Épisode 62 : Nuages
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Épisode 62 : Nuages
On s'en veut de gâcher un moment de grâce, mais il arrive toujours un moment, au fur et à mesure qu'on redescend sur terre, où les réalités du monde extérieur recommencent à s'imposer... et à poser question.
Et ici, la question qui se pose, inévitablement, c'est : et après ?... Mélusine se la pose. Mais elle ne veut pas la poser. Elle ne veut pas la rappeler à Siegfried. Il se la rappellera bien assez tôt... Le plus tard possible.
- Tu es bien silencieuse.
Elle se frotte contre lui comme un chat.
- Je n'ai pas envie de parler. Je me sens bien. Juste bien.
Il la serre dans ses bras, mais son menton vient aussi lui taquiner l'oreille et la joue. Ça la chatouille. Elle rit. Il sourit.
- Moi aussi je me sens bien. Mais j'ai juste envie d'entendre ta voix.
- Tu l'entends maintenant.
- Oui. Mais pas assez.
Elle sourit. Rit légèrement.
- Idiot.
- Et... c'est tout ?
- Que veux-tu que je dise de plus ?... Je n'ai rien de spécial à dire. Je suis bien. C'est tout.
- C'est déjà mieux, là.
Lui aussi rit légèrement. Puis il s'approche de son oreille.
- C'est déjà un beau progrès pour quelqu'un qui n'a rien à dire.
Elle remue la tête.
- Arrête avec ça, Siegfried.
- Pourquoi ?... Tu as vraiment envie que j'arrête ?
Elle se redresse, s'écarte un peu de lui.
- Pas maintenant.
Il écarte les bras.
- D'accord.
Il lui repose les mains sur la gorge, les laisse remonter le long de son cou, puis sur ses joues. Il la regarde plus fixement.
- Tu ne t'imagines pas tout ce que ta voix représente pour moi.
La sienne, de voix, est devenue grave et sérieuse.
- Tu réalises que nous ne serions pas ensemble, ici et maintenant, s'il n'y avait pas eu ta voix ? Tu réalises que rien de tout ceci...
(il jette un regard circulaire depuis la cour du château jusqu'à la ville de Lucilinburhuc en bas)
- ... n'aurait jamais existé s'il n'y avait pas eu ta voix ?
Il la rapproche de lui.
- Tu réalises que si nos enfants sont là, c'est parce qu'un jour, j'ai entendu ta voix ? Et que je t'ai cherchée parce que je voulais savoir d'où venait cette voix ?...
Mélusine a le vertige, tout d'un coup. D'habitude elle préfère cacher ses pouvoirs sous une chape de plomb, ne pas trop les utiliser. Parce que c'est une condition essentielle de sa survie parmi les humains. Personne ne doit se douter de sa véritable identité. Elle n'a gardé sa voix, sa chevelure, sa grâce, sa sveltesse que pour garder avec elles l'amour de Siegfried. Mais là, tout d'un coup, elle se sent dépassée. Sa voix, rien que sa voix, derrière tout ça ?! Sa voix que tant d'humains trouvent bizarre ? Sa voix que Siegfried et leurs enfants sont peut-être les seuls à aimer ?... Tout est en train de lui filer entre les doigts comme l'eau de l'Alzette. Elle ne contrôle plus rien. Les battements de son cœur s'accélèrent, et elle fait un effort surpuissant pour contrôler sa respiration. En priant toutes les puissances auxquelles elle peut penser pour que Siegfried n'en remarque rien.
Siegfried lui penche la tête sur son autre épaule.
- Je te dois un aveu, Mélusine...
Sa voix est plus basse.
- Beaucoup d'aveux, même. Mais d'abord celui-ci. Tu sais... Ta voix, elle me touche plus que je ne saurais te le dire. Ça me va... au plus profond. Surtout quand tu chantes... Ça me manque tellement de t'entendre chanter, si tu savais...
Un bras l'entoure, la soutient et la protège du côté de la porte. Du côté du monde extérieur. Du côté du couloir, du chemin de ronde, et de tout ce qui peut en venir. L'autre main lui caresse les cheveux. Et Mélusine, elle, a peur. Chanter comme Siegfried est prêt à lui demander de le faire, c'est révéler au monde sa véritable identité. C'est se mettre en danger. En danger vital.
- Quand ton chant est triste, je deviens ton désespoir. Et quand ton chant est joyeux, c'est comme si... comme si le monde entier s'illuminait tout d'un coup. Quelle que soit la saison, dans mon cœur, c'est le printemps... Tout redevient possible...
Mélusine ferme les yeux. Elle ressent comme un vide au plexus solaire. Elle aimerait tant croire Siegfried, et le pire, c'est qu'il lui dit probablement la vérité sur lui-même, mais... elle sait aussi que tout un long discours aussi positif cache un coup dissimulé derrière les compliments. Et elle, ce qu'elle attend, c'est le coup qui va venir.
- Tu te souviens du début ? Quand je venais te rendre visite dans ta grotte là en bas ? Quand tu n'osais pas te montrer ?
- Oui...
Elle sent son souffle dans ses cheveux.
- À ce moment-là, il m'arrivait parfois de penser que peut-être, tu étais une sirène.
Le cœur de Mélusine manque un battement.
- Quand ça m'arrivait, j'avais... un peu peur... je me demandais... comment ça tournerait... si jamais...
Elle est contente d'avoir le visage tourné vers l'extérieur, car elle sent ses yeux s'agrandir d'horreur. Elle ose à peine respirer.
- Et puis ce jour-là je t'ai vue. Humaine comme moi. Et pourtant, si... si... différente...unique... je n'osais pas y croire.
