Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles (2008) Zeina Abirached
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Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles (2008) Zeina Abirached
À la guerre comme à la guerre
Lorsque Zeina Abirached naît, la guerre du Liban bat son plein. Elle fait des études de graphisme puis arrive en France au milieu des années 2000, où elle suit des cours d'animation à l'École nationale supérieure des arts décoratifs, après avoir publié son premier ouvrage, [Beyrouth] Catharsis. Son troisième album, Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles, est repéré au Festival d'Angoulême et traduit dans plusieurs langues. En parallèle, elle illustre quelques romans et trace une bibliographie marquée par la, ou devrait-on malheureusement écrire, les guerres que subit son pays depuis le milieu des années 1970 et dont elle est un témoin direct. En 2019, des manifestations éclatent à Beyrouth, réclamant une autre gouvernance pour faire face à la crise, ce qui incite l’autrice à rééditer sa bande dessinée, en augmentant son récit d’une postface. Le gouvernement démissionne et l’instabilité politique s’installe, tandis que deux explosions ont lieu dans le port de Beyrouth, et que la pandémie de Covid-19 fait rage.
À Beyrouth est, en 1984, Zeina habite près de la ligne de démarcation. Dans les rues, des sacs de sable forment des murs et des conteneurs font office de barricades, protégeant les résidents des balles des francs-tireurs, tandis que les cessez-le-feu organisent la vie quotidienne. Un soir, les parents de la petite fille, Nour et Sami, sont partis chez sa grand-mère Annie quand des bombardements les ont surpris, les empêchant de rentrer. Pourtant Annie n'habite qu'à quelques pâtés de maisons, mais il serait trop dangereux de traverser les rues à ce moment-là. Nour essaye d'appeler sa fille, patientant longtemps avant d'avoir une tonalité, tandis que sa mère lui assure qu'ils sont en sécurité chez elle. À l'appartement, Zeina est retranchée dans l'entrée, qui est la seule pièce habitable qui reste, avec leur voisine Anhala. Chucri, le fils de la gardienne de l’immeuble, dont le père a disparu quand il avait 16 ans, et qui depuis est devenu malgré lui le chef de sa famille, les rejoint.
Les familiers de l’œuvre de Zeina Abirached vont retrouver dans Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles, de nombreux personnages qui émaillent ses albums depuis le début des années 2000. Chacun de ses livres explore une facette de son enfance, faisant couler ses souvenirs et racontant ainsi une jeunesse peu banale. Ce livre a pour décor principal une pièce de son appartement, les autres ayant été petit à petit condamnées. Puisque sa famille habite au premier étage, le moins exposé aux obus, les voisins s’y retrouvent en cas d’attaque. On retrouve ainsi des femmes et des hommes truculents, tel cet Ernest qui connaît par cœur des tirades de Cyrano de Bergerac et se plaît à les réciter au enfants pour les divertir. L’album est ainsi émaillé de passages légers, comme le récit d’un mariage ou les souvenirs de la jeunesse de certains protagonistes. Nous apprenons à les connaître un à un, découvrant des parcours de vie singuliers.
Ces touches d’humour atténuent la gravité générale du propos de Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles. La vie quotidienne que nous décrit Zeina Abirached n’est en effet pas bien envieuse. Le risque de se faire tuer est omniprésent, les personnages devant systématiquement être attentifs aux artilleurs ou aux francs-tireurs. L’intérêt de l’album à ce titre est de nous présenter les événements à hauteur d’enfant. L’autrice se rappelle ses souvenirs, et parvient à nous transmettre ce sentiment d’inquiétude mélangé à la volonté, voire la nécessité, qu’on les enfants de chercher un moyen de s’échapper du réel avec le jeu. Ainsi quand Anhala part dans la cuisine préparer un gâteau, les frère et sœur se retrouvent seuls dans la pièce principale. Quelques vignettes nous exposent très habilement l’angoisse qui les étreint alors, pour ensuite nous figurer l’ainée tentant de divertir son petit frère avec une comptine. C’est simple et efficace, et cela apporte une touche de réalisme poétique très judicieuse.
L’arrondi du trait et la fausse naïveté des dessins de Mourir partir revenir, le jeu des hirondelles, ainsi que le noir et blanc qu’a choisi Zeina Abirached font écho aux croquis de Marjane Satarpi. Sans compter les origines moyen-orientales et la proximité des thématiques des deux illustratrices. Toutefois, l’autrice libanaise s’est plus sentie influencée par le travail graphique d’un David B., le fondateur des éditions L’association, où sont d’ailleurs publiés les albums de la bédéiste iranienne. Cependant, le propos n’est ici pas général : Abirached évoque ses souvenirs personnels, et c’est l’intime qui l’intéresse plus que l’histoire de son pays. Certes, en creux, nous comprenons les douleurs subies au quotidien par les beyrouthins, mais la volonté de dresser une fresque n’est pas présente ici. On se prend en tout cas très facilement d’affection pour les personnages de ce roman graphique, pétillants et truculents, qui continuent le combat malré l’adversité, et dont l’universalité fait écho à de nombreuses autres situations.