Épisode 79 : Diversion
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Épisode 79 : Diversion
Un moment, un court instant, Siegfried est tenté de parler. De tout avouer. De se soulager enfin de ce poids qui pèse sur son cœur et qui ne fait que s'alourdir avec les années... Puis une petite voix résonne dans sa tête.
"N'oublie pas notre accord... Tout contrat doit être respecté. Un homme ne vaut que par sa parole... Et toi, tu as donné ta parole. La parole la plus sacrée : une parole de sang. Que vaut ta parole, comte Siegfried ? Que vaut le sang qui coule dans tes veines ? Que vaut l'homme que tu prétends être ? Et que vaut la parole d'un homme qui te pousse à renier la tienne ? À quoi rime tout son beau discours, si ce n'est à un ramassis de vaines promesses ?..."
Alors il se ravise, et il se tait.
Si vous saviez ce que j'ai réellement fait, vous ravaleriez bien vite tout votre beau discours.
- Une question me taraude quand même, mon Père. Vous dites vous-même que cela fait des années que vous vous posez les mêmes questions à mon sujet. Or aucun événement ne s'est produit récemment qui soit assez important, ou assez marquant, pour pouvoir vous faire changer d'avis. Alors j'aimerais savoir, si ce n'est pas trop vous demander, ce qui a bien pu provoquer en vous un tel changement d'attitude. D'habitude, quand je viens me confesser, vous écoutez ma confession et vous me donnez l'absolution sans me poser d'autres questions. Qu'est-ce qui a bien pu faire qu'aujourd'hui, ce soit différent ?
- Parfois la simple accumulation devient telle qu'à un moment donné, comme on dit, une simple goutte d'eau suffit à faire déborder le vase.
Siegfried lève la main.
- Non, attendez, attendez, vous n'allez pas réussir à me faire croire que par simple caprice, juste parce que vous vous êtes levé aujourd'hui du pied gauche plutôt que du pied droit, vous avez brusquement décidé que vous en aviez marre que je vous raconte toujours la même chose et que vous aviez envie pour une fois d'entendre une autre histoire. Parce que vous vouliez entendre quelque chose de plus distrayant. Vous savez, je ne suis peut-être pas aussi vénérable que vous, aussi instruit probablement pas non plus, mais je ne suis quand même pas né de la dernière pluie, et je ne suis pas assez idiot pour avaler ce genre d'histoire sans me poser moi aussi d'autres questions. On ne dirige pas un château, ni une ville, ni un comté, en se contentant de croire ce que raconte tout le monde et n'importe qui, sans être capable de reconnaître quand on vous dit la vérité et quand quelqu'un vous ment. Moi aussi, comme vous dites, j'ai quelques notions sur la nature humaine. Il a dû se passer quelque chose pour que vous décidiez ainsi tout d'un coup de changer d'attitude. Alors dites-moi juste ce qui s'est passé.
Le Père Adalbéric ne se laisse pas démonter.
- Parfois tout ce qui arrive est que le vase est trop plein. Quand un vase est plein à ras bord et prêt à déborder, une seule goutte suffit pour déclencher une vraie petite catastrophe à l'échelle de ce vase. On n'a pas besoin d'y verser grand-chose.
Siegfried lève les deux mains.
- Admettons. Alors dites-moi juste quelle est cette toute petite goutte qui a suffi à elle toute seule à faire déborder votre si grand vase.
Le Père Adalbéric sourit en coin.
- Vous êtes un champion de la diversion et du renversement des rôles, comte Siegfried. Mais rassurez-vous. J'en ai vu d'autres. Vous ne m'aurez pas comme ça.
Siegfried se saisit d'une chaise pour y appuyer les bras sur le dossier et s'avance, menaçant.
- Vous non plus, vous ne m'aurez pas comme ça...
Le Père Adalbéric sursaute, désarçonné autant par le geste de Siegfried que par le grondement qui se fait entendre dans sa voix. Cela fait bien quelques années qu'il en entendait parler, mais il ne l'avait encore jamais entendu de ses oreilles. Il avait même fini par lui attribuer un statut de ragot ou de légende locale. Jusqu'à aujourd'hui... Lui revient alors en mémoire ce sobriquet qu'il lui est arrivé récemment de saisir au vol au gré des conversations surprises sous le manteau en faisant semblant de ne rien en écouter : Siggi le Fou... C'était donc vrai. Et là, Siegfried commence à le défier, carrément.
