Épisode 69 : Névrose
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Épisode 69 : Névrose
Si Mélusine, avec des années de retard, doit apprendre à composer avec le corps supplicié de son mari et se demande comment elle pourrait bien le délivrer de toute cette vie de souffrances qui lui semblent toutes plus inutiles les unes que les autres, Siegfried, lui, se rend compte qu'en la matière, il s'est montré remarquablement inconscient.
Il réalise qu'il s'est laissé emporter par ses sentiments et par ses sensations, qu'il n'a pas réfléchi plus avant, et aussi qu'à force de se livrer à ses pratiques de pénitent depuis autant de temps, il s'est tellement fait à la présence de leurs marques sur son corps qu'elles lui paraissaient aller de soi. Comme le personnel était d'une manière ou d'une autre au courant, il a oublié que Mélusine, elle, ne l'était pas, et il n'a pas réalisé, en renouant avec elle, qu'elle ne les avait jamais vues et qu'elle n'allait pas les tenir pour acquises en les découvrant. Il se dit qu'une fois de plus, comme d'habitude, en croyant résoudre un problème, il n'a fait qu'en créer de nouveaux. Il en arrive à se dire que c'est ça, en fait, sa véritable malédiction : créer des problèmes en voulant apporter des solutions.
En attendant, il faut bien qu'il en trouve une, de solution, au problème de sa propre rédemption. Il a sacrifié sa relation avec Mélusine parce que c'était à ses yeux ce qu'il avait de plus précieux. Le prix n'était apparemment pas encore assez élevé. Il n'est toujours pas pardonné. Il a renoué avec elle pour arrêter de la faire souffrir en la sacrifiant pour rien. Maintenant il doit l'empêcher d'affaiblir le reste. Pire encore : désormais, il doit retrouver un ou plusieurs autres sacrifices de valeur équivalente.
En attendant d'avoir l'idée de génie susceptible de le sauver, il doit redoubler de ceux qu'il pratique déjà. Et avec Mélusine qui en voit maintenant l'impact et qui, horrifiée, fait tout pour l'en dissuader, il se retrouve confronté à un obstacle supplémentaire.
Autant dire que sa situation ne s'arrange pas.
De quelque côté qu'il se tourne, la voie est barrée.
Et cela, ça le rend fou.
Il ne voit pas qui pourrait l'aider. Ni quoi non plus. Ses prières restent vaines. Dieu et ses saints semblent s'être désintéressés de lui, à tel point que sa foi commence à vaciller sérieusement. Défier le diable à nouveau ? Ce qui s'est passé autrefois à Koerich l'en a définitivement dissuadé. Lui demander une quelconque aide ? Il sait maintenant qu'elle aura un prix qu'il n'est aucunement disposé à payer. Et si les puissances surnaturelles ne peuvent ou ne veulent rien faire pour lui, que pourront jamais faire de simples êtres humains ?
De plus, demander l'aide d'autres humains, ça commencerait par devoir leur parler de ce qu'il a fait. Et s'en ouvrir à eux, ça voudrait dire s'exposer à leur regard... donc à leur jugement.
Même si les opinions circulent pour l'essentiel sous le manteau, il en a des échos qui lui disent que même sans être au courant de sa vraie situation, aussi bien au sein de la Petite Forteresse que dans la ville de Lucilinburhuc, il passe déjà pour un pharisien et un hypocrite. Que deviendrait sa réputation si jamais on savait ? dans son milieu ? dans la région ? Quelle crédibilité aurait-il encore ?... En parler au Père Adalbéric ? Mais il le maudirait et décréterait ses bonnes œuvres maudites ! Pareil pour les gens d'Église qu'il a pourtant si généreusement soutenu de ses largesses. Ils se sentiraient brûlés par son argent et ils n'en voudraient plus. Et, surtout, surtout, sa famille... Mélusine le fuirait certainement, effrayée et dégoûtée. Ses enfants aussi le fuiraient, se détourneraient de leur père avec le même dégoût. Il n'aurait plus rien à leur dire, aucune autorité sur eux. Qui sait d'ailleurs si l'Église elle-même n'irait pas jusqu'à la lui retirer, son autorité paternelle ?... Il serait pour eux tous un objet de honte. Une source de déshonneur. Tous le fuiraient et redouteraient par-dessus tout d'être associés à, ou contaminés par, son funeste état d'âme damnée. Tous le renieraient, le rejetteraient, le voueraient aux gémonies. Même s'il devait finir par être libéré et absous, personne n'y croirait vraiment. La marque de l'opprobre resterait à jamais gravée sur son front comme une cicatrice de lupus, indélébile, à la vue de tous, le retranchant du restant de l'humanité comme un lépreux pour le restant de ses jours.
Mélusine...
Ses enfants...
Tout ce qu'il a construit, réduit à néant, fui à jamais comme un lieu maudit.
Si encore il était certain qu'accepter une telle épreuve lui vaudrait l'absolution... Mais il n'en est même pas sûr. Et c'est bien ça le pire...
Perdre Mélusine...
Perdre ses enfants...
