Fuck
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Fuck
Non je n’ai pas décidé d’insulter les rares courageux qui lisent ce blog.
Non, il ne s’agit pas non plus d’une proposition indécente de ma part.
Non, je ne parlerai pas ici du Grand Larousse en 18 tomes qui traite des insultes en langues étrangères.
Et enfin, non, cet article n’a pas pour thème la carrière de Rocco Siffredi.
Fuck, c’est le titre un tantinet (j’aime bien ce mot, pas vous ?) (je parle du mot « tantinet ») provocateur du premier roman écrit par Laurent Chalumeau. Qui ? Laurent Chalumeau, ex-comparse du trublion Antoine de Caunes dont il écrivait les sketches du temps lointain et béni de ses pignolades dans l’émission Nulle Part Ailleurs sur Canal +.
Laurent Chalumeau dont j’avais lu l’an dernier le roman Un mec sympa que j’avais littéralement adoré. Laurent Chalumeau dont je m’étais mis en tête de trouver le premier roman, le-dit Fuck donc, paru en 1991 et aux tirages totalement épuisés depuis belle lurette. J’avais donc en vain traîné mes guêtres chez tous les vendeurs de livres de ma région (et il y en a une tripotée croyez-moi) qui tous me répondaient : introuvable. Internet ? chou blanc.
Bien évidemment, je l’ai finalement trouvé là où je ne l’avais jamais cherché, dans la librairie spécialisée où je dépense pourtant chaque semaine l’équivalent du PIB des Tuvalu en BD et autres comics de toutes sortes. Eh oui, ils avaient une section « romans d’occasion » chez Tribulles (à Mulhouse, autant leur faire un peu de pub tiens !). C’est donc là que Fuck de Laurent Chalumeau m’attendait, il était même là depuis le début je pense, sous mon nez, il ne m’a pas fallu trente secondes pour le trouver une fois que j’eus l’idée de jeter un œil dans ces étagères-là, celles que je snobe trop souvent au profit des étalages de BD. Que de temps perdu à le chercher partout ailleurs, à tenter en vain de le commander, à glaner des infos sur une éventuelle et providentielle réédition. À partir de ce jour je fais le serment à l’avenir de toujours commencer par chercher mon bonheur chez Tribulles. Fut-ce pour une portière de Rover 25 d’occase ou le dvd pirate du Punisher de 1989 avec Dolph Lundgren en rôle-titre, sait-on jamais.
Et puis attention, le bouquin est une occase mais à peine vieilli par le temps. D’accord la tranche des pages est toute jaune, mais je soupçonne que ce soit d’origine tant c’est presque uniforme. Même pas cornées les pages, même pas pliée la couverture, même pas décollé le prix de l’époque : 30,40 Francs le livre de poche. Pour les plus jeunes, avant l’Euro, il y eut les Francs, qui servaient à acheter notre pain quotidien et donner des sous aux quêtes du dimanche à l’église. Ah non merde mauvais exemple, ça c’était les centimes. Bon bref, j’ai l’impression que je m’égare là. Ça fait bien cinq minutes que je vous tiens la jambe sans avoir encore parlé du roman en lui-même.
Euh… en même temps je n’ai pas des tonnes de choses à en dire, à mon plus grand désarroi, croyez-le bien. Vanté comme une œuvre culte, comme une « pure jubilation littéraire » selon Télérama, taxé de « plus hard que ça, tu meurs » par Le Journal du Dimanche… Fuck ne s’est malheureusement pas révélé à la hauteur de l’attente qu’il avait suscitée chez moi. Avec Fuck, Laurent Chalumeau fait un portrait au vitriol de l’Amérique, à l’exact opposé de l’image qu’en charrient les publicités Levi’s et les séries télé à la Beverly Hills. Dans le livre de Chalumeau, l’Amérique est tout sauf sage, propre et bien élevée. Il l’aborde sous trois de ses aspects les plus charismatiques : le sexe, Dieu et le racisme. Ces trois ingrédients essentiels qui bien malaxés entre eux dans la grande marmite du melting pot américain, ont fait de cette nation ce qu’elle est, et lui ont donné cette aura si particulière qui attire et repousse à la fois tous ceux qui n’y sont pas nés. Le cheval de bataille de l’auteur, le dada de Chalumeau c’est la musique, et tout dans ce bouquin converge vers une idée forte : l’Amérique est à l’image du Rock'n'Roll, et vice-versa. Tous les personnages du livre ont un rapport ténu avec la musique, que ce soit parce qu’ils en font ou tout simplement en écoutent. Pour tous, c’est une composante importante (même si pas forcément consciente d’ailleurs) de leur identité. Chalumeau développe sa thèse : le sacré, le cul et la haine raciale sont la base de l’identité musicale américaine, et définissent mieux que tout le reste l’Amérique elle-même. Pour mieux l’illustrer, l’auteur nous passe en revue plusieurs personnages dont on partagera des tranches de vie : il y a Vance le hard-rocker qui se pose des questions existentielles. Il y a Tud, un jeune paumé de province au look improbable, qui n’est ni beau ni intelligent, et dont la marginalité timide en fait le souffre-douleur de ses camarades. Il y a Blanchette, une gamine qui a quitté sa campagne pour la ville et qui pour survivre se prostitue, mais qui a décidé pour un soir d’oublier tout ça et d’aller au concert de la Wÿlde Bünche, le groupe de hard de Vance. Il y a Jenny, une étudiante qui fête ses dix-sept ans et qui au grand dam de son père est une gamine modèle, studieuse, sérieuse et apparemment loin des débordements habituels de son âge : l’alcool, la drogue et les mecs ne l’attirent pas ! Il y a un évadé de prison qui au volant de sa tire écoute la radio en fuyant vers la liberté. Et puis il y a Kool Bobby Jay un rappeur bègue qui doit faire une reprise de Knock, knock, knockin’ on heaven’s door.
