Pages grecques (1993) Michel Déon
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Pages grecques (1993) Michel Déon
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Au début des années 1990, l’académicien Michel Déon décide de regrouper sous ces Pages grecques trois nouvelles qu’il a respectivement écrites en 1960 (Le balcon de Spetsai), 1965 (Le rendez-vous de Patmos) et 1988 (Spetsai revisité). Grand voyageur, il partage sa vie dès la fin de la seconde guerre mondiale entre l’Irlande, qui lui inspirera Un taxi mauve, adapté par Yves Boisset en 1977 avec pour interprètes principaux Philippe Noiret et Charlotte Rampling, et la Grèce qui imprime le cadre géographique de ces nouvelles. Le vice-doyen de l’Académie française jusqu'à sa mort en 2016, à la fois en terme d’âge, où il n’était devancé que par René de Obaldia et d’année d’élection, où seul Jean d’Ormesson le précédait, était une personnalité atypique : ancien anar de droite, il a été durant un temps secrétaire de rédaction à l’Action française auprès de Charles Maurras. Autant dire que l’homme n’a pas toujours fait consensus.
Le début
Arrivé dans l’île de Spetsai il y a quinze jours, Michel se délecte du climat doux et de l’ambiance agréable qu’il ressent. Il rencontre tous les jours de nouveaux habitants, qui l’accueillent souvent chaleureusement. Il faut dire que c’est le début de l’année et chacun présente ses vœux. Ainsi Spiro, qui a dû autrefois très bien parler le français, aime beaucoup raconter des histoires. Toujours en quête d’un petit boulot pour gagner des sous, cet homme hâbleur de soixante-dix ans possède une fierté dans le regard et conserve à tout instant une petite pointe de malice. Grand seigneur, il tient à payer au café du coin même s’il n’a plus d’argent, et considère Michel comme son « cher ami » français. Connaissant tout le monde au village, il a ainsi contribué à l’intégration de l’écrivain dans la communauté de cette île grecque aux habitants dont les mœurs peuvent paraître si pittoresques à un couple de français y débarquant.
Analyse
Les descriptions de ces Pages grecques sont d'une vivacité rare, tant au niveau des paysages que des situations vécues. Au travers des mots de Michel Déon, le lecteur parvient tout à fait à s'imager les rivages de la Méditerranée, à ressentir l'atmosphère bouillonnante de la vie athénienne, pratiquement à sentir le parfum des herbes aromatiques. On en vient à éprouver de la compassion pour ce vieux grec désœuvré qui veut à tout prix retrouver son honneur perdue, on rie de bon cœur en pensant à ce groupe de lesbiennes excentriques qui traînent dans cet hôtel décadent. Les coleurs, les sons, les odeurs, toutes les sensations qu'éprouvent les personnages au fil du récit nous parviennent sans peine. On n'a aucun mal à imaginer cette extravagante jeune femme, forcément cosmopolite, qui fait le bonheur de ses parents en rentrant dans son île ou cette trentenaire pas encore mariée dont tout le monde parle dans le village.
L'auteur transmet parfaitement l'amour que lui inspire ce pays riche de son histoire, mais qui à son grand désarroi perd petit à petit de sa splendeur, tout du moins à ses yeux. Car Michel Déon est loin d'éprouver des sentiments révolutionnaires, c'est le moins que l'on puisse dire, et il passe son temps à déplorer la fatalité du temps qui passe en apportant avec lui ces flots de touristes de masse. L'épilogue incarné par Spetsai revisité est à cet égard représentatif de la tristesse qu'il éprouve devant les dérives de cette modernité qu'il désapprouve. Cela dit, la richesse de la langue déployée dans ces Pages grecques est à la hauteur de l'érudition que montre son auteur tout au long de son récit, nourrie par sa passion héllène. On se délecte des tranches d'histoire qu'il nous raconte de récit en récit, et l'on revisite avec plaisir cette mythologie grecque passionnante, judicieusement replacée dans son contexte géographique.
Bien sûr, le passage où son ami, le non moins conservateur écrivain Jacques Chardonne vient lui rendre visite est d'un humour savoureux, mais Michel Déon parvient tout aussi bien à nous captiver avec l'existence de ce couple de vieilles retranchées dans leur couvent dans cette île au nom fictionnel de Miroulos. Est-ce dû à l'atmosphère indolente du pays, le lecteur ressent une certaine langueur dans les mots qu'utilise l'auteur, dans ses tournures de phrase un peu désuètes, il faut bien en convenir, mais pourtant percutantes. Pour qui est allé au moins une fois en Grèce, que ce soit sur le continent ou sur les îles traversées par l'auteur, les nouvelles rassemblées dans le recueil rappelleront des souvenirs, et donneront envie, une fois de plus, de retourner dans ces contrées autrefois bénies des dieux. Ceux qui ne connaissent pas le pays auront, à n'en pas douter, envie de fouler les pas de tous ceux qui y ont séjourné.