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Un sale boulot

Un sale boulot

Publié le 19 juin 2020 Mis à jour le 19 juin 2020 Culture
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Un sale boulot

Voici un drôle de bouquin, précédé d’une plutôt bonne presse outre-atlantique (qui met principalement en avant l’humour de l’auteur comme son atout majeur) et affublé d’une couverture pour le moins hideuse à mon humble avis ! D’un rose flashy, dotée d’une iconographie tout en formes géométriques, je dois bien dire que ce n’est pas le genre à me pousser à ouvrir un livre…
Mais bon, passées ces considérations esthétiques somme toute peu objectives, je me suis intéressé plus avant à ce qu’avait à nous raconter l’auteur,
Christopher Moore, histoire de voir si les promesses d’originalité et de drôlerie étaient bien tenues.

L’histoire prend place à San Francisco, et met en scène
Charlie Asher, un type tout ce qu’il y a de plus banal, se définissant lui-même comme un « mâle-bêta », comprenez un monsieur-tout-le-monde-insignifiant, en opposition aux « mâles-alpha » qui sont beaux, brillants, promis à de grandes choses et à qui tout réussit dans la vie. Charlie donc, a conscience d’être un homme très commun qui vit une existence sans grande prétention et ça lui va bien ainsi. Car dans sa condition de mâle bêta il se considère comme chanceux malgré tout. Il a une femme superbe, Rachel, il tient une boutique de brocante qui lui permet de vivre correctement, et surtout il est sur le point de devenir l’heureux papa d’une petite Sophie. Et Charlie se contente bien de cette petite vie rangée, qui suffit à son bonheur.
Sa vie prend une tournure imprévisible autant que tragique quand sa femme meurt peu de temps après avoir donné naissance à leur enfant. Dans sa chambre d’hôpital, Charlie tombe sur un géant noir habillé tout de vert à son chevet et la surprise est partagée : le géant est un collecteur d’âmes, et si Charlie est capable de le voir c’est parce que lui-même en est devenu un… Dès lors Charlie bascule dans un monde insoupçonné, délirant et inquiétant… Son nouveau statut oblige Charlie à récolter les âmes des gens dont les noms s’inscrivent mystérieusement et presque quotidiennement sur son calepin, tout en élevant son bébé. Et il a plutôt intérêt à bien s’acquitter de sa tâche, car des voix menaçantes d’esprits maléfiques résonnent depuis les égouts ; ces démons des entrailles de la terre profitent de chaque erreur de Charlie pour accumuler eux aussi des âmes et se renforcer ainsi jusqu’à pouvoir sortir de leurs ténèbres et étendre leur royaume à la surface…

Dit comme ça, je réalise que c’est plutôt lugubre comme histoire mais ne vous y fiez pas, l’auteur traite tout cela sur un ton très léger, et l’humour tant encensé par ailleurs est bien présent tout au long du récit. Peut-être presque trop même à bien y réfléchir, car l’histoire oscille sans cesse entre noirceur du contexte et loufoquerie des personnages, pas un seul n’échappant au regard acide de l’auteur qui les affublent quasiment tous de l’une ou l’autre spécificité bien bizarre pour ne pas dire excentrique. Entre les voisines russe et chinoise de Charlie qui sont deux tyrans domestiques ou les deux employés de son magasin d’occasion : une jeune gothique aussi vive d’esprit que prompte à sécher les cours et un ex-flic à la recherche de l’amour sur internet et qui se verrait bien en
Jack Bauer du pauvre (assez hilarant ce dernier il faut le dire), Charlie évolue dans un environnement assez atypique. Sans parler des deux « cerbères des enfers », des chiens immenses qui dévorent absolument tout ce qui leur passe sous la gueule et qui vont élire domicile chez lui et devenir les gardes du corps attitrés de la petite Sophie. Cela étant dit, si l’humour est bien omniprésent, il ne fait pas pour autant mouche à chaque fois, l’ensemble des gags impliquant les chiens par exemple ne m’ayant pas vraiment fait rire… à trop vouloir en faire parfois Moore lasse un peu, ou se répète. Et puisque je me permets de critiquer un peu l’humour parfois trop présent dans le récit, je me dois de signaler la toute fin du roman, et tout particulièrement la dernière réplique qui dans le genre loufoque et potache m’a fait éclater de rire !
De manière plus générale le roman est bien écrit, intéressant, enlevé et l’auteur se permet même des passages beaucoup plus sombres, voire même très tristes (on parle quand même de mort du début à la fin oh !) qui sont réussis et qui tranchent dans le ton avec le reste.

Quant à l’originalité de l’histoire… ben on va dire qu’il n’y a pas de quoi s’en relever la nuit non plus ! Pour ce qui est  « personnification de la mort » ce n’est pas vraiment comme si ça n’avait jamais été traité (rien qu’à l’écran depuis la
Quatrième Dimension jusqu’à Rencontre avec Joe Black par exemple), et même dans ce cas précis de « collecteurs d’âmes » on ne peut s’empêcher de penser par exemple à la série Dead Like Me (plus que moyenne soit dit en passant) dont c’est très exactement le thème (je crois que le livre est sorti aux USA en 2006 mais je ne suis pas sûr de la date de sortie exacte de la série télé, donc je ne sais pas qui a l’antériorité sur ce coup-là). Non vraiment, ce n’est pas l’originalité qui m’aura le plus frappé dans ce roman, ni l’intrigue principale à vrai dire (toujours un peu trop comique pour être flippante, ou toujours un peu trop gore pour être vraiment drôle), mais plutôt la galerie sympathique de personnages secondaires, certains même auraient bien mérité un « temps de présence » supérieur selon moi (les employés de Charlie notamment).

En fait je suis ressorti de la lecture de ce roman comme on sort un peu d’une série B, avec dans l’idée que c’était pas mal mais que le potentiel d’être mieux était là. Que parfois dans le mélange humour / noirceur la mayonnaise ne prenait pas à chaque coup, et que si la lecture se faisait sans déplaisir elle n’en restait pas pour autant un moment inoubliable. Bref, en gros si je devais résumer en une phrase mon ressenti sur
Un Sale Boulot, je dirais : pas mal, mais peut mieux faire.

 

Cet article a été initialement publiée sur mon blog : www.moleskine-et-moi.com

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