Les perdre parce qu'il est une âme damnée, marquée pour l'éternité.
Mais les perdre, surtout, parce qu'il aurait cessé d'être un homme.
Un homme protège les siens.
Un homme protège ce qui est à lui.
Un homme assume les conséquences de ses choix et de ses actes. Quand un homme s'est mis lui-même dans le pétrin tout seul, il fait le nécessaire pour s'en sortir tout seul.
Un homme ne fait pas pâtir les autres de ses propres erreurs.
Un homme ne mendie l'aide de personne. Et surtout pas quand il est lui-même responsable de son propre malheur.
Un homme se montre toujours à la hauteur.
Et lui, Siegfried, il est un homme. Il sera à la hauteur. Il ne mendiera l'aide de personne. Il se sortira de son pétrin tout seul.
Ou alors il en mourra...
Il en crèvera... Seul...
La question est : est-il prêt à en mourir ?...
Même s'il pense parfois se jeter en bas du chemin de ronde ?...
Le nœud coulant, cet horrible nœud coulant, se resserre à nouveau sur son estomac.
Au fond de lui, Siegfried ne veut pas mourir...
Il a envie de crier. De hurler. Il veut vivre. Il ne veut pas finir damné...
Alors il frappe. Les murs, les portes, les meubles, les objets. Il en jette partout, contre les murs, contre les meubles, par terre. Il crie, il hurle, de désespoir et de rage. Les larmes lui viennent aux yeux. Un autre lien se noue, autour de sa poitrine, l'empêchant de respirer. Il étouffe.
Et dans ces moments-là lui revient en tête toujours la même petite musique traîtresse...
Si Mélusine m'avait simplement suivi à Koerich, rien de tout cela ne serait jamais arrivé. La Petite Forteresse n'existerait pas, Lucilinburhuc n'existerait pas, mais nous serions simplement une famille heureuse... Et moi, je ne demandais rien de plus à la vie. Je n'ai jamais demandé à être riche ni puissant. Je n'ai jamais demandé à réaliser des choses extraordinaires. Je n'ai jamais demandé à réaliser un potentiel quelconque. Je n'ai jamais demandé à être célèbre, je n'ai jamais demandé la gloire. Je n'ai jamais demandé à être admiré par qui que ce soit. Je n'ai jamais demandé à mourir pour une cause, quelle qu'elle soit. Je n'ai jamais demandé à devenir un héros. Je demandais juste à être heureux...
Alors il commence à se faire des reproches à lui-même.
Pourquoi as-tu accepté aussi facilement à l'époque de ne lui poser aucune question, Siegfried de Koerich ? Pourquoi as-tu accepté toutes ses conditions en bronchant à peine ? Quel naïf tu fais, franchement... Elle t'a bien séduit, hein. Elle t'a bien eu.
Et ce qui s'ensuit, c'est qu'il en conclut, avec une impitoyable logique, que puisque les conditions posées par Mélusine à leur mariage autrefois sont à l'origine de tout, ce qu'il devrait faire, c'est se séparer d'elle. Même si sa religion lui interdit de divorcer d'elle ou de la répudier, elle autorise tout de même la séparation de corps, et il peut toujours envoyer Mélusine vivre autre part... ou alors, si elle tient à ce point à rester au Bockfiels, il peut toujours la laisser y vivre mais quitter lui-même le château et aller s'établir autre part. Après tout, il possède encore toujours Koerich. Il pourrait très bien retourner y vivre. Seul. Bon, enfin pas seul, puisqu'il y aurait toujours du personnel pour y vivre avec lui. Mais sans elle.
Sans elle. Sans sa voix. Sa voix qu'il aime tant... sa voix qui le fait vibrer et qui le fait vivre. Sans la fraîcheur de ses mains sur son front pour le calmer dans ses colères. Sans la fraîcheur de son corps pour apaiser sa fièvre et tous les feux qui brûlent en lui, comme aucune autre ne saura jamais le faire... Sans la façon unique dont elle prononce son nom.
Sans le bonheur qu'il sait qu'il lui donne et qui se communique à lui quand il la prend dans ses bras.
Alors il s'effondre, il retient les larmes qui viennent lui brûler les yeux, et dans le secret de sa tête, du fond de son cœur, il lui demande pardon. Il lui demande pardon de souiller de la sorte leur lien sacré.
Lien sacré... ou lien maudit ?...
Alors, à force de tortures mentales et à force de questions sans réponses qui se renvoient mutuellement un écho sans fin, son cerveau explose et ce qu'il lui reste encore d'attitude et de dignité s'écroule sur le sol.
Parfois, plusieurs heures plus tard, des domestiques le trouvent ainsi étendu, ou ramassé en boule, sur place. Endormi ou inconscient, ils ne savent pas trop. Alors, sans un mot, deux hommes - le plus souvent Jang et Jhemp - s'en vont chercher un brancard, font rouler son corps dessus et le transportent à bout de bras à travers les couloirs jusqu'à sa chambre pour le coucher tel quel sur le lit.
Musique : Hoenix - Introspection
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