus que probable qu'il a dû faire aux forces surnaturelles... et à celles d'en bas plutôt qu'à celles d'en haut. Plus notre réflexion avance, et plus je suis pessimiste quant au prix qu'il a dû payer pour obtenir tout cela. Une chose me paraît sûre quel que soit le cas, c'est qu'il ne s'agit pas d'une contrepartie matérielle. Ça, le diable, ça ne l'intéresse pas. De plus, d'après ce que vous m'avez raconté, ce que possédait le comte Siegfried sur le plan matériel était très largement insuffisant.
- Alors qu'a-t-il bien pu demander ?
- Une âme. Soit celle du comte Siegfried lui-même, soit celle de quelqu'un qui lui est proche, soit celle de quelqu'un qui participe à ses œuvres ou qui en bénéficie. Dans le premier cas, au bout d'un certain temps. Dans les autres, la plupart du temps, à l'occasion d'un événement ou d'une réussite quelconque.
Mélusine sent arriver un frisson glacé qui commence à lui devenir un peu trop familier. Elle pose une main juste en dessous de la gorge.
- Croyez-vous qu'il ait pu... enfin, que je... moi ou les enfants...
- Honnêtement, je ne pense pas... Mais on ne peut jamais l'exclure. Cela, le comte Siegfried est le seul à pouvoir le dire. Il est le seul à pouvoir dire quelle âme il a vendue, à quel prix, et au bout de combien de temps le diable viendra réclamer son dû.
Mélusine se souvient alors de conversations surprises ici ou là entre les domestiques, et elle s'y raccroche un moment comme à une lueur d'espoir.
- Pensez-vous qu'un exorcisme puisse aider ?
La moue dubitative du Père Adalbéric ne laisse pas subsister grand-chose de cet espoir.
- Un exorcisme s'impose quand la personne possédée l'est contre son gré. Ça marche parce que là, on chasse les forces démoniaques, on leur ordonne de s'en aller. La personne concernée ne leur a rien demandé, elle est libre de tout engagement vis-à-vis d'elles et ne leur doit aucune contrepartie. La personne possédée est elle-même la toute première à souhaiter voir les forces démoniaques s'en aller. Mais quand la personne possédée s'est donnée d'elle-même aux forces démoniaques de sa propre initiative, c'est tout à fait autre chose.
- Même si la personne possédée admet elle-même avoir commis une erreur et le regrette ?
- C'est à cause de cette éventualité-là que nous disons qu'il y a toujours quelque chose à faire. Mais même si la personne possédée a des remords et veut s'extirper de sa situation, un exorcisme ne suffira pas et peut même ne pas du tout fonctionner. Les forces démoniaques peuvent toujours arguer du fait que cette personne a conclu un contrat avec elles, volontairement, de manière tout à fait libre, qu'elle s'est donc engagée vis-à-vis d'elles, et que tout contrat et tout engagement doit être respecté.
- Alors que peut-on faire ?
- Ce qu'il faut, c'est obtenir une confession complète de cette personne, du contrat qu'elle a passé, des termes de ce contrat, des circonstances dans lesquelles elle l'a accepté - et puis partir à la chasse du plus petit signe de contrainte ou de tromperie qui rendrait ce contrat nul et non avenu.
Mélusine réfléchit un moment.
- Mais si par hasard cela fonctionne, qu'en est-il de ce que cette personne aura obtenu en échange ? Je suppose qu'elle devra y renoncer ?
- Ça me paraît logique.
- Pour ma part, je ne tiens pas à ce château. S'il fait notre malheur à tous, il est déjà maudit de toute façon. Mais... je ne sais pas si Siegfried y est prêt. Et puis... comment l'annoncer aux enfants ? aux domestiques ? aux habitants de la ville ?
- Et au reste du monde alentour ? À commencer par votre propre cercle nobiliaire ? vos suzerains ? Ce serait assurément une de vos épreuves, et certainement pas la moindre.
Et moi, comment vais-je faire si je dois quitter le Bockfiels et aller vivre à Koerich ? De ça, on n'en a pas encore parlé... Ce qui posait problème à l'époque pose encore toujours problème aujourd'hui... De ce côté-là, rien n'a changé...
- Y aurait-il un moyen pour la personne possédée de garder ce qu'elle a reçu comme dédommagement s'il est reconnu qu'elle a été piégée ? trompée ou contrainte ?
Le Père Adalbéric se met à rire franchement.
- Ça, comtesse Mélusine, ce serait un peu trop facile ! Ce serait réclamer le beurre et l'argent du beurre. Même s'il est vrai qu'il est possible de réclamer une compensation à titre d'expiation pour le dommage moral et spirituel subi par cette personne. Mais de là à garder tout ce qu'elle a pu acquérir de cette manière... ! Ce serait un peu trop facile, ne trouvez-vous pas ? Tout le monde vendrait son âme au diable dès qu'il aurait quelque chose d'un tant soit peu intéressant à obtenir, si se dégager de la parole que l'on a donnée, fût-ce au diable, était aussi facile !
En effet, le Père Adalbéric n'a pas tort sur ce point. Mais cela veut dire aussi que les choses ne promettent pas d'être faciles... En tout cas moi, je ne vois pas trop comment nous allons pouvoir en sortir. Nous y arriverons peut-être, mais, comme disent les humains, nous y laisserons des plumes. Peut-être même tout un plumage. Nous restera-t-il des ailes pour voler ?... Pour moi, quitter le Bockfiels totalement et définitivement sera un problème. Et comment vais-je pouvoir rester sans devoir expliquer ce que personne ne doit savoir et que personne n'est non plus prêt à accepter ?...
- Et comment allons-nous faire pour convaincre Siegfried de vous donner les informations dont vous avez besoin ?... Moi, en tout cas, je ne peux pas le lui demander. S'il sait seulement que je vous ai parlé de tout cela, il sera furieux contre moi. Je ne peux même pas lui dire ça.
- Laissez-moi faire. Le comte Siegfried vient très régulièrement chez moi pour se confesser. J'en fais mon affaire. Il suffit d'attendre quelques jours.
- Et... s'il refuse ?
Le Père Adalbéric adresse à Mélusine un sourire confiant et bienveillant.
- Étant donné l'enjeu, je pense que le comte Siegfried ne pourra pas refuser l'aide que nous lui offrons. Je ne le pense pas disposé à risquer de brûler en enfer pour l'éternité. Ni de porter la responsabilité de la perdition d'une ou plusieurs autres âmes, ce qui reviendrait finalement au même. En tout cas je me fais fort de le convaincre.
Musique : Benjamin Gustafsson - Hand in Hand
Épisode 77 : Schizophrénie
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