- Vous croyez peut-être pouvoir vous installer confortablement dans mon corps et dans ma tête pour voir tout ce qui s'y passe. Pour le changer parfois, aussi, quand le spectacle ne vous plaira pas. C'est vrai que ce serait une belle façon de passer vos journées sans trop vous ennuyer. Ce serait plus distrayant aussi que tous vos livres poussiéreux. Moi, voyez-vous, je suis loin de vous en demander autant. J'ai de quoi occuper mes journées d'une façon intéressante, merci. Moi, je demande juste à comprendre ce qui vous a fait changer d'attitude vis-à-vis de moi. Aussi brusquement, surtout. Du jour au lendemain. Je vous demande juste un petit événement. Juste une petite explication. Rien d'autre. Rien de plus. Une petite goutte d'eau de rien du tout qui suffit à elle toute seule à faire déborder tout un grand vase ? Soit. Mais au moins dites-moi ce qu'est cette goutte d'eau.
- Et même si je pouvais vous le dire. Et même si vous le saviez. Qu'est-ce que cela changerait ? L'important n'est pas ce qui a pu provoquer, ou non, mon propre changement d'attitude. L'important, c'est ce que vous avez à dire mais que vous ne dites pas. Parce que je suis intimement convaincu que depuis toutes ces années, vous n'avez jamais dit tout ce que vous aviez à dire. Je suis votre confesseur attitré en tant que prieur de ce château. Je vous entends en confession depuis bientôt vingt-cinq ans. Vous ne devriez normalement plus avoir aucun secret pour moi. Je devrais vous connaître par cœur, vous cerner, pouvoir anticiper vos réactions et vos actions futures. Je devrais à la limite savoir ce que vous avez dans la tête mieux que vous ne le savez vous-même. Je devrais savoir ce que vous mijotez avant même que vous vous aperceviez vous-même que vous êtes en train de le mijoter. Parce que c'est ça, le vrai travail d'un directeur de conscience. C'est ce que je suis censé être pour vous. C'est ma vraie mission. Et pourtant je suis loin de savoir tout ce que je devrais savoir de vous. Vous restez pour moi une énigme. Un livre qui contient plus de questions que de réponses. Un parchemin qui contient encore beaucoup de blancs. Et ça, ce n'est pas normal. Je devrais être votre tout premier confident. Votre ami. Votre second père, votre père spirituel après Dieu. Au lieu de cela, je suis le dernier à savoir beaucoup de choses. Je suis presque aussi mal loti que votre épouse sur ce point.
Là, Siegfried tique aussitôt.
- Ma femme ?... Qu'est-ce qui vous permet de dire que ma femme est mal lotie et qu'elle me connaît mal ?... C'est elle qui vous a raconté ça ? C'est ça qu'elle est venue vous dire ? C'est pour ça qu'elle est venue pleurer sur votre épaule l'autre jour ?... Dites-moi, que vous a-t-elle encore dit d'autre sur mon compte ? pendant toutes les heures où vous avez discuté ensemble ?...
Le Père Adalbéric, effrayé, réalise immédiatement l'énormité de la gaffe qu'il vient de commettre. Il ne souhaiterait rien de plus que revenir en arrière dans le temps, effacer cette phrase malheureuse, ces cinq pauvres petits mots qui viennent de faire basculer toute la situation. Mais il ne le peut pas. On ne revient pas en arrière. Personne ne peut remonter le temps.
Il n'écarquille les yeux que pendant un instant avant de retrouver un empire sur lui-même. Mais c'est toute la confirmation dont Siegfried a besoin. Pendant que le cœur du Père Adalbéric sombre comme une pierre de sa poitrine dans son ventre, les yeux de Siegfried fouillent la pièce et trouvent le cordon qui sert à appeler un domestique. Le Père Adalbéric voudrait l'en empêcher, il esquisse même un mouvement en ce sens, mais il se ravise en le voyant passer à l'action. Après tout, Siegfried est le châtelain. De quel droit le Père Adalbéric l'empêcherait-il d'agir comme bon lui semble dans son propre château ? même dans l'étude du prieur ?...
Un domestique frappe à la porte, se présente dans l'étude. Siegfried donne ses instructions.
- Trouvez la comtesse Mélusine et dites-lui de venir me retrouver ici, dans l'étude du Père Adalbéric. Immédiatement. Toutes affaires cessantes.
- Bien, Monsieur le Comte.
Le domestique s'exécute.
Le Père Adalbéric entend Siegfried gronder entre ses dents :
- J'ai deux mots à te dire, Mélusine...
- Comte Siegfried, ne soyez pas trop dur...
Siegfried lui tourne toujours le dos, mais il lève un bras sur le côté, la paume de la main tournée vers l'arrière. Sans un mot.
Musique : My Spirit Is Free - Whitesand
Crédit images : toutes les images publiées dans cette Creative Room sont mes créations personnelles assistées par IA sur Fotor.com, retouchées sur Microsoft Photos