Entre ces différentes petites histoires, Laurent Chamuleau fait aussi intervenir l’Amérique elle-même qui donne son avis sur ce qui se passe chez elle, et on a également droit à quelques chapitres de pure histoire de la musique américaine (depuis le Gospel jusqu’au rap, en passant par la country, le blues, le jazz et bien sûr le Rock'n'Roll) que l’érudition de l’auteur dans le domaine rend extrêmement intéressants et instructifs.
Bref, vous l’aurez peut-être compris, c’est un livre plutôt ambitieux que ce Fuck au titre un peu racoleur qui ne le laissait pourtant pas présager. Peut-être un peu trop conceptuel à mon goût. Mais ce sentiment là vient très certainement du fait que je m’attendais à quelque chose du genre de Un mec sympa dont la lecture m’avait tant réjoui. En fait avec Fuck on n’est pas en présence de ce que je qualifie de roman. C’est autre chose, ça se compose d’historiettes au ton plus ou moins grave, plus ou moins loufoque que je comparerais plus à de courtes fables modernes (l’auteur lui-même fait ouvertement référence au genre en nommant une de ses héroïnes Blanchette Seguin !), mêlées d’extraits d’essai sur la musique, d’histoire de l’Amérique et de réflexion philosophiques sur les relations humaines et la religion. Longtemps après que j’ai commencé la lecture de ce livre, je me demandais encore où exactement l’auteur voulait en venir. Car jusqu’à la moitié du bouquin je pensais avoir à faire à un « vrai » roman où toutes les sous-intrigues allaient se rejoindre en une seule et grande histoire, où les personnages allaient finir par s’entrecroiser et voir leurs destins liés. Mais non, pas du tout, et ça n’a jamais été l’intention de l’auteur c’est évident. Son but était d’écrire un livre sur l’Amérique et il l’a fait en parlant de ce qu’il connaît parfaitement : la musique. Peut-être que si j’avais entamé ce livre en sachant cela, l’aurais-je mieux apprécié. Parce que la qualité d’écriture reste là. La verve de Laurent Chalumeau est déjà bien présente, les mots tapent juste, c’est direct et très travaillé en même temps. Allez, si je devais chipoter j’émettrais quelques réserves sur les passages de dialogues où l’auteur incorpore des accents très prononcés en déformant tous les mots pour bien faire ressortir les prononciations particulières et les expressions de langage courant. Parce que c’est une chose qui passerait parfaitement à l’oral mais plus difficilement à l’écrit. Ce qui s’entendrait sans problème vous arrache parfois les yeux tant on n’est pas habitué à déchiffrer des mots tronqués ou à l’orthographe revue et corrigée façon sms. Mais ceci mis à part, c’est très bien écrit, aucun doute là-dessus.
Pour la petite histoire, je dois avouer que ce livre par ailleurs pas désagréable à lire, m’aura procuré tout de même un plaisir immense. La plupart du temps quand je lis c’est pendant la pause déjeuner au boulot. Ayant lu Fuck alors que les beaux jours revenaient avec la fin du printemps, j’étais donc très souvent sur un des bancs de l’espace vert au pied de l’immeuble où je bosse pour ma lecture quotidienne. Très exactement le genre d’endroit où tous les collègues qui passent et qui vous voient lire ne peuvent s’empêcher de s’arrêter et de vous interrompre pour vous demander ce que vous lisez alors qu’ils n’en ont, pour l’immense majorité d’entre eux, foncièrement rien à battre. Et c’était donc avec le sourire que je répondais en silence en leur montrant le titre du bouquin.
On a les satisfactions qu’on peut hein.
Cet article a été initialement publiée sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com