Il la détache de lui, l'éloigne un peu et lui attrape les mains au jugé comme autrefois. Elle a à peine le temps de fermer les yeux pour se recomposer une expression un peu moins alarmante.
- Encore aujourd'hui, il m'arrive parfois de me demander si tu es vraiment réelle...
Elle le regarde droit dans les yeux. Elle sait qu'elle ne doit ni fléchir, ni flancher. Elle espère juste que son regard ne reflète aucune forme de frayeur.
- Je suis bien réelle, Siegfried. J'ai toujours été réelle.
Réelle, oui, assurément. Mais pas comme tu le crois. Pas ce que tu crois.
Comme elle reste droite à le fixer dans les yeux, il l'attire de nouveau à lui. Jette un rapide regard circulaire pour s'assurer qu'ils sont bien seuls. Pose la main en corbeille derrière sa tête. L'embrasse. Pas trop longtemps. Laisse leurs fronts se rejoindre, en laissant doucement glisser sa main le long de ses cheveux. Reste ainsi un moment. Relève la tête pour lui déposer un baiser sur le front. Puis lui replace doucement la tête dans le creux de son épaule. Il ne lui a pas demandé de chanter. Elle est soulagée.
- Tu es mon miracle à moi. Et quand je dis "miracle", je parle sérieusement. En plus, tu ne vieillis même pas. Ou alors à peine. Comment fais-tu ? Moi, j'ai l'air d'un vieux bonhomme à côté de toi.
Elle rit.
- Pas si vieux que tu le crois. Ou plutôt je n'ai pas l'air si jeune que tu te l'imagines. Moi aussi, je me vois dans un miroir.
Si tu savais, Siegfried.
Il la serre.
- Tu sais, pendant... je veux dire... pendant... toutes ces dernières années...
Elle l'entend reprendre son souffle. Et sa voix est de nouveau plus basse.
- ... tu ne vas peut-être pas me croire... mais tout ce qui m'a permis de tenir le coup et de ne pas devenir fou, c'est d'entendre ta voix. Ta voix, Mélusine... et la mélodie de ton prénom. Tu sais que tu as un prénom mélodieux ?...
Il parle de plus en plus difficilement. Et elle commence à mieux décoder son discours. Les petits compliments, comme des paliers de décompression quand un nageur en grande profondeur doit remonter à la surface. Ou peut-être comme des paliers de compression avant de pouvoir plonger plus profond. Après tout, peu importe - cela revient au même. L'important, ce n'est pas le compliment. C'est la révélation qu'il annonce derrière. C'est qu'au lieu de se laisser endormir, c'est plutôt le moment de veiller au grain et de rester attentive.
- Tu ne t'imagines pas le nombre de fois que je me le suis répété, là-bas, dans le noir - quand... quand ça devenait trop dur à supporter.
"Là-bas" ? Dans sa chambre ? Enfin - dans ce qui est devenu sa chambre et qui fut autrefois la leur ?
Elle garde elle aussi la voix basse, quasi inaudible, osant à peine poser une question.
- Que... Qu'est-ce qui devenait... trop dur ?
- Tout... Tout.
Il ferme les yeux, un instant.
- Ton... vœu ?
- Pas seulement.
- Alors... quoi ?
Il prend du temps avant de parler. Elle entend son souffle.
- C'est que... c'est que...
Puis il détourne la tête.
- Il vaut mieux ne pas en parler, Mélusine. Pas maintenant. Surtout... Surtout pas maintenant.
Elle lève la tête vers lui, parle un peu plus fort.
- Pourquoi "surtout pas maintenant" ?
Elle le voit la tête tournée vers le garde-fous, elle distingue de profil l'expression d'une souffrance indicible, elle l'entend tenter de reprendre son souffle. Elle prend peur. Reprend la parole peut-être un peu trop fort.
- Siegfried ! As-tu craqué ? As-tu craqué avec une autre ?
Il tourne immédiatement la tête vers elle.
- Non !
Lui aussi a parlé brusquement beaucoup plus fort.
Cette fois-ci, c'est elle qui s'écarte de lui. En le fixant droit dans les yeux.
- Peux-tu le jurer, Siegfried ?
- Je te le jure sur la Bible, Mélusine. Je te le jure devant Dieu.
Il ne flanche pas. Il ne détourne pas le regard.
Il y a juste ce masque de souffrance qui déforme ses traits.
- Même si Dieu m'a abandonné. Même s'il n'entend plus mes prières. Je te le jure quand même devant lui. Je ne nous ai pas salis, Mélusine.
Elle se précipite sur lui, enterre le visage dans le creux de son épaule, lui passe les bras autour du cou, une main derrière la tête. Il la serre contre lui. Fort. Très fort.
- Ne m'abandonne pas toi aussi, Mélusine. Tu es tout ce qu'il me reste encore...
Elle retient ses larmes. A besoin de temps avant de reprendre la parole.
- Pardonne-moi, Siegfried. Pardonne-moi d'être aussi égoïste. Je sais que tout ce que je te dis doit te paraître futile en face de tout ce que tu traverses, mais...
Elle s'écarte légèrement et se redresse, pour le regarder encore une fois dans les yeux.
- Moi non plus, je ne peux pas supporter l'idée qu'une autre femme pose les mains sur toi, Siegfried de Lucilinburhuc.
Elle n'est même pas sûre de ce qu'elle pourrait faire si elle pouvait l'apprendre - ou, pire encore, le surprendre.
Ses pouvoirs si longtemps dissimulés, étouffés, refoulés, endormis, pourraient bien se réveiller.
Et mettre toute leur vie en danger.
Musique : Whitesand - Reflections (instrumental)
Épisode 63 : Changement
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